Les grands détaillants soumis à la dictature de la démographie


Édition du 24 Mai 2014

Les grands détaillants soumis à la dictature de la démographie


Édition du 24 Mai 2014

Rien n'est plus éphémère que la gloire. On en a de nouvelles illustrations ces temps-ci dans le commerce de détail.

En janvier dernier, on apprenait que Sears Canada songeait à laisser aller certains de ses 27 magasins québécois - et les autres au pays -, pourvu que la chaîne reçoive des offres intéressantes des centres commerciaux qui les abritaient. C'était déjà un SOS.

Peu de temps après arrivait le coup de massue : Sears abandonnait son prestigieux emplacement du Centre Eaton, au centre-ville de Toronto, et y fermait son magasin emblématique, celui qui lui servait de phare au Canada. La preuve était faite que l'organisation était en plein désarroi.

C'est pourquoi il n'y avait pas grand étonnement, la semaine dernière, d'apprendre que la société mère américaine voulait se départir de sa participation majoritaire dans Sears Canada - autrement dit, qu'elle entendait vendre toute la chaîne.

Sans acheteurs, elle va tout simplement fermer les portes. Finie l'historique présence au Canada. Quel dommage et quel manque de vision.

Je me rappelle, jeune, que nous étions tout à fait disposés à aller faire des courses au grand magasin Simpsons Sears de la Place Laurier, à Sainte-Foy, en banlieue de Québec. Il y régnait l'effervescence propre à ces grands magasins à rayons, et ma mère finissait régulièrement par nous trouver des vêtements convenables à prix abordables. Le service était attentionné, sans exagération, et nous savions que nous n'allions pas nous y perdre en y gaspillant des heures.

C'était la belle époque. Le nom Simpsons a fini par disparaître, à Québec comme à Montréal. Sears a survécu, mais les pressions se sont accentuées d'année en année. Et voici qu'on s'interroge maintenant sur la survie de la chaîne.

Parmi les spéculations sur les causes possibles de ce déclin, je vous propose celle-ci, du démographe canadien David K. Foote, tiré de son remarquable essai Boom, Bust & Echo (paru en 1996 ; version française, Entre boom et écho, en 2000). En un mot, il soutient qu'étant donné l'avancement en âge de la clientèle, le mot clé devient : service. Et le principe vaut pour toutes les organisations qui font affaire avec des individus. Désormais, c'est l'accueil - et le temps - qui priment et aident à décider. Sans oublier le rapport qualité-prix, quand ces deux critères sont pris en compte.

Retour sur les Sears et les Eaton de ce monde

Ces grands magasins qui nous impressionnaient ont mal vieilli et n'ont pu s'adapter au nouvel environnement commercial. C'était aussi récemment le cas de La Baie, qui a également vécu sa traversée du désert avant de se relever en misant sur une campagne de publicité convaincante. Un produit vedette par semaine, notamment, lui attire une nouvelle clientèle - et le service s'est amélioré.

Toutes les grandes surfaces n'ont pas connu de tels déboires. Les magasins de la Maison Simons, par exemple, demeurent très populaires. Vous entendrez rarement des récriminations quant au service, réputé courtois et empressé. C'est là une des forces de la chaîne née à Québec.

En même temps, l'analyse du démographe Foote ne s'est pas révélée sans faille.

Il avait notamment annoncé le déclin des magasins de style entrepôt, qu'il estimait inévitable, de même que ceux qui misent d'abord sur les bas prix. Leurs clients vieillissants allaient préférer les boutiques où tout est à portée de main, avec des conseillers nombreux et prévenants. L'attrait du service allait s'imposer devant tout le reste. Les Ikea et Walmart de ce monde étaient donc condamnés à vivre des jours difficiles, à ses yeux.

Parlant d'Ikea, il écrivait : «Seront-ils [les consommateurs] prêts à errer dans le magasin à la recherche de la table dont ils ont besoin, à trouver la bonne boîte dans le département des stocks, à faire la queue pour payer, à fixer la table sur le toit de la voiture et à la rapporter chez eux pour la monter eux-mêmes ? Probablement pas.»

Erreur... Oui, ils le sont. Les stationnements d'Ikea n'ont jamais été si remplis, et le magasin emblématique de Montréal a terminé les travaux d'un important agrandissement en juin dernier. La forte demande amenait auparavant les clients à s'y marcher sur les pieds. L'offre s'est raffinée. Désormais, on y trouve même des propositions de designers «clés en main». Et les produits ont monté de gamme. Ses bibliothèques, par exemple, ne sont plus destinées qu'aux étudiants désargentés.

Dans les faits, les consommateurs d'ici aiment le service attentionné, mais ils veulent aussi en avoir pour leur argent. D'autant qu'il ne se passe pas une semaine sans qu'on leur rappelle leur surendettement. La chasse aux aubaines de qualité fait plus que jamais partie de leur quotidien. La récession que nous venons de traverser n'a fait qu'amplifier ce sentiment.

Pensez seulement aux nouveaux arrivants, qui vont finir par se faire une belle vie ici, mais qui doivent en attendant faire gaffe à toutes leurs dépenses. Ils sont nombreux à fréquenter ces grandes surfaces qui investissent peu dans la décoration, mais qui leur offrent des prix avantageux.

Reste que personne ne peut s'endormir sur ses lauriers, parce que les succès d'hier sont loin d'être garants de ceux de demain. Chez Sears, on vient de se le faire douloureusement rappeler.

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