La chasse aux orignaux et aux entreprises canadiennes est ouverte


Édition du 14 Octobre 2017

La chasse aux orignaux et aux entreprises canadiennes est ouverte


Édition du 14 Octobre 2017

Si seulement les Améri- cains avaient besoin d'un permis s'en prendre à leurs rivaux canadiens ! Dans les faits, l'invitation vient d'être lancée à tous les lobbys américains de viser directement les entreprises d'ici. Les plus hautes autorités politi- ques viennent de leur donner le feu vert.

La première salve a touché le bois d'oeuvre, puis la gestion de l'offre dans le lait. Bombardier a suivi. Les Américains se plaignent depuis quelques mois des producteurs canadiens de papier couché et de papier journal. Déjà, le papier surcalandré (pour les encarts et les circulaires) était frappé d'une taxe.

L'acier et l'aluminium sont aussi dans leur mire. Et c'est maintenant au tour des viticulteurs de la Colombie-Britannique d'être montrés du doigt parce qu'ils peuvent vendre, eux, leur vin dans les épiceries de la province, une décision légitime du gouvernement de Victoria que leurs collègues américains trouvent intolérable.

«Make the others suffer»

La liste des plaignards s'allonge, et Washington leur prête une oreille attentive avec un préjugé éminemment favorable. La suite logique du slogan «Make America great again» serait-elle «Make the others suffer» ? C'est peut-être le cas, s'il faut en croire Richard Ouellet, professeur titulaire en droit international économique à l'Université Laval et expert-conseil pour le Québec dans ce dossier. Son analyse signale que la partie sera rude, mais qu'en même temps, le Canada et ses entreprises ne doivent pas se considérer comme battus d'avance. Il était l'un des panélistes invités à l'événement Grands exportateurs Corex, présenté à Saguenay le 4 octobre dernier par la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) et la Chambre de commerce et d'industrie Saguenay-Le Fjord, panel que j'animais. On trouvait à ses côtés l'ancien ministre fédéral Denis Lebel, maintenant PDG du Conseil de l'industrie forestière du Québec, et Stéphane Forget, président de la FCCQ.

Devoir de confidentialité oblige, Richard Ouellet ne pouvait pas préciser l'état de la renégociation sur l'ALÉNA. Il a cependant présenté un portrait des enjeux et de la situation où le Canada se trouve. Pour lui, tout le malaise vient de la conception du commerce international que privilégie l'administration Trump, dont la logique serait la suivante : chaque emploi que gagne un autre pays par ces échanges est un emploi perdu pour les États-Unis, et vice versa. L'idée qu'il puisse s'agir d'un partenariat profitant ultimement à toutes les parties engagées est inconcevable pour lui. Il lui faut donc défendre coûte que coûte les intérêts des entreprises américaines.

La carte cachée du Canada

C'est surtout le Mexique qui est dans la mire des Américains, selon M. Ouellet, étant donné son important surplus commercial avec les États-Unis, de l'ordre de 60 milliards de dollars. Le Canada serait moins irritant du fait de sa balance commerciale pratiquement neutre.

Le gouvernement Trump va donc y aller plus fort pour exiger des concessions du Mexique. Or, le président Peña Nieto ne voudra certainement pas perdre la face en se montrant trop accommodant à la veille des élections de 2018. Les deux pays risquent donc de se braquer, et leurs relations, de se dégrader.

Si les tensions montent au point de précipiter un retrait des États-Unis de l'ALÉNA, le Canada pourrait jouer une carte cachée : l'Accord de libre-échange conclu en 1989 avec les seuls États-Unis n'a jamais été abrogé, il a seulement été supplanté par l'ALÉNA. Il pourrait donc - théoriquement - être automatiquement réinstauré.

Arriverait-on alors à une nouvelle entente, puisque le fossé apparaît moins large en ce qui nous concerne ? On pourrait tout au moins poursuivre les discussions, même si l'attitude des États-Unis envoie comme signal que le Canada est devenu une sorte de bar ouvert où les entreprises américaines peuvent se servir à leur guise en invoquant de mauvais traitements...

En tout cas, l'industrie forestière canadienne subit assaut sur assaut même si, comme le faisait remarquer Denis Lebel, les producteurs américains de bois d'oeuvre ne suffisent pas à la tâche. Au point que les États-Unis doivent recourir à l'importation pour combler 30 % de leurs besoins. Des pays comme l'Allemagne et la Russie ont vu bondir leurs exportations... «La coalition des producteurs américains est très puissante, dit M. Lebel, et même les associations immobilières, elles aussi vigoureuses, n'ont pas réussi à infléchir le gouvernement américain en soulignant que le prix des habitations allait grimper.»

C'est le noeud du problème : les Américains ne sont pas assez nombreux à comprendre que leur pays se tire dans le pied en multipliant les barrières qui vont finir par nuire à sa propre économie. Et comme les dirigeants politiques font la sourde oreille, il devient plus stratégique, pour établir un meilleur rapport de forces, de travailler sur le terrain avec les vis-à-vis américains qui savent, eux, à quel point les économies sont intégrées et combien les dommages seraient considérables même chez eux s'il y avait rupture.

C'est ce que martèle Stéphane Forget, de la FCCQ, en suggérant à tout le monde de le rappeler chaque fois que l'occasion se présente, de part et d'autre de la frontière.

La Maison-Blanche peut bien aboyer, la caravane a des chances de passer si c'est la raison qui l'emporte.

À la une

Dette et déficit du fédéral: on respire par le nez!

19/04/2024 | François Normand

ANALYSE. Malgré des chiffres relativement élevés, le Canada affiche le meilleur bilan financier des pays du G7.

Budget fédéral 2024: «c'est peut-être un mal pour un bien»

19/04/2024 | Philippe Leblanc

EXPERT INVITÉ. Les nouvelles règles ne changent pas selon moi l'attrait des actions à long terme.

Multiplier la déduction pour gain en capital, c'est possible?

19/04/2024 | WelcomeSpaces.io

LE COURRIER DE SÉRAFIN. Quelle est l'avantage de cette stratégie?