Bombardier doit à la fois s'entendre avec Delta et avec Ottawa

Publié le 17/04/2016 à 16:32

Bombardier doit à la fois s'entendre avec Delta et avec Ottawa

Publié le 17/04/2016 à 16:32

C’était la semaine de l’eau chaude, l’eau froide pour Bombardier.

Et si l’entreprise veut voir ses affaires se réchauffer à plus long terme, il lui faudra devenir plus conciliante.

Commençons par revenir sur les rebondissements des derniers jours.

Jeudi le 14 avril, le Wall Street Journal annonçait que Bombardier et Delta étaient sur le point de s’entendre sur une importante commande ferme de 75 avions de la CSerie, assortie d’une option pour 50 appareils supplémentaires. Ultimement, la valeur totale de ces livraisons atteindrait 10 milliards de dollars.

Ce serait là la fameuse grosse commande dont Bombardier rêvait depuis des années, alors que jusqu’à présent, on ne réussissait qu’à vendre quelques avions à la fois. Il y a bien eu celle de Republik Airways (40 avions),  mais ce transporteur est au bord de la faillite.

On doit prendre cette rumeur (car pour l’instant, c’en est une) au sérieux, pour au moins deux raisons.

D’abord, l’information a été publiée par le Wall Street Journal (WSJ), la référence dans le monde des affaires, qui ne s’amuse pas à lancer des ballons juste pour voir les réactions. D’autre part, Delta est la deuxième société aérienne américaine en termes de passagers transportés et elle fait affaire depuis longtemps avec Bombardier. En 2004, elle a commandé 32 CRJ, suivie en 2012 de 40 autres, version NextGen. 

Si le tout se concrétise, Bombardier se retrouverait en voiture, pardon, en fusée. Le total de commandes fermes (sans compter les options) s’élèverait à 325, encore que les 40 attribuées à Republik sont fragiles. On aurait quand même atteint la masse critique de ventes, de même que la respectabilité à laquelle aspirait le programme de la CSerie, avec des acheteurs reconnus comme Lufthansa, Korean Airways, Air Canada et maintenant Delta.

En passant, le WSJ ajoutait dans son texte que le rapport de forces dont profite Delta dans ces négociations est considérable, ce qui pourrait lui permettre d’obtenir des rabais substantiels de Bombardier, au point où le journal se demande même si la transaction serait minimalement profitable… mais le signal envoyé à travers la planète, lui, serait puissant et vaudrait cher. D’une façon ou d’une autre, Bombardier en ressortirait gagnante.

Voilà pour l’eau chaude. Mais l’eau froide donne quelques frissons.

Le lendemain, le vendredi 15, on apprenait qu’un projet d’entente entre Bombardier et Ottawa sur une injection de fonds par le fédéral avait échoué.

Raison probable : pour des raisons politiques autant que de principe, le gouvernement Trudeau voudrait que la famille Beaudoin Bombardier desserre son emprise sur l’entreprise. Même si elle ne possède que 2 % des actions ordinaires, elle possède finalement 53 % des droits de vote du fait de son imposant lot d’actions multivotantes (10 votes par action).

Ce phénomène d’une double classe d’actions, répandu dans les grandes entreprises familiales québécoises, est mal vu au Canada anglais. Il est perçu comme inéquitable. Mais les familles en question ont toujours soutenu que c’était la meilleure façon d’empêcher les prises de contrôle hostiles puisqu’on ne peut les déloger.

Peut-être, mais voici deux arguments dans l’autre sens.

Une entreprise familiale pourrait fort bien recevoir une offre qui déplaît à l’ensemble des actionnaires, mais qui sied à la famille, auquel cas elle n’aurait qu’à donner son approbation malgré l’opposition d’une majorité d’actionnaires.

Et de un.

Par ailleurs, il suffit que d’importants acteurs institutionnels – genre Caisse de dépôt – accumule des actions pour faire front commun avec une famille même après qu’elle ait abandonné ses droits majoritaires, si jamais une offre hostile était déposée.

D’accord, la Caisse a laissé filer Rona alors qu’elle en était le premier actionnaire, mais on peut imaginer des garanties formelles de sa part, ou d’Investissement Québec ou d’autres, si ladite famille acceptait de réduire son influence.

Chez Bombardier, cette hypothèse n’a pas été retenue. C’est dommage.

Ses dirigeants devraient réaliser qu’il leur faut donner ne serait-ce qu’une marge de manœuvre stratégique au fédéral s’ils veulent encore recevoir, d’une façon ou d’une autre, le milliard de dollars qu’ils convoitent. Par des changements à la gouvernance, par des assurances quant au maintien des emplois canadiens, ou quoi que ce soit, mais il faut lâcher du lest. Sinon, si la direction refuse de concéder du terrain, toute intervention même bien intentionnée soulèvera une tempête politique dans le reste du pays, et on ne pourra même pas accuser ces citoyens de mauvaise foi.

On ne peut qu’espérer que les deux parties finissent par s’entendre. C’est agréable l’eau chaude, mais il ne faut pas gâcher ce sentiment de bien-être en étant par la suite aspergé d’eau glacée…

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