Biomasse forestière, nanocellulose cristalline et rouge à lèvres


Édition du 16 Juin 2018

Biomasse forestière, nanocellulose cristalline et rouge à lèvres


Édition du 16 Juin 2018

Des rouges à lèvres de qualité supérieure qui pourraient bien être conçus un jour à l’aide de nanocellulose? [Photo: 123RF]

Une petite révolution dans le monde des cosmétiques se prépare, avec des recherches conduites au Québec comme déclencheur. Son exemple le plus frappant est la création de rouges à lèvres de qualité supérieure qui pourraient bien être conçus un jour à l'aide de nanocellulose.

Cellulose, comme dans cette composante du bois qui sert à fabriquer de la pâte de papier ? Exactement. Sauf qu'ici, on travaille à l'échelle moléculaire - d'où le nom de nanocellulose - pour en tirer un matériau aux propriétés différentes et au vaste potentiel, assez pour soutenir l'émergence d'une toute nouvelle filière industrielle au Québec.

C'est là un véritable moteur d'avenir dont on parle moins que l'intelligence artificielle, par exemple, mais qui va aider à propulser notre économie dans ce nouveau siècle, grâce aux percées que les chercheurs et les entrepreneurs sont en train de développer.

Cette étonnante histoire de rouge à lèvres nous a été racontée le 4 juin, lors de la récente assemblée annuelle des membres de Prima Québec, le Pôle de recherche et d'innovation en matériaux avancés du Québec. On rendait notamment hommage au président sortant du conseil de Prima, Pierre Lapointe, géologue et géophysicien de formation, qui tire sa révérence après plusieurs années de loyaux services. Dans le monde de la R-D québécoise, il a fait époque, notamment comme directeur scientifique, puis directeur général de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), avant de devenir administrateur de sociétés.

Avant d'en arriver au rouge à lèvres, il convient de faire un retour en arrière.

Les premiers travaux se sont déroulés en 1990 à l'Université McGill, de concert avec la firme FPInnovations, de Pointe-Claire, sur l'île de Montréal. Les avancées étaient intéressantes, mais insuffisantes, et tout est resté en plan pendant une dizaine d'années.

En 2007, un autre chercheur, Richard Berry, ressuscite le programme et pousse plus loin le procédé de mise au point de la nanocellulose. Il rachète les équipements avec l'aide du gouvernement du Québec. L'objectif est de produire un kilo de nanocellulose. Bien, mais pour atteindre le marché commercial, il en faut plus, beaucoup plus.

FPInnovations est toujours dans le portrait, M. Lapointe en est alors le PDG. Ses gens vont rencontrer des dirigeants de l'industrie des cosmétiques. Il faut savoir que la nanocellulose est allergène, et surtout, elle augmente la palette des couleurs, les rendant iridescentes « comme pour celles des papillons ou du papier d'emballage glacé de Noël », explique M. Lapointe. Du papier de couleur sans colorant, en somme. Les perspectives sont belles.

Mais on en est toujours aux problèmes de production à grande échelle. Pour se lancer dans l'aventure, l'industrie parle en termes de tonnes, pas de kilos. Il y a impasse.

Sur ces entrefaites, M. Lapointe est invité à rencontrer Lisa Rait, ministre des Ressources naturelles et du Travail du temps de Stephen Harper. Renommé pour son travail sur la cellulose, il répond aux questions sur ce qui pourrait être fait pour raviver l'industrie forestière canadienne qui traverse une mauvaise passe.

Outre des interventions ponctuelles, la Ministre lui demande ce qu'il pourrait proposer pour convaincre le conseil des ministres du bien-fondé d'investir.

C'est alors qu'il va évoquer la nanocellulose et l'étendue de son potentiel en lui présentant trois feuilles de papier aux couleurs éblouissantes. « Elle en est littéralement tombée en pâmoison », évoque-t-il. Elle lui indique qu'elle aimerait voir l'industrie des cosmétiques mettre à profit le procédé. Il lui répond ce que tous les chercheurs auraient répondu : il faut de l'argent.

« L'enjeu, au Canada, c'est de sortir des laboratoires pour en arriver à un projet pilote et, éventuellement, au marché commercial. » C'est ce qu'on appelle en anglais Scaling up, ou accélérer le développement. L'appel est entendu. Le Québec embarque lui aussi.

Va en ressortir une entreprise détenue conjointement par FPSolutions et Domtar, qui y voit un grand potentiel pour le papier. L'usine pilote se trouve sur les terrains de son complexe de Windsor, dans les Cantons de l'Est.

« C'est aujourd'hui la seule usine au monde capable de produire des tonnes de nanocellulose », dit M. Lapointe. Nanocellulose cristalline, comme elle est appelée, transformée en flocons solides, en liquide ou en gel.

« Ces installations représenteront donc un tournant et un moment historique dans la création d'une nouvelle série de produits industriels et de consommation renouvelable issus de la biomasse forestière », peut-on lire sur le site de Ressources naturelles Canada.

On y trouve déjà deux applications concrètes, en attendant les autres. Comme elle peut aider à augmenter la dureté et la résistance des produits dans lesquels elle est injectée, la multinationale Schlumberger l'utilise pour ses forages, d'autant qu'elle permet de mieux résister à la chaleur que ces travaux engendrent.

Par ailleurs, elle entre aussi dans la composition d'un nouveau produit appelé « Fog kicker », une solution antibuée pour les amateurs de plongée libre (snorkeling) ou de plongée sous-marine. Il sera bientôt proposé pour réduire la buée sur les miroirs des salles de bain.

Tout ça à partir de la biomasse forestière, renouvelable ? Eh oui! On ne fait que commencer à en comprendre tout le potentiel. En attendant que l'industrie des cosmétiques se décide à offrir des rouges à lèvres si brillants qu'on les dira « iridescents » !

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