Face-à-face 2022: un débat dans la cacophonie

Publié le 16/09/2022 à 10:41

Face-à-face 2022: un débat dans la cacophonie

Publié le 16/09/2022 à 10:41

Pour la première fois dans l’histoire politique du Québec, jeudi soir, cinq aspirants premiers ministres ont croisé le fer en direct à la télévision. (Photo: La Presse Canadienne)

BLOGUE INVITÉ. Ils étaient cinq. Pour la première fois dans l’histoire politique du Québec, jeudi soir, cinq aspirants premiers ministres ont croisé le fer en direct à la télévision.

La formule de ce «Face-à-face» n’était peut-être pas tout à fait adaptée à cette nouvelle réalité. La soirée a ainsi été marquée par des échanges cacophoniques où les chefs, trop souvent, s’interrompaient mutuellement et parlaient les uns par-dessus les autres. Même pour les initiés, c’était parfois difficile à suivre.

Le court temps alloué aux chefs pour résumer leurs engagements laissait peu de place aux débats d’idées. Cela avait pour effet de pousser les chefs à opter davantage pour des phrases-choc qui marquent les esprits plutôt que des échanges de fond. 

L’électeur moyen ressort-il mieux informé d’un tel exercice? On peut en douter. Néanmoins, ce premier débat a quand même donné lieu à quelques moments intéressants et pimentés, notamment sur l’environnement, la pandémie et l’immigration.

Question de démêler tout ça, voici un survol de la performance des cinq chefs.

 

François Legault: un bilan à défendre

Un débat des chefs n’est jamais facile pour un premier ministre sortant. François Legault, qui faisait face à quatre chefs qui en étaient tous à leur première expérience dans un débat télévisé national, était le seul à avoir un bilan à défendre. Un mandat marqué par deux années de pandémie mondiale.

En tant que meneur de la course, il était évident qu’il allait être la cible de la majorité des attaques. Alors que ses appuis semblent se maintenir relativement autour de 40% depuis le début de la campagne, son plus grand défi était de ressortir de cette soirée sans trop de heurts dans l’espoir de maintenir ses appuis jusqu’au 3 octobre.

Pas de catastrophe majeure pour le chef caquiste, qui est somme toute parvenu à éviter les pièges, notamment sur la question de l’immigration, un enjeu souvent glissant pour lui. Ses propos modérés d’hier soir lui ont peut-être permis de rattraper ses maladresses des derniers jours dans ce dossier.

 

Dominique Anglade: l’occasion manquée

La cheffe libérale avait besoin de frapper un coup de circuit, jeudi soir, si elle voulait avoir une chance de freiner la chute vertigineuse de son parti dans les sondages. À ce niveau, la cible est ratée pour le PLQ.

Par moments, ses lignes manquaient cruellement de «punch» et ses interventions tombaient trop souvent à plat. Au final, Mme Anglade est probablement celle qui s’est le moins démarquée des cinq chefs.

Tony Tomassi, Jean Charest, austérité libérale… Plusieurs fantômes du passé sont revenus hanter la cheffe du PLQ durant la soirée. Malgré ses nombreux efforts des derniers mois, Dominique Anglade peine toujours à se défaire de l’héritage des années Charest et Couillard.

L’enjeu linguistique demeure sans contredit sa plus grande faiblesse. Le chef conservateur Éric Duhaime, qui courtise le vote anglophone jadis acquis au PLQ, a ainsi poussé son adversaire libérale dans les câbles, l’accusant en anglais d’avoir «trahi la communauté anglophone» en tergiversant sur le projet de loi 96. Un coup dur pour Mme Anglade.

 

Gabriel Nadeau-Dubois: En attendant l’opposition officielle

Avec son style offensif — parfois un peu trop —, le co-porte-parole de Québec solidaire a su démontrer qu’il était prêt à assumer le rôle de chef de l’opposition officielle et à faire contrepoids à François Legault. Orateur efficace, il était probablement le mieux préparé des cinq chefs, avec des lignes d’attaque fortes tout au long de la soirée.

Le leader solidaire s’est tout de même retrouvé sur la défensive à quelques reprises, notamment sur la question de la sécurité, alors qu’il a dû se défendre de vouloir réduire le budget de la police au moment où Montréal fait face à une recrudescence de la violence par armes à feu. C’est pourtant bel et bien inscrit, noir sur blanc, dans le programme de QS.

Il a également dû affronter les tirs groupés de ses adversaires sur les «taxes orange» que Québec solidaire souhaite imposer sur ce que le parti de gauche considère comme les «ultra-riches», soit les Québécois ayant des actifs totalisant plus d’un million de dollars, incluant les biens immobiliers. Une mesure qui risque aussi d’affecter les familles de la classe moyenne et les petits propriétaires de duplex dans le Grand Montréal.

Alors que les Québécois sont déjà pris à la gorge par la hausse drastique du coût de la vie, l’enjeu de la hausse des taxes risque de le suivre bien malgré lui jusqu’à la fin de la campagne.

 

Paul St-Pierre Plamondon: la force tranquille

Le chef du PQ, qui souffre d’un déficit de notoriété, devait se faire davantage connaître du public. Il est apparu calme et posé tout au long de la soirée. Efficace dans ses échanges, il a évité de tomber dans la politique-spectacle. Son attitude respectueuse et sérieuse, en contraste avec ses adversaires, est assurément venue renforcer sa crédibilité.

En politique, la personnalité d’un chef et sa capacité à être apprécié des gens sont des facteurs de plus en plus importants pour obtenir la confiance des électeurs. Celui qu’on surnomme PSPP est probablement celui qui est apparu le plus sympathique aux yeux de nombreux téléspectateurs. En ce sens, sans marquer de coup de circuit, il ressort comme l’un des gagnants de cet exercice.

Un de ses grands coups de la soirée aura été de réussir à jeter un pavé dans la marre de Québec solidaire en poussant Gabriel Nadeau-Dubois à prononcer le titre controversé du livre de Pierre Vallières avec le fameux «mot en N» qui horripile tant les militants de gauche. Gageons que de nombreux électeurs de QS n’ont pas trop apprécié de voir leur chef tomber dans ce «piège à wokes» qui lui a été savamment tendu par le leader du PQ.

Alors que le PQ est le parti qui récolte le plus de «deuxièmes choix» selon le plus récent sondage Léger publié cette semaine, la performance du chef péquiste sera-t-elle suffisante pour lui permettre de reprendre le momentum et ainsi, espérer sauver les meubles d’ici la fin de la campagne?

 

Éric Duhaime: adoucir son image

Communicateur aguerri, Éric Duhaime a réussi à se démarquer des quatre autres chefs dans plusieurs dossiers. Pensons entre autres à la question des hydrocarbures, alors qu’il est le seul à soutenir le développement de projets pétroliers et gaziers pour financer la transition énergétique du Québec et aider nos alliés stratégiques européens à s’affranchir de leur dépendance au gaz russe et au charbon. Une position qui détonne, mais qui mérite néanmoins qu’on s’y attarde davantage.

La gestion de la pandémie a donné lieu à un échange musclé entre le chef du PCQ et François Legault. Duhaime a toutefois dû se contenter d’un match nul sur cet enjeu, n’étant pas parvenu à faire trébucher François Legault, qui a défendu son bilan avec confiance et énergie.

Pour le chef conservateur, démonisé par ses adversaires en début de campagne en raison de son attitude qui, selon plusieurs, a contribué à attiser les tensions sur la scène politique québécoise, l’un des grands objectifs de cette soirée était de se défaire de son image de chef provocateur pour pouvoir espérer élargir sa base au-delà de son noyau dur actuel, alors qu’il semble avoir atteint un plafond avec environ 15% d’intentions de vote. À ce niveau, force est d’admettre qu’il a remporté son pari.

 

Au niveau supérieur

Alors que beaucoup d’électeurs suivaient peu les élections jusqu’ici, l’affrontement de jeudi soir a fait passer la campagne au niveau supérieur. À partir d’aujourd’hui, la course ne va cesser de s’accélérer jusqu’au fil d’arrivée, le 3 octobre.

Jeudi prochain, les cinq adversaires auront droit à un match-revanche à l’occasion du deuxième et dernier débat des chefs de cette campagne.

La vraie bataille ne fait que commencer.

À propos de ce blogue

Cumulant plus de 15 années d'expérience dans les domaines des médias, des relations publiques et de la politique fédérale, provinciale et municipale, Raphaël Melançon est consultant en affaires publiques et président-fondateur de Trafalgar Stratégies. Diplômé de l’Université de Montréal en communication et science politique et titulaire d’un MBA de HEC Montréal, il analyse à travers ce blogue les décisions politiques qui ont des impacts sur le monde des affaires québécois et canadien.

Raphaël Melançon

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