Les BRICS peuvent-ils marginaliser le dollar américain?

Publié le 28/04/2023 à 09:00

Les BRICS peuvent-ils marginaliser le dollar américain?

Publié le 28/04/2023 à 09:00

Le président chinois Xi Jinping et son homologue russe Vladimir Poutine ont amorcé un rapprochement de leur économie. (Photo: Getty Images)

EXPERT INVITÉ. Les cinq pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) se sont récemment rencontrés et ont statué en faveur de la création d’une monnaie conjointe afin de contrecarrer l’hégémonie du dollar américain. 

Une nouvelle d’envergure, car les BRICS représentent 43% de la population mondiale et près de 32% du PIB de la planète.

Le dollar américain trône au sommet des devises depuis les Accords de Bretton Woods en 1944. Et les pays des BRICS réfléchissent depuis plusieurs années à y mettre un terme.

Notamment en raison de l’exposition de leur monnaie respective aux fluctuations du dollar américain.

Inutile de signaler que les Russes sont encore plus motivés à l’idée de cette monnaie concurrente en raison des immenses sanctions économiques américaines…

Le gel d’actifs russes a par ailleurs affecté d’autres pays. La dynamique leur est donc favorable. L’Algérie ou l’Argentine ont d’ailleurs indiqué qu’elles souhaitaient joindre l’initiative des BRICS.

D’autres pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) ont aussi manifesté leur intérêt, avec l’Iran en chef de file.

Si, ensemble, ils décidaient de boycotter à leur tour tous les services ou les produits vendus en dollars américains, il y aurait effectivement de quoi s’inquiéter.

La Bourse n’a toutefois pas réagi à ce projet des BRICS.

L’indice phare de la Bourse de New York, le Dow Jones Industrial Average, a même poursuivi sa progression depuis l’annonce.

Le peuvent-ils vraiment?

Cette question a le mérite d’être posée, et ce, pour quatre raisons.

Premièrement, le dollar américain présente certaines garanties.

Évidemment, car il est l’étalon mondial depuis longtemps. Mais cela est aussi dû à certains éléments structurels qui ne sont pas si faciles à reproduire pour des pays non démocratiques.

On peut penser ici à la diversification de leurs industries et l’absence de réglementation.

Le système américain est en effet très peu réglementé. C’est un avantage majeur pour les marchés mondiaux qui ont confiance en la valeur de la devise américaine.

Or, si l’on regarde la Chine, qui impose un taux de change fixe au yuan (lié avec le dollar américain), il est difficile de créer le même engouement. Et on ne parle même pas du fait qu’il s’agit d’une dictature où les règles dépendent du bon vouloir du parti communiste chinois (PCC).

Sachant qu’il faudrait en plus que les BRICS s’entendent sur la création et la réglementation d’une banque centrale, nous sommes loin du compte

Deuxièmement, il faut accepter les inconvénients d’être la monnaie de référence et notamment d’afficher une balance commerciale déficitaire.

En effet, la demande de dollars américains est constante parce que le green back est la devise de référence du commerce mondial, ce qui entraîne des déficits colossaux.

Toutes les économies d’ailleurs ne peuvent se le permettre puisqu’elles risqueraient de se retrouver en grande difficulté.

Troisièmement, le tissu économique des BRICS n’est pas assez diversifié comme en témoigne le manque d’échanges entre eux à ce jour

De plus, ce tissu économique repose pour la plupart majoritairement sur la production de matières premières.

Ce point est important, car il permet d’éviter les risques liés à une dépendance à un secteur particulier – les hydrocarbures par exemple pour la Russie. 

Quatrièmement, je parlais d’inquiétude en Occident plus haut, mais les BRICS aussi seraient affectés!

 

Le scénario négatif … sauf pour la Russie

Il faut comprendre que si des pays ont une balance commerciale négative (comme les États-Unis), c’est bien parce que d’autres ont une balance commerciale positive. Tout doit s’équilibrer. 

Cela est dû à l’accumulation de réserves en dollars américains et à une structure d’économie où le taux d’épargne des particuliers, en devises locales, est supérieur au taux d’investissement.

Le dollar américain représente près de 60% des réserves mondiales d’actifs, détenues en bons du trésor américain par exemple. .

Juste pour vous donner une idée, la Chine détient plus de 3 000 milliards de dollars américains. Aussi, le dollar américain domine largement les échanges internationaux.

Sa part de marché écrase même la concurrence.

Près de 7 000 milliards de dollars américains sont échangés chaque jour contre seulement 2000 milliards d’euros, son plus proche concurrent.

Le yuan arrive au cinquième avec un maigre 500 milliards de dollars sur une base quotidienne – le Canada se situe au septième rang.

Les autres monnaies des BRICS ne sont même pas dans le top 10… 

C’est dire à quel point il sera ardu pour les BRICS de renverser complètement les flux monétaires actuels, en plus de trouver une devise alternative sûre pour leurs réserves.

Et, même en cas de succès, les BRICS devraient faire face à la dépréciation du dollar américain qu’ils provoqueraient, en plus de devoir complètement inverser la structure de leur économie à l’aide d’investissements gigantesques.

Ils auraient, à très court terme en tout cas, plus à perdre qu’à gagner.

En conclusion, la création d’une nouvelle monnaie unique destinée aux BRICS ne mettrait pas en faillite les États-Unis et aurait davantage l’effet de cacher les faiblesses économiques de chacun de ces pays émergents.

Le mariage forcé de la Russie avec la Chine est la seule entente de rapprochement avec un pays qui lui donne une chance de s’en sortir économiquement.

Pour l’Empire du Milieu, il s’agirait plus d’affaiblir les États-Unis et d’avoir une mainmise sur l’économie de ses « alliés ».

Mais à quel prix?

 

À propos de ce blogue

Passionné d’économie et de philosophie politique, Pierre Graff évolue depuis 10 ans dans le monde des affaires. Il se questionne sur les enjeux politico-économiques au Québec et au Canada, et plus particulièrement ce qui affecte les jeunes gens d’affaires et les générations à venir. Il est actuellement PDG du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ).

Pierre Graff

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