D'autres leçons que je tire de la chute de Valeant

Publié le 24/03/2016 à 13:54

D'autres leçons que je tire de la chute de Valeant

Publié le 24/03/2016 à 13:54

Charlie Munger, l’associé de Warren Buffett, a souvent dit qu’il faut apprendre sa vie durant. Il a aussi dit qu’il fallait apprendre de ses propres erreurs, mais qu’il était encore mieux d’apprendre de celles des autres. J’ajouterais que c’est bien moins désagréable et coûteux! À cet égard, l’histoire de Valeant peut à mon avis en apprendre beaucoup à l’investisseur.

Le numéro d’hier du Wall Street Journal nous apprenait que le président de longue date de Ruane, Cunniff & Goldfarb, M. Robert Goldfarb, allait prendre sa retraite le 31 mars prochain. Cette firme de gestion est devenue célèbre grâce aux rendements du fonds Sequoia. Depuis son lancement en 1970 par Bill Ruane, un ami de Buffett, ce fonds a toujours eu pour stratégie d’investir de façon très concentrée dans quelques titres sous-évalués. De fait, lorsque Buffett a fermé son fonds d’investissement privé en 1969, il a dirigé plusieurs de ses investisseurs vers le fonds Sequoia. Ceux-ci ont été bien servis, car les rendements à long terme du fonds ont largement surpassé ceux du marché américain dans son ensemble.

Or, les difficultés récentes de Sequoia sont intimement liées au titre de Valeant. Selon le Wall Street Journal, l’investissement du fonds dans Sequoia représentait plus de 30% de sa valeur à un certain point en 2015. On écrit également que M. Goldfarb était le «champion» de Valeant. M. Poppe, partenaire de M. Goldfarb et son remplaçant à la tête de la firme de gestion, aurait écrit que dorénavant la firme se concentrerait sur des sociétés qui sont «des leaders de leur secteur et qui offrent une marge de sécurité, un faible niveau de dette et une excellente équipe de direction».

Faire des erreurs arrive aux meilleurs investisseurs. Si vous voulez avoir une fiche parfaite (mais des rendements anémiques), investissez dans des certificats de dépôt. Investir en Bourse comporte des risques et tout investissement, malgré toutes les analyses et les vérifications diligentes que l’on puisse effectuer, peut s’avérer un échec. C’est pourquoi un investisseur doit toujours rester humble face à ses succès et optimiste dans les périodes plus difficiles.

Or, à la base, il me semble que l’humilité devrait se traduire par un portefeuille adéquatement diversifié. Convaincu qu’il vaut mieux investir dans un nombre restreint de sociétés et avoir un portefeuille concentré, j’estime qu’un portefeuille de 15 à 30 titres est adéquat pour la majorité des investisseurs actifs. Mais plus de 30% dans un seul titre? Cela me semble très dangereux. Il peut à mon avis être sensé pour un investisseur autonome et aguerri d’investir 30% de son propre portefeuille dans un titre, mais il en va tout autrement pour le gestionnaire d’un fonds dans lequel on peut présumer que certains investisseurs ont placé leur fonds de pension. L’humilité devrait nous indiquer que même si nous avons la plus grande confiance dans une société et dans son titre, y investir 30% de son portefeuille représente un risque excessif. Une trop grande confiance peut mener à de mauvaises décisions et à une trop grande prise de risque. On devrait toujours se demander «et si je me trompais?»

Quand je dis qu’il est plus agréable d’apprendre des erreurs des autres que de ses propres erreurs, c’est que nous avons nous-mêmes commis le même genre d’erreur que Sequoia dans les années 1990. À l’époque, nous étions actionnaires de Geac Computer, qui était dirigée par Steve Sadler (aujourd’hui président de Enghouse Systems, dont nous sommes actionnaires). Le grand succès financier et boursier de Geac dans les années 1990 a fait que cet investissement valait plus de 15% de la valeur de certains portefeuilles sous notre gestion. Après que Sadler eut quitté la société (apparemment en raison d’une dispute avec son conseil d’administration concernant sa stratégie d’acquisition), celle-ci a embauché un nouveau président. Au bout de quelques mois, ce dernier a réalisé une acquisition majeure qui a presque acculé la société à la faillite au cours des années subséquentes...

Une autre leçon que je tire des difficultés de Sequoia est qu’il ne faut jamais changer sa philosophie d’investissement, surtout lorsqu’elle a connu autant de succès pendant tant d’années. Je soupçonne que Sequoia avait investi dans Valeant il y a plusieurs années alors que la société était encore petite, qu’elle était en bonne santé financière et que son titre était évalué convenablement. L’erreur n’a probablement pas été d’acheter le titre de Valeant à cette époque (au contraire), mais bien plus de ne pas l’avoir vendu au fil des ans alors que sa dette devenait très élevée et que le titre ne correspondait plus aux critères qui avaient mené à son achat.

Les difficultés de Sequoia me rappellent que nul n’est à l’abri de revers boursiers et que l’humilité est une qualité essentielle pour réussir en Bourse.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA

À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est président et chef des placements chez COTE 100, une boutique de gestion de portefeuilles. Il est également éditeur de la Lettre financière COTE 100, publiée depuis 1988.

 

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