Des incitatifs inadaptés derrière le scandale de Wells Fargo

Publié le 16/09/2016 à 15:02

Des incitatifs inadaptés derrière le scandale de Wells Fargo

Publié le 16/09/2016 à 15:02

Prenez garde à ce que vous demandez, car vous pourriez très bien l'obtenir! C'est ma traduction libre de l'adage anglais qui m'est venu à l'esprit en prenant connaissance du scandale qui éclabousse présentement la société américaine Wells Fargo: «Be careful what you wish for, you might just get it.»

En effet, Wells Fargo, la plus importante banque américaine en fonction de la valeur boursière, fait face à une pénalité de 185 M$ pour des pratiques de vente illégales de la part de certains de ses employés. Apparemment, un certain nombre d’entre eux auraient ouvert jusqu’à 2 millions de comptes bancaires et de cartes de crédit à des clients de la banque à l’insu de ces derniers. Ces employés, dont 5 300 ont depuis été remerciés par Wells Fargo, auraient été incités à agir de la sorte par la structure de rémunération établie par l'entreprise, laquelle tablait entre autres sur le nombre de produits financiers vendus aux clients de la banque par ses représentants.

Il faut dire que la pression est forte pour les grandes banques de trouver des manières de croître. L'économie croît lentement, les taux d'intérêt très bas exercent une pression constante sur leurs marges de profit et la concurrence est féroce dans l'industrie. Dans un tel environnement, il semble logique de miser sur les «ventes croisées», de favoriser la vente de produits financiers additionnels aux clients existants. Celle qui réussit par exemple à vendre en moyenne 3, 4 ou 5 produits financiers à ses clients augmente sensiblement ses revenus, sans que ses coûts augmentent autant. C'est souvent un tel raisonnement qui justifie les acquisitions et fusions des banques. Les banques canadiennes ont toutes en place de telles stratégies de «ventes croisées».

Jusqu'ici, il n'y a pas de problème: la stratégie des ventes croisées est présente dans tous les secteurs, pas seulement dans le monde de la finance. Le problème commence lorsque le régime de rémunération devient trop agressif et qu’il incite les employés d'une entreprise à vendre des produits ou services à des clients qui n'en ont pas réellement besoin. On a tous fait l'expérience très désagréable du vendeur sous pression dans le passé: cette pression émane de sa façon inadéquate d'être rémunéré. Un régime de rémunération mal conçu peut très bien favoriser la croissance d'une entreprise, mais il peut aussi mener à des abus flagrants de ses clients. Un régime adéquat doit être équilibré et favoriser la croissance tout en évitant d’inciter les employés à avoir recours aux abus et aux pratiques frauduleuses.

Je crois que de nombreux scandales corporatifs sont directement attribuables à des programmes de rémunération mal adaptés. Oui, la croissance est un objectif louable pour les entreprises, mais il faut faire très attention de ne pas inciter ses employés à adopter des comportements douteux afin d’obtenir leur bonus. À mon avis, la crise financière de 2008-2009 a été en grande partie créée par un système d’incitatifs financiers qui poussaient les employés des banques à émettre des hypothèques à des gens qui n’auraient pas dû obtenir de tels prêts. D’autres scandales tels que ceux de SNC ou de Volkswagen sont probablement liés à des régimes de rémunération inadéquats. 

Ces exemples démontrent clairement qu’il faut faire très attention aux objectifs de croissance à court terme; ils peuvent mener à des comportements susceptibles d’être très néfastes pour une entreprise à long terme. L’utilisation extrême de programmes d’options sur actions pour les hauts dirigeants mène souvent à des décisions orientées sur le court terme, souvent sans grand égard aux objectifs à plus long terme des actionnaires ou des clients de la société.

À bien y penser, l’adage «Prenez garde à ce que vous demandez, car vous pourriez très bien l’obtenir» ressemble étrangement à l’expression populaire selon laquelle «la fin justifie les moyens».

Philippe Le Blanc, CFA, MBA

À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est président et chef des placements chez COTE 100, une boutique de gestion de portefeuille. Il est également éditeur de la Lettre financière par COTE 100, publiée mensuellement depuis 1988.

 

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