Vous recrutez? Gare à l'effet Apollo!

Publié le 29/03/2017 à 06:02, mis à jour le 29/03/2017 à 06:03

Vous recrutez? Gare à l'effet Apollo!

Publié le 29/03/2017 à 06:02, mis à jour le 29/03/2017 à 06:03

Un effet dévastateur, à moins d'apprendre à le contrer subtilement... Photo: DR

Tout comme vos concurrents, vous êtes aujourd'hui en quête de talents qui, avez-vous l'impression, se font de plus en plus rares. Et ce, avec une idée fixe en tête : recruter les meilleurs, pour ne pas dire la crème de la crème.

Est-ce que je me trompe? Non, bien sûr que non.

Mais voilà, est-ce là la meilleure stratégie de recrutement qui soit? Oui, vous êtes-vous demandé, ne serait-ce qu'une seule fois, si vous aviez réellement besoin de vous doter du ou des meilleurs sur le marché du travail? J'imagine que non : à l'image de vos concurrents, vous foncez tête baissée, droit sur tout ce qui brille. Sans réfléchir.

Et si une telle attitude ne faisait que vous précipiter dans le vide...

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Cette réflexion m'est venue à la lecture d'une étude intitulée Dream teams and the Apollo effect, laquelle est signée par deux professeurs d'économie : Alex Gershkov, de l'Université hébraïque de Jerusalem (Israël), et Paul Schweinzer, de l'Université de Klagenfurt (Autriche). Une étude fascinante, comme vous allez vite le saisir à votre tour...

Les deux chercheurs se sont demandé si mettre en équipe les meilleurs qui soient était vraiment une bonne chose à faire au travail : une telle équipe de rêve (dream team, en anglais) était-elle nécessairement appelée à surclasser les autres, en particulier celles des compétiteurs de l'entreprise dans laquelle elle évolue? Et par suite, les recruteurs faisaient-ils bien de toujours chercher la perle rare, histoire d'en doter la meilleure équipe de l'entreprise?

Pour s'en faire une idée, ils ont concocté un modèle de calcul économétrique, lequel visait à identifier la meilleure stratégie à adopter pour un recruteur confronté à un telle situation. Le principe était grosso modo le suivant :

– Le recruteur en question était le directeur des ressources humaines (DRH) de l'entreprise, bien informé des besoins à combler, mais pas pour autant totalement bien informé puisqu'il n'est pas dans les souliers du dirigeant de l'équipe concernée. Autrement dit, il a pour objectif de recruter le meilleur qui soit, sans pour autant être entièrement à même de l'identifier.

– Le recruteur effectue une sélection de candidats.

– Le recruteur choisit le meilleur d'entre eux, à ses yeux.

– Le nouveau venu intègre la meilleure équipe de l'entreprise, et donne son 110%.

– L'employeur évalue la performance de l'équipe dotée du nouveau venu, au regard de la performance des autres équipes de l'entreprise.

Résultat? Tenez-vous bien, très bien même :

> Une performance catastrophique. En général, la performance de l'équipe se met aussitôt à... dégringoler! Oui, vous avez bien lu : la toute nouvelle équipe de rêve se plante en beauté, enregistrant échec sur échec. Ni plus ni moins.

Pourquoi? Parce qu'elle se met dès lors à souffrir de l'effet Apollo.

Le quoi? L'effet Apollo, du nom de la mission lunaire Apollo 13 qui s'est volatilisée en plein vol le 14 avril 1970. (Souvenez-vous, celle où l'astronaute Jack Swigert, d'un calme fantastique, a dit pour annoncer la panne catastrophique : «Houston, we've had a problem».) Un phénomène mis au jour par le psychosociologue britannique Meredith Belbin, à l'occasion de la sortie de son livre Management Teams – Why they succeed or fail, en 1981. Explication.

Dans les années 1960, M. Belbin a eu l'idée de mettre en compétition des équipes de travail normales (c'est-à-dire composées au hasard de personnes plus ou moins talentueuses), à l'exception d'une seule, elle formée des personnes les plus douées de l'ensemble des participants. Et il a ainsi découvert avec effarement que des 25 compétitions ainsi organisées, l'équipe de rêve ne l'avait emporté que... 3 fois. De manière générale, elle se classait presque toujours à la 6e des 8 places du palmarès.

Comment expliquer une telle contre-performance? L'analyse de M. Belbin a montré que quatre facteurs récurrents avaient joué :

> Des débats sans fin. Les membres de l'équipe de rêve n'en finissaient pas de débattre entre eux, chacun tentant de rallier les autres à son point de vue, notamment en soulignant les faiblesses des arguments avancés par les autres. Ces débats ne menaient à rien d'autre que la paralysie décisionnelle de l'équipe.

> Un compromis avant tout. Les membres de l'équipe de rêve peinaient à arriver à un consensus, si bien qu'ils en arrivaient, pressés par le temps, à retenir une solution que chacun savait imparfaite, mais qui présentait l'avantage, à leurs yeux, d'être un compromis entre les différentes opinions en présence.

> Aucune capacité d'adaptation. Les membres de l'équipe de rêve agissaient ensuite sans tenir aucun compte de ce que faisaient les autres équipes, celles qu'ils savaient être a priori moins douées que la leur. Du coup, ils n'avaient pas le réflexe d'adapter leur stratégie à l'environnement changeant dans lequel ils se trouvaient.

> Une curieuse paralysie intellectuelle. Dans certains cas, les membres de l'équipe de rêve ont réalisé à temps qu'ils s'y prenaient mal à discuter ainsi sans fin, mais ils n'ont malheureusement pas su corriger le tir : ils sont alors tombés dans l'excès inverse, et ont évité toute forme de confrontation entre eux. Le débat d'idées n'ayant, du coup, plus eu lieu, il leur a été impossible d'identifier la bonne solution, celle qui leur aurait permis de triompher.

Bref, ces quatre facteurs-là représentaient ce que le chercheur britannique a dénommé le «syndrome Apollo», qui veut que la réunion des personnes les plus douées mène, en général, à une contre-performance monumentale. À l'image de ce qui s'est produit lors de la mission Apollo 13, un désastre pour la Nasa en dépit du fait que les meilleurs scientifiques et astronautes avaient oeuvré ensemble en donnant chacun son 110%.

Inversement, les rares équipes de rêve qui avaient été couronnées de succès avaient bénéficié de deux facteurs particuliers :

> Une absence d'ego surdimensionné. Les membres de l'équipe de rêve présentaient la particularité de ne pas avoir d'ego surdimensionné. Pour aucun d'eux, je le souligne.

> Un leadership collectif inédit. Les membres de l'équipe de rêve avaient spontanément adopté un leadership collectif à nul autre pareil, qui se caractérisait par :

– Zéro leader. Les membres de l'équipe ont convenu qu'aucun d'eux n'agirait en leader.

– Répartition des rôles. Ils se sont répartis différents rôles, en fonction des talents des uns et des autres. Du coup, il n'y avait plus de rivalités liées aux compétences.

–  Objectif commun. Ils se sont ensuite accordés sur l'objectif commun visé, puis sur les étapes permettant d'y parvenir avec efficacité. Chacun savait dès lors quand ses talents devaient entrer en jeu, et quand ils devaient laisser les talents des autres s'exprimer, en toute liberté.

–  Critiques constructives. Ils se permettaient de faire des critiques constructives, dès qu'ils sentaient que l'un d'eux n'agissait pas de la meilleure façon qui soit. Ces critiques étaient franches et directes, mais ne visaient jamais à blesser; c'est que l'objectif commun était de remporter la compétition, et non pas de blâmer Pierre ou Paul. Le cas échéant, ils lui donnaient un coup de main.

Autrement dit, les équipes de rêve qui avaient été victorieuses avaient fonctionné... en cercle! Oui, en cercle, puisqu'en matière de management fonctionner en cercle revient à considérer que chacun est l'égal des autres et est appelé à contribuer autant que les autres au succès collectif. Un concept parfaitement illustré par cette forme géométrique harmonieuse : par défintion, un cercle est un ensemble de points égaux (les membres de l'équipe) situés à égale distance du centre (l'objectif commun).

Impressionnant, n'est-ce pas? Bon, maintenant, revenons à l'étude de MM. Gershkov et Schweinzer. Et au fait que l'effet Apollo est d'autant plus dévastateur qu'il est systématique à partir du moment où :

– on réunit ensemble des personnes qui se croient les meilleures dans leur domaine;

– on les met en compétition avec des équipes considérées comme inférieures;

– on laisse le champ libre à une guerre d'egos.

Qu'en déduire concernant le recrutement? C'est on ne peut plus simple : il est carrément absurde de s'acharner à recruter les meilleurs qui soient. Car c'est filer droit dans le mur. À moins, bien entendu, d'accepter l'idée de fonctionner en cercle, mais reconnaissons que ce n'est pas encore à la portée de tout un chacun.

Mieux vaut, en vérité, procéder de façon plus subtile qu'à l'habitude :

> Qui entend s'enrichir de nouvelles personnes talentueuses doit veiller à ne pas recruter... les plus talentueux! Il lui faut non pas chercher à embaucher les meilleurs, mais plutôt ceux qui ont des talents complémentaires – voire, mieux encore, supplémentaires – aux membres de l'équipe déjà en place; et ce, en veillant soigneusement à ce que les valeurs des candidats retenus pour l'entretien correspondent à celles en vigueur au sein de l'organisation. Puis, il doit adapter le style de management en vigueur au sein de l'équipe du ou des nouveaux venus dans l'optique de faire tendre son fonctionnement vers le cercle. Par exemple, cela peut revenir à accorder davantage d'autonomie à chacun que ne le veut la coutume, ou encore à demander au leader de se mettre davantage au service des autres au lieu de considérer que ce sont eux qui sont à son service. Car c'est ainsi qu'il parviendra à contrer subtilement l'effet Apollo.

En passant, le général et homme d'État français Charles de Gaulle aimait à dire : «Le talent est un titre de responsabilité».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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