Voilà pourquoi les programmes de mieux-être ne donnent rien!

Publié le 02/02/2018 à 06:09, mis à jour le 02/02/2018 à 15:22

Voilà pourquoi les programmes de mieux-être ne donnent rien!

Publié le 02/02/2018 à 06:09, mis à jour le 02/02/2018 à 15:22

C'est que ceux qui s'y inscrivent... n'en ont guère besoin! Photo: DR

Les dépenses en soins de santé ne cessant de grimper dans nos sociétés modernes ces derniers temps, politiciens, assureurs et employeurs ont cherché le meilleur moyen d'enrayer cette fâcheuse tendance. Résultat? Une des solutions les plus prisées consiste à inciter les employés à suivre des programmes de mieux-être, pour se remettre en forme, pour manger plus sainement, pour arrêter de fumer, etc. Et une nouvelle industrie est née en un clin d'oeil, celle du mieux-être : chez nos voisins du Sud, elle a vu sa taille tripler depuis 2010, pour atteindre aujourd'hui quelque... 8 milliards de dollars américains!

La question saute aux yeux : «Les programmes de mieux-être au travail, qu'est-ce que ça donne?» Oui, sont-ils efficaces, en ce sens qu'ils permettent vraiment aux employés de gagner en santé et en bien-être? En ce sens encore que les employés gagnent, du coup, en efficacité, voire en productivité, au travail? En ce sens enfin que les employeurs en sortent gagnants, eux aussi, grâce à un beau retour sur l'investissement? C'est que lorsque surgit de nulle part, ou presque, une industrie de plusieurs milliards de dollars, elle a intérêt à tenir ses promesses...

Bon. Vous êtes bien assis? Parce que j'ai la réponse à cette interrogation lourde de conséquences. Si, si... Et cette réponse est clairement... négative. Les programmes de mieux-être de donnent rien! Ni pour les employés ni pour les employeurs. Explication.

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Damon Jones est professeur d'économie à l'École d'administration publique Harris, à Chicago (États-Unis). Quant à David Molitor et Julian Reif, ils sont tous deux professeurs de finance à l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign (États-Unis). Ensemble, ils ont tenu à répondre, dans le cadre d'une étude intitulée What do workplace wellness programs do? Evidence from the Illinois workplace wellness study, à trois questions qui sont a priori loin d'être évidentes:

1. Les incitations financières favorisent-elles vraiment la participation des employés à un programme de mieux-être?

2. Quels sont les profils précis des employés qui participent bel et bien à un programme de mieux-être?

3. Quels sont les impacts réels des programmes de mieux-être sur les dépenses en soin de santé, sur la productivité, sur les comportements bénéfiques à la santé ainsi que sur le bien-être des employés?

Pour s'en faire une idée, les trois chercheurs ont concocté un programme complet de mieux-être intitulé iThrive, dans lequel chacun pouvait piger à sa guise:

– Rencontres individuelles avec un coach spécialisé (en fonction des besoins de chacun);

– Cours de tai chi;

– Accès à un gym;

– Conseils financiers (en cas de stress financier);

– Conseils nutritionnels;

– Ligne téléphonique ouverte 24h/24 pour aider à arrêter de fumer;

– Etc.

Ce programme gratuit a été offert aux 12.459 employés de l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign. Et 4.834 d'entre eux ont pris la décision de s'y inscrire, sachant que la condition était de se prêter dès lors aux exigences des trois chercheurs, lesquelles consistaient essentiellement à enregistrer une foule de données à leur sujet (ex.: le nombre de fois où ils allaient au gym; leurs dépenses en soin de santé; etc.). Car ces données-là leur permettraient de répondre aux trois questions qu'ils se posaient.

À leur insu, les participants ont été placés dans des conditions de départ distinctes. En effet, six groupes ont été formés, lesquels se sont fait offrir des incitatifs financiers allant de 50 à 350 $ US, histoire de les motiver à se montrer assidus dans leurs efforts pour gagner en bien-être. (À noter qu'un autre groupe a été formé en parallèle, pour lequel il n'a jamais été question d'incitatif financier.) L'argent pouvait être touché, ou pas en cas de manque d'assiduité, au bout d'une année de participation au programme.

Résultats? Ils sont clairs comme de l'eau de roche :

> Les incitatifs financiers sont inutiles. Lorsqu'il n'y a aucun incitatif financier, 47% des participants se montrent assidus dans le programme de mieux-être qu'ils ont choisi. Lorsque l'incitatif est de 100 $ US, le taux de participation grimpe à 59%, ce qui représente un gain de 12 points de pourcentage. Enfin, le taux de participation ne bouge quasiment plus par la suite (ex.: il est de 63% pour 200 $ US).

Qu'est-ce que ça signifie? Que les incitatifs financiers ne motivent guère les participants à un programme de mieux-être. Ce n'est pas si qui va susciter chez eux l'envie véritable de gagner en bien-être au travail. Et par voie de conséquence, qu'«il ne sert quasiment à rien à un employeur d'adopter une politique d'incitatifs financiers pour motiver ses employés à se porter mieux», d'après les trois chercheurs.

> Aucun impact significatif sur les employés en plus ou moins bonne santé. Les participants actifs au programme iThrive n'ont guère moins dépensé en soins de santé que les autres, à savoir les participants passifs et ceux qui n'y étaient pas inscrits. Oui, ils ont dépensé un peu moins, mais pas de manière significative.

Comment cela se fait-il? Les trois chercheurs ont creusé dans leurs données, et la vérité leur a sauté en pleine face : la grande majorité des participants actifs étaient... déjà en assez bonne santé avant de se lancer dans le programme!

Autrement dit, les employés déjà soucieux d'être en pleine forme et de leur bien-être au travail ont sauté sur l'occasion qui se présentait à eux, à savoir un programme riche et gratuit pour les aider à aller encore mieux. Ce qui, en vérité, est d'aucun bénéfice pour l'employeur, qui, lui, espérait pouvoir ainsi améliorer le bien-être des employés connaissant diverses difficultés (santé, finance, etc.) nuisant à leur efficacité et à leur productivité au travail. C'est bien simple, ces employés-là ont soit lâché prise et n'ont pas réussi à se montrer assidus dans le programme qu'ils avaient choisi, soit refusé d'emblée de s'inscrire à iThrive.

> Aucun impact significatif global sur les dépenses en soin de santé, sur la productivité, sur les comportements bénéfiques à la santé ainsi que sur le bien-être des employés. Les trois chercheurs ont eu beau chercher et encore chercher dans leurs données, ils n'ont identifié aucun impact positif global sur tous ces points-là. Aucun gain global en santé. Aucun gain global en productivité au travail. Aucun gain global encore en bien-être. Bien entendu, ici et là, quelque individus leur ont indiqué que le programme iThrive leur avait été bénéfique. Mais globalement, il n'y a, en vérité, aucun impact significatif. Or, c'est justement le but que poursuivait l'employeur...

«Des études précédentes montrent que pour vraiment sentir un impact global positif d'un programme du type de iThrive, il faut attendre la troisième année. Il se trouve que notre expérience ne porte que sur une année. On pourrait croire qu'il est donc trop tôt pour tirer des conclusions. Cela étant, nos données ne montrent aucun signe positif, aucun début de tendance qui permettrait d'avoir l'espoir d'une amélioration globale dans les deux prochaines années», indique l'étude, en ajoutant que l'expérience va malgré tout être encore poursuivie pendant trois autres années.

D'ailleurs, un signe ne trompe pas, d'après les trois chercheurs : «Il y a chez nous une course annuelle qui est très populaire, à laquelle tout le monde peut participer, qu'on soit en plus ou moins bonne forme. L'important n'est pas de gagner, mais de participer, et beaucoup le font en famille. Nous avons invité les participants à s'y inscrire, surtout si c'était la première fois pour eux. Or, quasiment aucun d'eux ne l'a fait. Ce qui montre bien que le programme iThrive, aussi séduisant soit-il sur le papier, n'a pas réussi à modifier fondamentalement leur comportement», disent-ils.

Voilà. Les programmes de mieux-être ne donnent rien. Du moins, globalement. Car ils ne profitent, au fond, qu'à ceux qui sont convaincus et soucieux de leur bien-être.

Faut-il, pour autant, laisser tomber tous ces programmes-là? Non, mille fois non, bien entendu. Ils vont clairement dans la bonne direction, mais ne touchent malheureusement pas les bonnes personnes. Et c'est cela qu'il conviendrait de modifier. Ce qui peut se faire, je pense, de différentes façons (je suis sûr que vous en trouverez plein, en prenant le temps d'y réfléchir).

Un dernier point, que je me permets de vous glisser en guise de clin d'oeil... Les trois chercheurs se sont sentis frustrés de n'avoir rien trouvé de positif aux programmes de mieux-être si bien qu'ils ont fouillé davantage dans leurs données, en quête d'au moins une bonne nouvelle. Et ils ont fini par en dénicher une. Mais, moi, elle m'a fait sourire jaune...

Quelle est cette "bonne" nouvelle? Eh bien, le fait de s'inscrire à un programme tel qu'iThrive a un impact positif. Un seul : les participants, actifs comme passifs, ont dès lors une meilleure image de l'équipe de direction de l'organisation, estimant que celle-ci a «vraiment le souci d'améliorer la santé et la sécurité des employés». Bref, les programmes de mieux-être ne servent qu'à une seule chose, à redorer le blason des hauts-dirigeants. C'est tout.

Loin de moi l'idée de me montrer cynique, mais si jamais votre propre équipe de direction a vent des résultats de cette étude, et donc de l'inutilité des programmes de mieux-être, et continue néanmoins de les maintenir tels quels, feignant de savoir quoi que ce soit, ça signifie de toute évidence qu'ils n'agissent de la sorte que dans un seul but : redorer leur blason; point final. Et ce, par pur calcul : soit parce que les hauts-dirigeants entendent jouir d'une belle image auprès de leurs employés, soit parce qu'ils estiment que cette image-là est toujours séduisante auprès des partenaires d'affaires et autres actionnaires; un calcul qui écarte froidement l'intérêt des employés...

Ai-je raison sur ce point? Ai-je tort? À vous de voir...

En passant, le poète espagnol Gabriel Celaya a dit dans Et le reste est silence : «Les hommes ne sont ni dieux ni bêtes : ce sont les petits artisans d'un système et d'un bien-être».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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