Un peu de surpoids peut-il nuire gravement à votre carrière?

Publié le 08/06/2016 à 08:08

Un peu de surpoids peut-il nuire gravement à votre carrière?

Publié le 08/06/2016 à 08:08

Une réalité pour 62% des hommes au Canada... Photo: DR

Il y a des chiffres qui font écarquiller les yeux pendant plusieurs secondes, tant ils paraissent incroyables. Et j'ai bien envie de vous en soumettre deux aujourd'hui, juste pour vérifier par vous-mêmes que c'est bel et bien vrai. D'accord? OK, les voici :

> 62%. Soit le pourcentage d'hommes qui font de l'embonpoint ou sont carrément obèses au Canada, selon Statistique Canada.

> 46%. Soit le pourcentage de femmes qui font de l'embonpoint ou sont carrément obèses au Canada.

Par conséquent, ce sont presque 2 hommes sur 3 et 1 femme sur 2 qui font de l'embonpoint ou souffrent d'obésité. Oui, je dis bien 'souffrent' parce que, c'est bien connu, un tel état a des répercussions sur la santé des individus.

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La question saute dès lors aux yeux : cela peut-il également avoir un impact sur la carrière de ces personnes-là? Eh bien, il se trouve que j'ai mis la main sur une étude sur le sujet, intitulée The effect of weight on labor market outcomes: An application of genetic instrumental variables. Celle-ci est signée par : Petri Böckerman, professeur d'économie à l'École de sciences économiques de Turku (Finlande); John Cawley, professeur de management et d'analyse politique à l'Université Cornell (États-Unis); Terho Lehtimäki, professeur de chimie clinique à l'Université de Turku (Finlande) ; Ilkka Seppälä, chercheur en chimie clinique à l'Université de Tampere (Finlande); Jaakko Pehkonen, professeur d'économie à l'Université de Jyväskylä (Finlande), assisté de son étudiante Jutta Viinikainen; et Olli Raitakari, professeur de médecine cardiovasculaire de l'Université de Turku (Finlande), assisté de la chercheuse Suvi Rovio. Et elle y apporte une réponse que je trouve lumineuse, comme vous allez le voir...

Ainsi, les huit chercheurs ont noté que la plupart du temps les taux nationaux d'embonpoint et d'obésité étaient «autoproclamés» — comme c'est d'ailleurs le cas pour Statistique Canada —, c'est-à-dire qu'ils s'appuyaient sur des déclarations des personnes concernées quant à leur tour de taille et autres mesures en lien avec l'indice de masse corporelle (IMC). Et que cela posait un évident problème de fiabilité dans les données.

Or, ils ont réalisé que la Finlande disposait d'une base de données totalement objective à ce sujet, à savoir l'analyse du génome de plusieurs milliers de Finlandais qui a été entamée en 2009. De quoi s'agit-il? Tout bonnement de l'étude exhaustive de l'ADN de chacun de ces individus, et donc de l'ensemble de l'information génétique à leur sujet.

Pour vous donner une image, c'est comme si chacun de nous était une gigantesque bibliothèque — digne de la Grande Bibliothèque de Montréal — et que l'on entreprenait de lire chaque mot de chaque page de chaque livre qui s'y trouve; et de comprendre la logique du rangement des mots, des phrases, des chapitres et même des livres!

Quel intérêt de se pencher ainsi sur le génome des ces Finlandais? C'est simple : dans la majorité des cas, l'obésité a une origine génétique, si bien qu'il est possible — si l'on dispose du génome d'une personne — de savoir avec certitude si elle présente des dispositions, ou pas, au surpoids. Et par suite, cela donne la possibilité de croiser cette donnée avec d'autres, en l'occurrence l'évolution de la carrière des personnes faisant de l'embonpoint ou de l'obésité, en comparaison avec ceux qui n'en font pas.

Vous l'avez compris, c'est justement ce qu'ont entrepris les huit chercheurs. Résultats? Ils sont sans ambiguïté :

> Un salaire plus faible. Chaque fois que l'IMC d'une personne faisant de l'embonpoint ou de l'obésité grimpe d'un point, celle-ci voit son salaire diminuer de 6,6%.

> Une carrière plus courte. Chaque fois que l'IMC d'une personne faisant de l'embonpoint ou de l'obésité grimpe d'un point, celle-ci voit la durée de sa carrière reculer de 1,7%.

> Une plus grande probabilité de devoir recourir à l'aide sociale. Chaque fois que l'IMC d'une personne faisant de l'embonpoint ou de l'obésité grimpe d'un point, cela accroît la probabilité qu'elle doive recourir un jour à l'aide sociale de 2,9 points de pourcentage.

> Une aide sociale plus importante. Chaque fois que l'IMC d'une personne faisant de l'embonpoint ou de l'obésité grimpe d'un point, le montant de l'aide sociale qu'elle reçoit croît de 24,8%.

Autrement dit, il suffit de faire du surpoids pour être durablement pénalisé au travail : un salaire moindre, une carrière plus brève et même un risque accru de devoir recourir à l'aide sociale. Ce qui est le cas — je le souligne — de 2 Canadiens sur 3 et de 1 Canadienne sur 2. Renversant, n'est-ce pas?

Que faire, me direz-vous, pour remédier à cette situation? L'idée n'est certainement pas de se contenter de prôner différentes formes de régime alimentaire ou de pratiques sportives, dans l'optique d'améliorer l'état de santé des personnes faisant du surpoids. Non, l'idée est plutôt, à mon avis, de faire prendre conscience aux managers et autres dirigeants d'entreprises de la discrimination inconsciente dont sont victimes ces employés-là. Car, ne nous cachons pas la vérité, il se trouve qu'en général elles sont moins bien payées que les autres et jouissent d'une carrière un poil moins intéressante que les autres. Ni plus ni moins.

«Ces personnes font indiscutablement face à une discrimination professionnelle, comme en atteste notre étude. D'où la nécessité d'une prise de conscience commune de ce grave problème, et mieux, de l'élaboration et de l'application de lois spécifiques à ce sujet, là où cela n'est pas encore le cas. Car, au-delà de la résolution de drames individuels, c'est l'ensemble du marché de l'emploi qui s'en portera mieux», estiment les huit chercheurs dans leur étude.

En passant, l'écrivain polonais Stanislaw Jerzy Lec a dit dans ses Nouvelles pensées échevelées : «La légèreté a, elle aussi, son poids spécifique».

 

À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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