Souffrez-vous (sans le savoir) du syndrome de l'échec programmé?

Publié le 15/01/2019 à 06:06

Souffrez-vous (sans le savoir) du syndrome de l'échec programmé?

Publié le 15/01/2019 à 06:06

Attention: boum patatras! [Photo: DR]

J’ai aujourd’hui une drôle de question à vous poser : «Est-il possible que de bons managers amènent d’excellents employés à échouer?» Prenez le temps d’y réfléchir comme il faut. De creuser dans vos souvenirs, de vous rappeler ce jour où un bon boss à la tête d’une bonne équipe – dont vous faisiez peut-être partie – est allé droit dans le mur, contre toute attente.

Que s’est-il passé pour que tout aille de travers ? Mystère, pensez-vous peut-être. Ou bien, bête accident. Mais voilà, et si ce n’était pas aussi simple que ça… Et s'il y avait une explication effroyablement logique à tout ça…

En classant de vieux papiers sur mon bureau, j’ai retrouvé un article du quotidien suisse Le Temps que j’avais mis de côté. Et lorsque j’ai pris hier un moment pour le lire, je me suis aussitôt dit qu’il fallait que j’en partage la substantifique moelle avec vous. C’est qu’il traite justement de ce sujet épineux, en lui apportant un éclairage inédit.

Il s’agit d’une entrevue de Jean-François Manzoni, le Français qui préside l’école de commerce IMD de Lausanne depuis 2017, après y avoir été enseignant. Celui-ci est connu pour ses travaux sur les relations dysfonctionnelles dans le monde de l’entreprise, et en particulier pour ses réflexions sur ce qu’on appelle le «syndrome de l’échec programmé».

«Avec mon collègue Jean-Louis Barsoux, j’ai montré qu’à partir du moment où un manager commence à avoir des doutes sur l’efficacité d’un employé, une dynamique particulière se met en place, dit M. Manzoni. Celui-ci donne alors des instructions de plus en plus spécifiques, il effectue un suivi de plus en plus serré et il devient de plus en plus tendu dans les échanges avec l’employé.

«Par voie de conséquence, l’employé en question se doute qu’il ne donne pas satisfaction, qu’il agace peut-être même son manager. Résultats ? Sa motivation en est affectée, tout comme sa confiance en lui-même. Ce qui ne manque pas d’affecter sa performance au travail.

Bref, un cercle vicieux se met en place, lequel peut mener à l’échec un excellent employé.»

L’ennui, c’est que lorsque cela se produit, le manager ne se rend même pas compte qu’il est fautif dans cette histoire. Il a l’impression de bien faire son travail, en serrant un peu la vis à un élément de son équipe qui semble faiblir par rapport aux autres. Et ce, convaincu qu’il est que son rôle de leader consiste avant tout à commander et à contrôler.

Le manager ne se rend compte de rien pour trois raisons principales, d’après M. Manzoni :

– Le processus est autoréalisant. «C’est-à-dire que le manager estime faire de son mieux pour aider son employé, mais ce faisant, il instaure une dynamique qui mine la performance de ce dernier. À cela s’ajoute le fait qu’il observe alors une performance déclinante de la part de l’employé, ce qui le conforte dans son opinion de départ.»

– Le biais de confirmation entre en jeu. «C’est bien connu, l’être humain voit toujours ce qu’il veut bien voir, il interprète les informations selon ses opinions et il se souvient souvent des choses de façon biaisée. Dans notre exemple, le cadre ne voit plus les bonnes performances de son employé. Ce dernier était mauvais, disons, 30% du temps; par son comportement, son boss le rend mauvais, disons, 60% du temps, et il ne voit plus les 40% restants de bonne performance. Ou alors il attribue les choses bien faites à des facteurs extérieurs (ex.: «C’était franchement facile», «Il faut dire qu’on l’a bien aidé sur ce coup-là» et autres «Il a eu beaucoup de temps»). On est dès lors confronté au fait que l’être humain refuse d’avoir deux idées contraires dans son esprit.»

– Deux cercles vicieux voient le jour. «Lors du processus, l’employé s’aperçoit de tout cela et perd toute considération pour son boss. Il lui colle à son tour une étiquette négative, et se comporte d’une façon qui trahit cette croyance. Résultats ? Un: le manager se trouve renforcé dans le peu d’estime qu’il avait déjà pour son employé. Deux: l’employé crée lui aussi un processus autoréalisant à l’égard de son boss: chaque fois que le cadre réagit de la bonne façon, l’employé ne le voit plus, car il exclut à son tour les informations non congruentes. Bref, deux cercles vicieux sont maintenant à l’œuvre, et se renforcent mutuellement!»

Voilà ce qu’est, au fond, le syndrome de l’échec programmé. À vouloir «trop» bien faire, un manager finit par pourrir le talent d’un employé, voire d’une équipe entière. Ce qui mène tout le monde droit dans le mur.

Le hic, c’est que chacun pense bien faire. Le manager, qui agit dans les meilleures intentions du monde, ayant à cœur le succès individuel comme collectif de ses employés. L’employé remis en question, qui peine à saisir pourquoi son boss est toujours sur son dos et ne voit aucune issue à l’enfer qu’est devenu son quotidien au travail.

À noter un point intéressant : l’employé peut être à l’origine de l’échec programmé. «Par exemple, on peut imaginer le cas où un nouveau manager remplace un boss qui était très apprécié par son équipe. Un des employés peut prendre en grippe le nouveau venu, et tout faire pour lui mettre le maximum de pression possible», illustre M. Manzoni.

La question saute aux yeux : comment remédier à une telle situation ? Eh bien, ce n’est pas si sorcier que ça…

«La moitié du travail est faite lorsqu’on réalise qu’on est pris dans un cercle vicieux, pour ne pas dire dans deux cercles vicieux, explique-t-il. Une fois que cette prise de conscience est faite, il suffit de mettre en place un dialogue constructif, qui permet au manager non seulement de verbaliser ses craintes quant à la performance de l’employé, mais aussi de réaliser les conséquences dramatiques de son propre comportement. Le but premier de ce dialogue sera d’identifier et d’appliquer à l’avenir une méthode de gestion qui ne soit ni démotivante ni déshumanisante.»

Autrement dit, la solution est triple : communiquer, communiquer et encore communiquer. Et ce, de manière foncièrement bienveillante.

Jean-François Manzoni d’ajouter : «Sumantra Ghoshal, l’une de mes sources d’inspiration en matière de management, disait que le rôle d’un leader n’est pas de présider à l’inévitable, mais plutôt de produire un résultat qui n’aurait pas été atteint sans son intervention. Et j’ajouterais «atteindre ce résultat de façon à améliorer la situation initiale»».

Voilà. Peut-être venez-vous de saisir que vous souffrez du syndrome de l’échec programmé – M. Manzoni souligne d’ailleurs que «tout le monde peut en être affecté, quel que soit son niveau hiérarchique». Peut-être venez-vous de réaliser que votre équipe est aujourd’hui en train de foncer bêtement dans le mur. Fort heureusement, vous disposez à présent d’un bon moyen d’y remédier. À vous d’en faire bon usage !

En passant, l’aviateur français Jean Mermoz aimait à dire : «Ce sont les échecs bien supportés qui donnent le droit de réussir».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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