Les mots que vous utilisez au travail peuvent-ils vous nuire?

Publié le 08/11/2016 à 06:12, mis à jour le 10/11/2016 à 15:34

Les mots que vous utilisez au travail peuvent-ils vous nuire?

Publié le 08/11/2016 à 06:12, mis à jour le 10/11/2016 à 15:34

Une gaffe est si vite arrivée... Photo: DR

Au travail, nous faisons toujours attention aux mots que nous utilisons. C'est qu'il importe, entre autres, de ne blesser personne (ex.: une blague foireuse sur les Newfies, sans penser deux secondes que la mère de notre interlocuteur vient de Terre-Neuve), ou encore de ne pas dire tout haut la vérité dérangeante qui hurle dans notre tête (ex.: Penser «Non, mais quel con, ce type!» en face de son nouveau boss au moment où celui-ci se présente à tous en soulignant que, partout où il est passé, ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui ont vite pris leurs cliques et leurs claques). Et surtout, de ne pas faire de gaffe, de ne pas dire le mot de trop, celui qui ferait voler en éclats l'image qu'on projette au travail...

Bref, vous comme moi, nous maintenons une vigilance constante quant à ce que nous disons au travail. Par prudence, voire par peur du dérapage qui nous enverrait dans le décor.

Mais voilà, j'ai une question pour vous, aujourd'hui : une telle prudence suffit-elle?

Et si, en vérité, les termes et les formulations auxquelles nous recourons le plus souvent disaient tout haut ce que nous pensons tout bas... Oui, et si nous envoyions aux autres des signaux oraux dont nous n'avons même pas conscience, des signaux qui trahiraient nos pensées les plus profondes, voire les plus secrètes...

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Imaginez que j'ai la réponse à cette interrogation existentielle! Si, si... Je l'ai dénichée dans une étude intitulée When words sweat: Identifying signals for loan default in the text of loan applications et signée par deux professeurs de marketing : Oded Netzer, de l'École de commerce Columbia à New York (États-Unis), assisté de son étudiant Alain Lemaire; et Michal Herzenstein, de l'Université du Delaware à Newark (États-Unis). Regardons ensemble de quoi il retourne, et attendez-vous à quelques surprises à faire froid dans le dos...

Les trois chercheurs ont noté que le financement participatif (crowdfunding, en anglais) était de plus en plus populaire aux États-Unis, à tel point que pas loin de 1 foyer américain sur 5 y recourt maintenant pour décrocher une hypothèque. Et que cette industrie qui pèse actuellement 34,4 milliards de dollars américains présente une faiblesse, de taille : le prêteur ne rencontre jamais l'emprunteur en personne. Autrement dit, se pose la question fondamentale de la manière dont peut être établi le nécessaire lien de confiance entre les deux.

D'où leur idée de se plonger dans une formidable base de données à ce sujet, celle du site Web Prosper.com, qui compte plus de 2 millions de membres et plus de 7 milliards de dollars américains en hypothèques contractées. Et plus précisément, dans les lettres rédigées par les emprunteurs potentiels, visant à indiquer pourquoi ils ont besoin de la somme d'argent demandée, et indirectement, à rassurer les prêteurs potentiels quant à leur capacité à honorer leur dette.

Ils ont ainsi glissé dans un ordinateur quelque 140.000 lettres d'emprunteurs rédigées entre avril 2007 et octobre 2008, puis ils ont regardé s'il y avait la moindre corrélation entre les mots utilisés et les défauts de paiement de certains.

Résultats? Tenez-vous bien :

> Un défaut de paiement prévisible. Il est possible de prévoir le défaut de paiement d'une personne en fonction des seuls mots utilisés dans sa lettre d'intention. Et cette prévision vise juste à presque tous les coups lorsqu'on croise l'information issue de l'analyse des mots avec les informations financières et démographiques de l'individu concerné.

Autrement dit, il convient pour tout prêteur digne de ce nom de soigneusement analyser les mots utilisés par la personne qui sollicite son aide.

> Des mots révélateurs. Les mots qui trahissent ceux qui n'honoreront pas leur dette sont en lien avec :

– la famille;

– les finances personnelles;

– l'ardeur au travail;

– Dieu (ou la chance);

– le court-terme;

– le besoin d'aide.

Autrement dit, plus la personne évoque sa famille, ses finances personnelles, ou encore son ardeur au travail, plus le risque est élevé de ne jamais la voir rembourser ses dettes.

> Une coupable justification. Plus l'emprunteur insiste sur son besoin d'aide et justifie celui-ci, plus le risque est élevé qu'il ne rembourse jamais sa dette.

Autrement dit, à force de justifier son besoin pressant d'argent, la personne trahit involontairement le fait qu'elle aura la plus grande difficulté à rembourser sa dette.

> À l'image des extravertis et des menteurs. Ceux qui font défaut dans leurs remboursements écrivent, en général, dans un style similaire à celui des personnes extraverties et des menteurs compulsifs. Et ce, en ce sens que les termes et les tournures de leurs phrases reflètent, quand on y regarde bien, leurs propres doutes quant à leur capacité à payer leurs dettes.

Autrement dit, dès qu'une personne se met trop en avant ou s'évertue à tourner les coins ronds dans sa demande d'aide, il convient de redoubler de vigilance : ce sont autant de drapeaux rouges à l'attention du prêteur digne de ce nom.

«Les mots que nous utilisons ne sont jamais innocents. Dans le cas d'une demande d'hypothèque, un mauvais payeur peut être repéré par la simple fait qu'il cherche à justifier en long et en large son besoin d'aide financière et à souligner sa capacité à honorer ses dettes. S'ajoutent à cela des indicateurs qui ne trompent pas, comme des références appuyées à leur famille et à la malchance. Bref, à trop vouloir convaincre, à l'image de la manière dont s'y prennent les extravertis [comprendre, les grandes gueules] et les menteurs compulsifs, ils finissent par se trahir», disent les trois chercheurs dans leur étude.

Fascinant, n'est-ce pas? Les mots trahissent bel et bien nos pensées, pour ne pas dire notre personnalité. Et ce, surtout lorsque nous tentons de les dissimuler le plus possible.

D'où la nécessité d'en être conscient, et de ne surtout pas faire la tortue au travail, de nous recroqueviller dans notre carapace. Mieux vaut en tirer parti et nous montrer transparents envers les autres : nos avons des forces et des faiblesses, lesquelles transparaissent dans notre façon de nous exprimer, si bien que c'est aux autres de nous apprécier tels que nous sommes. Et ce, sachant que s'il nous arrive de déraper verbalement, eh bien, ce n'est pas le fin du monde : des excuses bien formulées devraient pouvoir y remédier...

Bon. Que retenir de tout cela, histoire d'améliorer notre quotidien au travail? Que les mots nous trahissent, mais aussi trahissent les autres. Et donc, ceci, à mon avis :

> Qui entend voir clair dans le jeu d'autrui au travail se doit de prêter une attention toute spéciale aux mots que celui-ci utilise. Il lui faut inviter son interlocuteur à argumenter, et relever l'insistance de celui-ci à recourir à des termes en lien avec, par exemple, son obsession du court-terme, son ardeur au travail et sa capacité à atteindre les objectifs qui lui sont fixés. Car ce seront autant de drapeaux rouges qui sauteront à ses yeux, l'avertissant du danger de lui faire trop confiance.

En passant, le dramaturge français Pierre Corneille a dit dans Le Cid : «Le trop de confiance attire le danger».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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