La nomophobie, un bien ou un mal au travail?

Publié le 27/04/2018 à 06:06

La nomophobie, un bien ou un mal au travail?

Publié le 27/04/2018 à 06:06

Consulter compulsivement son cellulaire est mauvais signe... Photo: DR

La batterie de votre cellulaire tombe à plat et vous réalisez avec horreur que vous avez oublié le chargeur à la maison… Ou encore, vous fouillez dans votre sac et, au bord de la panique, vous ne trouvez plus votre cellulaire, alors même que vous êtes persuadé l’y avoir glissé la dernière fois que vous vous en êtes servi… Cela vous est-il déjà arrivé? Alors peut-être souffrez-vous de nomophobie.

Oui, de nomophobie. Avez-vous déjà entendu ce terme? Il correspond à la contraction de l’anglais ‘NO MObile PHOBIA’, qui exprime la peur excessive d’être séparé de son cellulaire. Une phobie moderne dont plus d’un d’entre nous souffre sans même en avoir conscience.

Est-ce grave, docteur, de souffrir de nomophobie? Difficile à dire, néanmoins, comme toute autre phobie, elle est sûrement handicapante dans notre quotidien. Pour le réaliser, je vous invite à vous souvenir de cette fois mémorable où vous avez eu des sueurs froides à cause de votre cellulaire, et de vous rappeler comment vous avez alors réagi. Peut-être votre coeur s’est-il emballé, ou bien vos neurones se sont-ils court-circuités au point de vous faire faire n’importe quoi. Vous en riez sûrement à présent, mais sur le moment, j’imagine que vous n’aviez aucunement envie de rigoler…

Bon. Imaginez-vous que j’ai eu le privilège de rencontrer Guan Wang, chercheuse à l’École de créativité média de l’Université municipale de Hong Kong (Chine), lors de l’événement CHI 2018 qui se tient cette semaine au Palais des Congrès de Montréal. Elle y a présenté les résultats d’une étude qu’elle a récemment menée avec sa professeure Ayoung Suh, intitulée Disorder or driver: The effects of nomophobia on work-related outcomes in organizations. Une étude passionnante, qui visait à voir si la nomophobie était un bien ou un mal au travail. Regardons ça ensemble…

Les deux chercheuses ont demandé à 187 employés d’un cabinet-conseil sud-coréen de bien vouloir remplir un questionnaire détaillé, lequel leur permettait d’évaluer le degré de monophobie de chacun ainsi que plusieurs critères de performance au travail, dont l’engagement, la productivité et la fatigue émotionnelle. L’idée, c’était de voir s’il y avait des liens entre toutes ces données, sachant que l’entreprise en question imposait à ses employés d’avoir leur cellulaire sans cesse avec eux au travail, en particulier lorsqu’ils se rendaient chez un client.

Résultats? Attendez-vous à quelques surprises:

> Plus engagé, plus productif. Plus la nomophobie d’un employé était élevée, plus son niveau d’engagement était élevé. Et par suite, plus sa productivité était élevée. Autrement dit, le fait, par exemple, de ne pas pouvoir s’empêcher de consulter son cellulaire toutes les dix minutes amène un employé à être davantage engagé dans ce qu’il fait au travail, et cela le rend plus productif.

> Plus fatigué émotionnellement, moins productif. Plus la nomophobie d’un employé était élevée, plus il souffrait de fatigue émotionnelle (surcharge mentale, stress, anxiété,...). Et par suite, plus cela nuisait à sa productivité. Autrement dit, le fait, par exemple, d’avoir toujours son cellulaire à portée de main et de ressentir un malaise à l’idée de l’éteindre quelques instants épuise psychiquement un employé, au point de le rendre moins productif.

> Moins concentré, moins productif. Plus la nomophobie d’un employé est élevée, plus il s’interrompt de lui-même dans son travail, prompt qu’il est à se saisir de son cellulaire à la première vibration venue. Ce qui non seulement accroît sa fatigue émotionnelle, mais aussi nuit à sa productivité. Autrement dit, le fait, par exemple, de ne pas arriver à avoir une discussion de travail sans ressentir l’envie pressante de jeter un coup d’oeil rapide à son cellulaire au bout de cinq minutes épuise nerveusement l’employé en question, et mine par la même occasion sa productivité.

Alors, me direz-vous, tout cela est-il positif ou négatif? Car, d’un côté, cela booste la productivité, mais de l’autre, ça la mine. Eh bien, la réponse finale est sans ambiguité:

> Un piège sournois. Plus un employé souffre de nomophobie, plus il a la sensation d’être productif. Mais cela est «une illusion», selon Guan Wang. En vérité, la nomophobie est toxique pour la productivité. Parce que, d’une part, elle empêche l’employé de se concentrer vraiment sur son travail, et d’autre part, elle l’épuise psychiquement.

«Les organisations devraient prendre conscience que nombre de leurs employés souffrent sûrement de nomophobie, sans le réaliser une seconde. Et surtout, elles devraient mettre en place des mesures visant à atténuer les impacts négatifs de cette peur excessive d’être séparé de son cellulaire», a-t-elle dit.

Quelles mesures, au juste? L’étude ne le dit pas, mais chacun peut aisément, je pense, trouver des solutions simples, adaptées à son quotidien au travail. Ma suggestion? Interdire désormais de venir à une réunion avec son cellulaire, histoire d’apprendre à décrocher un peu. Qu’en pensez-vous? Les réunions ne seraient-elles d’ailleurs pas plus efficaces ainsi? Je suis curieux de vous entendre à ce sujet…

Que retenir de tout cela? Ceci, à mon avis:

> Qui entend gagner en bien-être et en productivité au travail se doit d’apprendre à décrocher de son cellulaire. Il lui faut prendre conscience que ce gadget numérique qui paraît si pratique est, en vérité, un piège sournois : il nous empêche de nous concentrer, il nous fatigue émotionnellement et il mine notre efficacité lorsqu’on s’attelle à une tâche ardue. Enfin, il doit trouver différents stratagèmes pour s’en prémunir le plus possible dans son quotidien au travail; par exemple, en le laissant éteint dans le tiroir de son bureau toute une matinée, une fois par semaine.

En passant, le sociologue américain Robert Staughton Lynd disait : «Le téléphone est la pire des commodités et le plus pratique des fléaux».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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