Jusqu'à quel âge pourrez-vous vraiment travailler?

Publié le 12/02/2016 à 06:06

Jusqu'à quel âge pourrez-vous vraiment travailler?

Publié le 12/02/2016 à 06:06

L'important, c'est de vieillir avec panache... Photo: DR

Le ministre des Finances Carlos Leitão a prévenu il y a un peu plus de six mois qu'il était «inévitable» que le gouvernement repousse l'âge normal de la retraite. Et ce, parce qu'il convenait de tenir compte de l'augmentation de l'espérance de vie des Québécois.

«Je pense que c’est inévitable. Parce qu’une personne qui prend sa retraite à 60 ans, par exemple, peut avoir, en temps normal, un autre 25 ans de vie active. Ce n’est plus comme il y a 50 ans. Il faut s’ajuster», avait-il déclaré en juin dernier, lors du congrès du Parti libéral du Québec (PLQ).

Le ministre considère donc que nous pouvons très bien nous montrer «actifs» pendant 25 ans, une fois passé l'âge de 60 ans. C'est-à-dire jusqu'à l'âge de 85 ans. Et par conséquent, qu'il n'y a rien de plus simple que de repousser l'âge normal de la retraite d'une poignée d'années, à l'aide notamment de mesures contraignantes comme l'instauration de lourdes pénalités en cas de «retraite hâtive» ou la hausse graduelle de l'âge d'admissibilité pour une rente de la Régie des rentes du Québec (RRQ).

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La question saute aux yeux :«Vous comme moi, pouvons-nous vraiment nous montrer «actifs» durant toutes ces années-là, tant sur les plans physique qu'intellectuel?» À laquelle s'ajoute la suivante : «Est-il réaliste de considérer que nous pourrons nous montrer tout aussi efficaces durant les années ajoutées avant de pouvoir bénéficier de la retraite?»

Difficile à dire, pensez-vous sûrement. Eh bien, détrompez-vous, car je pense avoir déniché la réponse à ces interrogations dans une étude intitulée Health capacity to work at older ages: Evidence from the US et signée par : Courtney Coile, professeure d'économie au Wellesley College (États-Unis); Kevin Milligan, professeur d'économie à l'École d'économie de Vancouver de l'Université de Colombie-Britannique (Canada); et David Wise, chercheur au National Bureau of Economic Research (NBER) à Cambridge (États-Unis).

Les trois chercheurs ont plongé dans plusieurs bases de données concernant la population américaine, et en particulier dans celles qui étaient riches en statistiques sur la mortalité, l'espérance de vie et la santé, des années 1970 à 2010. Leur idée était simple :

1. Estimer dans quel état physique et intellectuel étaient les personnes qui partaient à la retraite à la fin du 20e siècle.

2. Estimer dans quel état physique et intellectuel sont les personnes qui partent à la retraite de nos jours.

3. Évaluer le nombre d'années de travail supplémentaires que cela prendrait aux jeunes retraités d'aujourd'hui pour se retrouver dans le même état physique et intellectuel que les jeunes retraités d'hier.

Pour effectuer cette dernière évaluation, les trois chercheurs ont recouru à deux méthodes de calcul différentes, l'une dénommée Milligan-Wise, l'autre Cutler. Fait intéressant à noter, leurs résultats - qui portent sur ce que je me permets de dénommer «l'espérance de travail», pour signifier le temps qu'un travailleur peut espérer travailler durant sa vie - sont similaires :

> Facilement 4 années de plus. Les personnes figurant aujourd'hui dans la tranche d'âges 55-69 ans sont en mesure de travailler en moyenne 4,2 années de plus que l'âge normal de la retraite, selon la méthode de calcul Milligan-Wise. Autrement dit, quelqu'un qui envisage actuellement de partir à la retraite à ses 60 ans pourrait très bien continuer quatre années de plus, donc jusqu'à 64 ans : il se retrouverait alors dans le même état physique et intellectuel que ceux qui prenaient leur retraite à la fin du 20e siècle.

Du coup, on pourrait voir le taux d'emploi de ces personnes-là bondir comme suit :

- Pour les 55-59 ans, le gain serait de 16 points de pourcentage;

- Pour les 60-64 ans, le gain serait de 27 points de pourcentage;

- Pour les 65-69 ans, le gain serait de 42 points de pourcentage.

> Facilement 2 années et demie de plus. Les personnes figurant aujourd'hui dans la tranche d'âges 55-69 ans sont en mesure de travailler en moyenne de 2,5 à 2,8 années de plus que l'âge normal de la retraite, selon la méthode de calcul Cutler. Autrement dit, quelqu'un qui envisage actuellement de partir à la retraite à ses 60 ans pourrait très bien continuer deux années et demie de plus, donc jusqu'à 62 ans et demi : il se retrouverait alors dans le même état physique et intellectuel que ceux qui prenaient leur retraite à la fin du 20e siècle.

Du coup, on pourrait voir le taux d'emploi de ces personnes-là bondir comme suit :

- Pour les 55-59 ans, le gain serait de 4 points de pourcentage;

- Pour les 60-64 ans, le gain serait de 17 points de pourcentage;

- Pour les 65-69 ans, le gain serait de 31 points de pourcentage.

Ce n'est pas tout. Les trois chercheurs ont par ailleurs mis au jour deux points intéressants :

> Avantage aux diplômés. De tous les travailleurs, ceux qui sont diplômés sont en général ceux qui sont en meilleur santé à l'approche de l'âge normal de la retraite.

> Avantage aux femmes diplômées. Plus une femme est allée loin dans ses études, plus son espérance de travail est élevée. Ce qui n'est pas le cas pour un homme.

Bref :

> Le ministre Leitão a raison. Il est vrai que chacun de nous peut travailler quelques années - disons deux ou trois - de plus que prévu avant de partir à la retraite. Nous sommes en mesure de le faire, aussi bien sur le plan physique que sur le plan intellectuel. Surtout les femmes diplômées. Il convient donc de reconnaître que le ministre Leitão a raison sur ce point.

Cela étant, un bémol. De taille, d'après moi :

> Pouvoir n'est pas vouloir. S'il est vrai que nous pouvons travailler deux ou trois années de plus que ne l'ont fait nos parents, il n'est pas pour autant vrai que nous le voulons. Et ce, à plus forte raison si l'on y est contraint et forcé. Que ce soit pour une raison économique : par exemple, si les revenus de la retraite ne suffisent pas pour avoir une vie décente, ce qui force à continuer de travailler même si l'on préfèrerait partir à la retraite. Ou que ce soit pour une raison politique : par exemple, si l'âge d'admissibilité pour une rente de la RRQ est repoussé de deux ans.

C'est bien là le noeud du problème. Car on peut légitimement s'interroger quant à la pertinence de forcer quelqu'un à travailler alors que le coeur n'y est plus. Sa productivité va-t-elle demeurer au beau fixe? Et sa motivation? Et même son dynamisme? Hum... Je me permets d'en douter.

Ne serait-il pas plus intéressant de chercher d'autres solutions que la contrainte pour éviter que les baby-boomers ne prennent tous leur retraite en même temps? Une idée, comme ça, à ce sujet : et si on trouvait plutôt des incitatifs positifs, comme, par exemple, l'incitation à créer sa propre start-up, ou encore son propre cabinet-conseil mettant à profit son expertise professionnelle... Vous voyez?

Que retenir de tout cela? Ceci, à mon avis :

> Vous approchez de l'âge normal de la retraite et vous venez de découvrir que vous avez la possibilité de bénéficier d'encore deux ou trois belles années de travail? Parfait! Profitez de ce supplément inopiné d'espérance de travail pour lancer un projet qui vous tient à coeur. Celui que vous chérissez en secret sans jamais oser en parler à personne. Celui qui vous fait vous réveiller en sursaut au beau milieu de la nuit. Celui qui vous fait vraiment triper. Et consacrez les prochains mois pour le concrétiser. Enfin.

En passant, le consul romain Caton l'Ancien disait : «Il faut devenir vieux de bonne heure pour rester vieux longtemps».

À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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