Comment travailler en équipe comme des dieux?

Publié le 06/04/2016 à 06:25

Comment travailler en équipe comme des dieux?

Publié le 06/04/2016 à 06:25

Travailler en équipe, c'est jouer des liens noués avec autrui... Photo: DR

Aujourd'hui plus qu'hier, nous travaillons connectés aux autres. Et de la qualité de notre réseau de connexions dépendent directement nos succès et nos échecs. Vous en voulez la preuve? Parfait.

Souvenez-vous de votre dernier revers professionnel. Ça y est? Maintenant, songez à la raison principal du ratage. Ça y est? Bien. Je suis prêt à parier que la faute venait, en bout de ligne, à une "défaillance" dans la communication entre l'une des personnes clés du projet et vous-même. C'est-à-dire à une rupture du lien que vous aviez tous les deux, une rupture telle qu'elle a empêché que l'information circule correctement entre vous deux. Et par voie de conséquence, le réseau de connexions sur lequel vous vous appuiyez d'habitude a connu des dysfonctionnements, lesquels ont conduit au résultat que vous connaissez.

Est-ce que je me trompe? Hum... Vous voyez bien. D'où l'intérêt de mieux saisir comment fonctionne, en général, un réseau de connexions. Et en particulier, le lien entre deux personnes.

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C'était justement la réflexion que je me faisais lorsque je suis tombé sur une étude intitulée Starting small: Endogenous stakes and rational cooperation. Celle-ci est signée par trois professeurs d'économie : James Andreoni, de l'Université de Californie à San Diego (États-Unis); Michael Kuhn, de l'Université d'Oregon (États-Unis); et Larry Samuelson, de Yale (États-Unis). Et elle apporte un éclairage fort instructif sur le sujet, comme vous allez vite le saisir...

Pour commencer, prenons un cas de figure que nous avons tous vécu. Imaginez que vous venez de déménager et qu'il vous faut recourir aux services d'un nouveau plombier, ou encore d'une nouvelle babysitter. Comment allez-vous vous y prendre? Vous allez lancer un appel dans votre réseau de connexions, histoire de vous faire recommander quelqu'un de compétent. Puis, vous allez nouer un tout nouveau lien avec cette personne qui vous est inconnue.

La question est la suivante : quel type de lien allez-vous ainsi nouer? La réponse intuitive à cette interrogation est que vous aurez le réflexe de nouer un lien "lâche", qui ne vous engage à rien, ou presque. C'est-à-dire que vous allez procéder à un test : vous allez demander à votre nouveau plombier de faire une petite réparation avant de lui confier, si son travail correspond à vos attentes, un plus gros travail; ou bien, vous allez faire garder votre enfant une heure ou deux seulement une toute première fois, avant de demander à votre nouvelle babysitter de s'occuper de lui toute une soirée. Et votre lien "lâche" ira naturellement en se renforçant. Logique, n'est-ce pas?

En 2006, Andreoni et Samuelson avaient tenu à vérifier cette réponse intuitive que nous avons tous. Ils ont procédé à différentes expériences qui leur ont permis de découvrir que cette réponse est effectivement la bonne : oui, nous procédons tous de cette manière-là, en créant un lien "lâche" dans un premier temps, puis en renforçant celui-ci dans un second temps.

Les deux chercheurs ont même découvert que l'intensité optimale du premier lien est toujours la même, comme celle avec laquelle nous le resserrons juste après, à partir du moment où nous nous sentons en confiance. Ainsi, l'idéal est d'accorder d'emblée 1/3 de l'intensité potentielle du lien, et ensuite les 2/3.

L'an dernier, les deux mêmes chercheurs, associés cette fois-ci à Kuhn, ont voulu aller un peu plus loin. Ils se sont demandé si, vous comme moi, nous étions doués, ou pas, pour trouver l'intensité optimale du premier lien comme celle du second. Autrement dit, si nous étions efficaces dans notre façon de nouer de nouveaux liens.

Pour s'en faire une idée, ils ont invité une vingtaine de volontaires à se prêter à un petit jeu, celui du dilemme du prisonnier. Un classique de la théorie des jeux, si chère aux économistes. Il s'agit grosso modo d'une mise en situation où chacun doit décider s'il collabore avec l'autre ou s'il le trahit pour en tirer un gain personnel, une mise en situation qui montre systématiquement que nous sommes avant tout des "animaux sociaux" puisque nous avons tendance à préférer la collaboration à la trahison, y compris si cela atténue nos gains personnels immédiats. Eh oui, nous sommes prompts à l'altruisme, n'en déplaise à ceux qui perçoivent encore l'être humain comme un pur homo oeconomicus, qui ne jure que par l'intérêt de son petit nombril.

La variante du dilemme du prisonnier qu'ils ont choisie faisait en sorte que chacun des joueurs décidait du montant de la mise, en deux temps. L'idée était simple : voir s'ils avaient le réflexe de miser un tiers de leur avoir au premier tour de jeu, puis les deux tiers de leur avoir au second et dernier tour de jeu.

Résultat? Il est on ne peut plus clair :

> Doués pour nouer des liens. Spontanément, les participants ont bel et bien misé un tiers de leur avoir, puis les deux tiers restant. Ce qui signifie que, vous comme moi, nous sommes franchement doués pour nouer des liens avec autrui. Nos osons faire d'emblée confiance à un inconnu, juste ce qu'il faut, mais pas trop, histoire de ne pas nous faire arnaquer par un escroc de service. Puis, une fois la confiance établie, nous y allons franco, en renforçant sans hésiter le tout nouveau lien.

Comment expliquer un tel don? Voici ce qu'en pensent les trois chercheurs :

> À la pêche à l'information. En commençant par miser petit (1/3, et non, par exemple, 1/2 ou 2/3), les participants se mettent en position de jauger l'autre, sans risquer de tout perdre. C'est-à-dire de savoir s'il s'agit de quelqu'un qui a tendance à agir de manière plutôt égoïste ou, comme eux, plutôt altruiste. Ils vont ainsi à la pêche à l'information, celle qui leur permet de juger si le lien "lâche" mérite d'être renforcé, ou pas.

L'application de cette trouvaille à notre quotidien au travail me semble évidente. Comme nous avons tous le réflexe inné de faire confiance à l'autre lorsque nous avons l'occasion de faire oeuvre utile ensemble, et comme nous avons surtout le chic pour doser la confiance que nous lui accordons, il convient de jouer de ce phénomène lorsque nous travaillons en équipe. En particulier lorsque l'équipe en question est neuve, ou lorsqu'elle se lance dans un tout nouveau projet.

Comment, au juste? Messieurs et mesdames les managers, en lâchant la bride à chacun des membres de votre équipe! Oui, en laissant chacun d'eux nouer les liens qu'il souhaite pour atteindre l'objectif visé. En accordant la plus grande confiance aux uns et aux autres pour jouer de leurs réseaux de connexions à bon escient, à plus forte raison si ces liens-là ne sont pas ceux auxquels vous auriez pensé vous-mêmes.

Car c'est ainsi que vous verrez le réseau global de connexions de votre équipe s'accroître et fonctionner au mieux, en fonction du but à atteindre. Que vous verrez un vaste champ des possibles s'ouvrir à vous. Que vous maximiserez vos chances de connaître le succès.

Que retenir de tout ça, à présent? Ceci, à mon avis :

> Qui entend voir son équipe travailler ensemble comme des dieux se doit de les laisser entièrement libres de jouer avec leurs réseaux de connexions. Il lui faut faire confiance au don inné que nous avons tous de nouer adéquatement de nouveaux liens. Et même inciter chacun, au besoin, à nouer de tels liens. Pourquoi? Parce que c'est ainsi que l'équipe se donnera les moyens de réussir. Grâce à ce qu'on appelle «l'intelligence collective».

En passant, le philosophe grec Platon a dit dans La République : «On ne peut ni échapper au regard des dieux ni les contraindre».

À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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