Aimeriez-vous vraiment savoir combien gagne votre boss?

Publié le 10/08/2018 à 14:30

Aimeriez-vous vraiment savoir combien gagne votre boss?

Publié le 10/08/2018 à 14:30

Non, se comparer, ce n'est pas toujours se consoler... Photo: DR

Au travail, personne ne parle de son salaire. Le tabou est trop grand. Pas vrai ?

Mais pourquoi est-ce là un tabou, au juste ? Bien évidemment parce que nous craignons de déclencher un tsunami d’émotions chez autrui si jamais nous en venions à lui dévoiler notre salaire : celui-ci risquerait de se mettre à nous mépriser, en apprenant que «nous valons si peu» ; ou pis, à nous jalouser, en découvrant que «nous valons autant». Et ce tsunami-là risquerait d’avoir des conséquences aussi imprévisibles que fâcheuses. Du coup, nous nous abstenons à tout prix d’aborder le sujet.

OK. Mais j’ai tout de même une question à vous poser. Une question qui tue. La suivante : «N’aimeriez-vous pas connaître le salaire de votre boss ?» Réfléchissez-y un moment, et puis répondez en toute sincérité. Hein ? Ça ne vous tenterait pas de savoir ? Vraiment pas ? Hum… Je suis sûr que si, la tentation est trop forte, n’est-ce pas ?

Bon. Mais serait-ce une bonne chose que de le savoir ? Je veux dire, une bonne chose pour vous ? Cela vous saperait-il le moral, ou au contraire, cela fouetterait-il votre ardeur au travail ? Eh bien, imaginez-vous que j’ai la réponse à cette interrogation existentielle ! Si, si…

Je l’ai dénichée dans une étude intitulée How much does your boss make ? The effects of salary comparisons et signée par : Zoë Cullen, professeure de gestion des affaires à la Harvard Business School de Boston (Etats-Unis); et Ricardo Perez-Truglia, professeur d’économie à l’École de management Anderson de Los Angeles (Etats-Unis). Regardons ensemble de quoi il retourne…

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Les deux chercheurs se sont justement demandé ce qui se passait lorsqu’on découvrait combien gagnaient nos collègues, en particulier ceux qui occupent des postes équivalents au nôtre et ceux qui nous dirigent. Et pour s’en faire une idée, ils ont demandé à 2.060 employés d’une grande banque américaine de bien vouloir répondre à un questionnaire détaillé portant sur le tabou du salaire.

Puis, ils ont enrichi les données ainsi obtenues avec d’autres qui leur ont été fournies par la haute-direction de la banque ; par exemple, ils ont eu accès à la boîte de courriels de tous les participants, aux ventes effectuées par chacun d’eux durant les mois précédents, ou encore à l’évolution de leur carrière au cours des dernières années. Enfin, ils ont concocté un modèle de calcul économétrique à même d’indiquer quelle serait la réaction des participants si jamais il leur était confié le salaire d’autrui.

Résultats ? Je vous prie de bien vous asseoir avant de lire ce qui suit :

> Des perceptions totalement erronées. Les deux chercheurs ont demandé aux participants d’évaluer le salaire des collègues occupant des postes comparables au leur. Or, ceux-ci se sont systématiquement trompés, l’écart avec la réalité étant en général de 11,5%, au-dessus comme au-dessous.

Ils leur ont également demandé une estimation du salaire de leur boss immédiat. Une fois de plus, l’erreur était systématique, l’écart étant, cette fois-ci, d’en général 28%. À noter que, dans le cas présent, les participants avaient plus tendance à sous-estimer le salaire de leur boss qu’à le sur-estimer…

Comment se fait-il que les participants se soient autant trompés ? Les deux chercheurs ont mis au jour une explication on ne peut plus simple :

– Une mauvaise circulation de l’information. Au travail, des bruits courent sur le salaire des uns et des autres. C’est plus fort que nous, le tabou nous excite et, en conséquence, nous mourons d’envie de savoir ce que les autres touchent (d’ailleurs, les deux chercheurs ont fait l’expérience : des participants étaient prêts à payer – oui, à donner de l’argent sonnant et trébuchant – pour avoir accès à la fiche salariale d’un collègue ou d’un boss…). Mais voilà, ceux qui font courir ces bruits-là, même s’ils semblent idéalement placés pour avoir l’information, ne l’ont que partiellement : harcelés, ils finissent par donner des bribes d’information plus ou moins fiables, celles-ci sont plus ou moins bien véhiculées et sont, surtout, transformées par la même occasion, si bien qu’au final personne ne sait de manière exacte combien gagne autrui dans l’entreprise.

> Un impact «considérable» sur l’attitude au travail. Lorsqu’on apprend combien gagnent ceux qui occupent des postes comparables au nôtre, on est, en général, durement affecté par l’information : l’étude montre que cela a un «impact négatif» sur notre performance au travail, en ce sens que les participants se mettent à «travailler moins d’heures qu’auparavant», à «envoyer moins de courriels qu’auparavant» et à «effectuer moins de ventes qu’auparavant». Par exemple, pour chaque point de pourcentage d’écart entre la prévision du participant et le salaire réel du collègue en question, le participant se met à travailler en moyenne 0,94% d’heures en moins. Bref, son moral en est aussitôt sapé.

En revanche, le phénomène inverse se produit lorsqu’on découvre le salaire de notre boss immédiat : d’un coup d’un seul, la performance des participants s’en est trouvée boostée. Par exemple, pour chaque point de pourcentage d’écart entre la prévision du participant et le salaire réel du boss en question, le participant se met à travailler en moyenne 0,15% d’heures en plus. Bref, son moral en est aussitôt fouetté.

Fascinant, n’est-ce pas ? Vous comme moi, nous sommes hypersensibles au salaire des autres, mais de manière distincte lorsqu’il s’agit d’un collègue ou d’un boss. En général, si ça concerne un collègue proche, ça nous plombe, et si ça concerne notre boss, ça nous dynamise. Autrement dit, nous gagnerions à connaître combien gagne notre boss !

«Cette découverte a de lourdes implications managériales, notent les deux chercheurs dans leur étude. L’une des principales, c’est que les entreprises ne sont pas nécessairement gagnantes à offrir des primes à la performance aux employés, car ça a pour effet insoupçonné de saper le moral de tous leurs collègues plus ou moins proches ; en revanche, elles feraient bien d’adopter une politique de hausse salariale graduelle et continuelle des managers, car sa simple existence enverrait le message à tout le monde qu’il est payant de chercher à grimper dans la hiérarchie.»

Voilà. Connaître le salaire de votre boss vous démange, eh bien sachez que c’est tout à fait normal, et mieux, que si jamais vous réussissez à mettre la main sur la bonne information à ce sujet, cela aura un impact positif fou sur votre performance au travail.

Maintenant, vous vous demandez sûrement si ce serait une bonne idée d’en parler aux RH, voire au principal intéressé. Mais j’imagine que vous avez trouvé vous-même la réponse à cette question : non, ce ne serait pas une bonne idée. Pourquoi ? Parce que si les managers devaient divulguer le détail de leur rémunération, cela plomberait le moral de chacun d’eux, et c’est toute l’entreprise qui en serait durablement affectée. Comme quoi, le salaire est un tabou et va le rester encore longtemps, je pense.

Que retenir de tout ça ? Que la curiosité est bel et bien un défaut, parfois : à trop vouloir connaître le salaire des autres, on se pourrit la vie au travail ainsi que celle des autres si jamais on a le malheur de répercuter l’information erronée que l’on détient. À moins, bien entendu, de tomber par hasard (ex. : la photocopieuse,…) sur la feuille de paie de son boss…

En passant, le journaliste français Jean-François Kahn a dit dans son Dictionnaire incorrect : «Après le salaire minimum, pourquoi ne pas instituer une rémunération maximum ?»

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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