Civilisation du loisir, vraiment ?

Publié le 10/09/2014 à 14:46

Civilisation du loisir, vraiment ?

Publié le 10/09/2014 à 14:46

On ne compte plus ceux et celles qui ont cru à la civilisation du loisir. À la liberté 55. Au farniente à perpète. Combien devront déchanter?

En 1962, le sociologue français Joffre Dumazedier a publié Vers une civilisation du loisir? Sur le champ, il est devenu, à l’échelle internationale, une espèce de gourou prédisant des temps nouveaux. Grâce à des techniques plus performantes et à l’amélioration de son niveau de vie. l’homme moderne aura plus de temps libre: dans la foulée, il devra «se réinventer». «Notre civilisation», a-t-il écrit, crée un nouvel homo faber (fabricant), un nouvel homo ludens (s’amusant), un nouvel «homme imaginaire», un nouvel homo sapiens (intelligent). En conséquence, un nouvel homo socius (social).

Vaste programme! Dans la boule de cristal, on a vu des sociétés si bien nanties que le commun des mortels pouvait penser prendre plus jeune sa retraite (âge du loisir perpétuel). Pourquoi pas à 55 ans? La publicité et le monde économique s’y sont mis. Tout le monde s’est mis à rêver. Dans les journaux, à la télé, des gens sur des plages ou dans des endroits idylliques quelque part sur la planète, nous ont dit, sourire aux lèvres: «Ce n’est pas un rêve. C’est possible.»

Les sociologues. économistes, actuaires, politiciens n’y ont vu que feu. «Eh! que ce sera beau!», se sont-ils écrié en choeur. «Répandons la bonne nouvelle!» Il y a bien eu quelques démographes qui ont agité une timide clochette, signalant que la pyramide des âges allait s’inverser, que le poids des plus de 50 ans allait s’accentuer dans les sociétés économiquement avancées. Les a-t-on écoutés? Nenni.

Maintenant, tout le monde s’excite le poil des jambes: il faut s’ajuster, hausser l’âge officiel de la retraite, repenser et surtout redresser les régimes de retraite. On agite des spectres, tous plus inquiétants les uns que les autres. Certains ont été ou sont promis à une vie de retraités toute dorée; la plupart cependant ne peuvent que regretter que ce ne sera pas leur cas. Que les belles plages et les séjours dans des cocons exotiques exempts de tout souci, eh ben! ça restera dans le domaine du rêve.

Il n’y a pas que la civilisation du loisir qui s’évanouit dans les limbes de l‘inaccessible; une grande partie de l’univers du voyage va suivre le même parcours. Bonne nouvelle: les gens vivront plus longtemps en moyenne. Mauvaise nouvelle: ils devront travailler plus longtemps et probablement davantage pendant plus d’heures par jour et par semaine.

La classe moyenne, celle qui a fait la prospérité de nos sociétés se rétrécit comme peau de chagrin: les plus riches deviennent plus riches et la portion des plus pauvres s’élargit sans cesse. Les États ont déjà commencé à sabrer dans les programmes sociaux, les tarifs des services publics augmentent quand ce ne sont pas les taxes et les impôts qui pèsent plus lourd. Bref! la classe moyenne va continuer a en prendre plein la gueule. Et à voir ses rêves de dolce vita s’effriter.

Les femmes et les hommes qui ont moins de 60 ans aujourd’hui sont mieux de se faire à l’idée et de planifier des solutions de rechange: leur avenir ne sera pas celui des quelques générations qui les ont précédés, que non! Pour reprendre des termes de Dumazedier, l’homo faber sera mis à contribution aux dépens de l’homo ludens.

Aux prochaines Assises du tourisme québécois, les participants feraient bien de s’interroger sur les approches à explorer et les moyens à mettre en oeuvre pour éviter à ce secteur d’activités de connaître des jours sombres. Jusqu’à maintenant, les artisans du tourisme pouvaient espérer voir leurs affaires prospérer avec l’augmentation du nombre de retraités, des retraités qui, soulignons-le, étaient appelés à se retirer du monde du travail à un âge relativement jeune et en bonne santé. Quand l’âge de la retraite sera officiellement reporté à 67 ou à 70 ans, it will be another ball game, comme on dit dans les cercles savants.

Vacances fragmentées, revenus disponibles à la baisse, nouveaux besoins, attentes différentes: le futur se déclinera de nombreuses façons et modalités. Ce serait le temps de commencer à penser.

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Dans un texte précédent, j’ai écrit par inattention que Moncton était la capitale du Nouveau-Brunswick. On aura compris que c’est Fredericton.