Qui a peur de l'éléphant?

Offert par Les Affaires


Édition du 14 Avril 2021

Qui a peur de l'éléphant?

Offert par Les Affaires


Édition du 14 Avril 2021

diversité

(Photo: Christina @ wocintechchat.com pour Unsplash)

À LA CHASSE. Vous connais-sez le concept de l’éléphant dans la pièce ? Le sujet tabou dont tout le monde connaît l’existence, mais dont personne n’ose parler ? Comme personne ne veut prendre le risque de se prononcer ou de lancer le débat, et que tout le monde veut éviter de choquer, parce qu’on a peur d’ouvrir une discussion tendancieuse, on garde le silence et on dirige la conversation ailleurs. Dans son livre We Can’t Talk about That at Work (Berrett-Koehler Publishers), Mary-Frances Winters explique comment aborder les sujets sensibles de manière rassembleuse pour créer une culture de communication inclusive au lieu de diviser les perceptions. Ses principaux conseils résident dans la création d’une culture reposant sur la confiance et la sécurité psychologique. La liberté d’expression exercée de manière respectueuse, l’ouverture et la tolérance à l’autre sont, par excellence, les ingrédients du succès.

Pourtant, dans le contexte actuel qui tend à dépersonnaliser les communications pour les rendre neutres, ne risquons-nous pas justement de basculer dans des échanges inodores, incolores et sans saveur ? La question se pose. On n’a jamais autant parlé de diversité tout en javellisant nos communications de peur de se faire critiquer. C’est là tout le paradoxe: parler de la diversité et des différences, mais sans les nommer directement. Il va falloir s’entendre sur une nouvelle nomenclature des termes acceptables et des dénominations communes. Tout un langage à réinventer ! Les enjeux sont nombreux. Les directions des ressources humaines, tout comme les conseils d’administration, sont désormais très préoccupées. Devrait-on privilégier une candidature féminine plus qu’un candidat mâle mais ethniquement diversifié, ou encore cette candidature issue de la diversité LGBTQ+ mais qui ne veut pas le déclarer ? Doit-on en parler et la «forcer»à se déclarer pour le bien de sa communauté et des statistiques de l’entreprise ? Comment les médias et les activistes de la diversité vont-ils réagir à telle ou telle nomination ou promotion ? Toutes ces questions sont d’actualité et le resteront pour les prochaines années.

Bien qu’il n’y ait pas de réponse facile, une des options pour gérer le délicat dossier de la diversité et de l’inclusion est de promouvoir et de former les équipes à l’intelligence inclusive. Ce concept suit celui de l’intelligence émotionnelle (IE) amené par Daniel Goleman en 1995. Depuis, on n’a pas cessé de parler de comment intégrer les émotions dans nos relations et promouvoir l’écoute et l’empathie. L’intelligence inclusive est liée à l’intelligence émotionnelle, mais elle reprend là où s’arrête l’autre. Une personne dotée d’un quotient IE élevé saisit ce qui nous rend humains et en même temps ce qui nous différencie l’un de l’autre. Une personne dotée d’une intelligence inclusive a la capacité de s’adapter lorsqu’elle interagit avec d’autres personnes de culture, de genre, d’orientation sexuelle, de génération, de religion ou de statut social différents. On parle ici des valeurs et des standards qui sont incarnés dans la culture d’entreprise.

Les statistiques citées par Malcolm Gladwell dans Talking to Strangers. What We Should Know about the People We Don’t Know, Little, Brown and Company [Parler aux inconnus:ce qu’on doit savoir sur les gens qu’on ne connaît pas, Guy Saint-Jean Éditeur] indiquent que 74 % des employés démontrent leur potentiel créatif quand ils se sentent compris, inclus, et qu’ils adhèrent à la culture, et 72 % indiquent qu’ils seront loyaux et qu’ils ne quitteront pas l’entreprise.

Pourtant, seulement 45 % des sociétés alignent leurs efforts pour créer une culture inclusive. L’éléphant dans la pièce demeure, et parfois, ils sont plusieurs à étouffer dans le peu d’espace restant pour créer le dialogue et faire sortir du placard les dossiers chauds. La diversité et l’inclusion sont des tendances lourdes pour le futur qui ont une incidence autant sur les ressources humaines, les clients et l’innovation que sur les marchés. À constater comment les principes environnementaux, sociaux et de gouvernance montent en puissance dans l’évaluation de la performance des entreprises, les organisations ont tout à gagner à investir sur une culture d’inclusion pour mieux se démarquer de la concurrence et améliorer leur réputation.

Attention, toutefois, à ne pas seulement en faire un argument marketing qui s’affiche sur des publicités et des discours qui ne collent pas à la réalité en interne. Au contraire, en misant sur un milieu de travail qui permet des conversations audacieuses et inclusives, on favorise autant la performance qu’un plus grand engagement des employés. Parler des différences, les reconnaître et admettre que l’on ne sait pas tout ni que l’on possède toutes les réponses est assurément la meilleure façon d’aborder la question. Ne pas en parler, c’est ouvrir la porte à exagérer les perceptions, car «on se fait toujours des idées exagérées de ce qu’on ne connaît pas», pour citer Albert Camus dans L’étranger.

S’engager dans le dialogue sur la diversité et l’inclusion est un acte courageux et un défi de taille. Cessons de faire l’autruche ! Prendre le taureau par les cornes pour confronter l’éléphant requiert de l’humilité et une certaine prudence, des qualités que les leaders de demain devront cultiver pour remporter ce pari.

À propos de ce blogue

Nathalie Francisci est présidente exécutive pour le Québec chez Gallagher. Elle oeuvre en recrutement de cadres depuis 25 ans. Entrepreneure, experte en gestion des talents, elle est reconnue comme l’une des références au Québec. Femme d’affaires engagée, elle siège sur plusieurs CA. Conférencière et chroniqueuse, ses interventions font la différence par l’énergie et style direct qui s’en dégagent. Passionnée par nature, elle n’oublie jamais qu’elle travaille avec des gens, pour des gens. Elle partagera avec vous ses réflexions et expériences sur l’univers du recrutement et de la gestion des talents pour faire réfléchir autant les individus que les organisations. Nathalie Francisci a été Finaliste au Concours des Mercuriades en 2001, elle a reçu le Prix «Nouvelle Entrepreneure du Québec» en 2001 et «Entrepreneure – petite entreprise» en 2007 décerné par le RFAQ et elle a remporté le Prix Arista en 2008. Elle porte les titres de CRHA et de IAS.A.

Nathalie Francisci
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