Attention à ce que vous souhaitez!


Édition du 10 Mai 2023

Attention à ce que vous souhaitez!


Édition du 10 Mai 2023

La prolifération des politiques, des procédures et de la conformité commençait à freiner l’élan de Leia et à étouffer sa motivation. (Photo: 123RF)

À LA CHASSE. Le mieux est l’ennemi du bien. En recrutement aussi. Rédiger un profil de compétences trop idéaliste ou ambitieux peut engendrer des conséquences inattendues. Laissez-moi vous raconter l’histoire de l’entreprise Eleuthera. Une entreprise fictive, mais dans laquelle certains pourraient se reconnaître.

Le conseil et la direction d’Eleuthera cherchaient leur futur PDG pour la Division Atlantide. Cette région paradisiaque au fort potentiel de croissance devait générer de la valeur pour les actionnaires et, pour l’entreprise, dix fois les bénéfices. L’eldorado d’Eleuthera.

Le plan était parfait. Le rêve et les souhaits de trouver la perle rare étaient conscrits dans un profil de compétences et le mandat a été confié à une réputée chasseuse de têtes nommée Madame Irma.

La description du profil recherché avait été soigneusement établie dans un document comportant 15 compétences clés, descriptif à l’appui et tests psychométriques prêts à toute épreuve.

Dans cette liste de souhaits, on retrouvait les éléments suivants :

 

  • visionnaire et innovateur,
  • leadership affirmé,
  • capacité à mobiliser,
  • engager et motiver les équipes,
  • expertise reconnu dans sa communauté,
  • force de proposition,
  • courage, authenticité avec chaleur humaine et empathie,
  • générateur de croissance (traduction : excellent vendeur),
  • habile transformateur numérique,
  • doté de compétences financières,
  • issu de la diversité (peu importe laquelle).

 

Madame Irma est reconnue pour prendre les mandats impossibles et légèrement casse-gueule. Elle a livré la marchandise. Elle a trouvé le diamant tombé d’un coffret… La candidate est arrivée comme la princesse Leia dans les jours qui ont suivi l’assemblée annuelle. Célébrations, communiqué de presse dithyrambique, réseaux sociaux enflammés.

Leia a eu 90 jours pour accoucher de son plan, plus communément appelé «analyse stratégique SWOT» (pour force, faiblesse, occasions, menace; en anglais, «strengths, weaknesses, opportunities, threats»). Fierté du conseil et de la direction : «On a notre princesse Leia, que la compétition se le tienne pour dit!»

D’Eleuthera, à Atlantide, la première année a été marquée par l’implantation de la fameuse analyse SWOT.

Jusqu’au jour où… Eleuthera a commencé à trouver que la Division Atlantide prenait «trop de place et formulait trop de recommandations qui ne cadraient pas avec les standards et le rythme d’Eleuthera» et que la princesse Leia ne se conformait pas assez aux directives. Leia était sur une mission (qui lui avait été pourtant confiée au départ) de croissance rapide pour livrer des résultats probants.

Mais… la grosse machine d’Eleuthera ne suivait pas et plus on mettait des bâtons dans les roues de Leia, plus elle résistait, argumentait et s’opposait. La prolifération des politiques, des procédures et de la conformité commençait à freiner l’élan de Leia et à étouffer sa motivation. Comme elle était dotée d’un leadership affirmé, de courage, de force de proposition et de vision et d’innovation, ses arguments et stratégies étaient irréfutables. Mais… elle se heurtait à l’éléphantisme et à l’inertie d’Eleuthera. Atlantide devenait le mouton noir rebelle.

Leia s’impatientait (leadership affirmé rime avec patience limitée). Le conseil et la direction ont commencé à se demander si Leia était la meilleure personne pour livrer leur plan selon leurs standards. Leia a commencé à se demander si le conseil et la direction étaient authentiquement engagés dans leurs intentions de départ. Deux ans plus tard, Leia a quitté … sans filet ni pour un autre paradis perdu. Elle a préféré partir plutôt que de rompre ses promesses. Elle s’est sacrifiée sur l’autel des vœux pieux d’Eleuthera.

«Be careful what you wish for!», comme on dit en anglais! Le conseil et la direction auraient dû savoir que leur liste de compétences ne correspondait pas à leur contexte organisationnel.

À trop vouloir se payer un candidat «superstar» doté d’un grand leadership, Eleuthera en a oublié que leur succès reposait plus sur leur force d’exécution que sur la vision stratégique et l’innovation.

Tous ont payé le prix fort et Leia a été remplacée par un bon soldat qui a exécuté les directives avec obéissance et abnégation. Il s’agissait finalement de la seule vraie compétence clé qui aurait dû être retenue.

À propos de ce blogue

Nathalie Francisci est présidente exécutive pour le Québec chez Gallagher. Elle oeuvre en recrutement de cadres depuis 25 ans. Entrepreneure, experte en gestion des talents, elle est reconnue comme l’une des références au Québec. Femme d’affaires engagée, elle siège sur plusieurs CA. Conférencière et chroniqueuse, ses interventions font la différence par l’énergie et style direct qui s’en dégagent. Passionnée par nature, elle n’oublie jamais qu’elle travaille avec des gens, pour des gens. Elle partagera avec vous ses réflexions et expériences sur l’univers du recrutement et de la gestion des talents pour faire réfléchir autant les individus que les organisations. Nathalie Francisci a été Finaliste au Concours des Mercuriades en 2001, elle a reçu le Prix «Nouvelle Entrepreneure du Québec» en 2001 et «Entrepreneure – petite entreprise» en 2007 décerné par le RFAQ et elle a remporté le Prix Arista en 2008. Elle porte les titres de CRHA et de IAS.A.

Nathalie Francisci
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