Doit-on blâmer les entreprises pour l'inflation?

Publié le 27/06/2023 à 16:34

Doit-on blâmer les entreprises pour l'inflation?

Publié le 27/06/2023 à 16:34

"Moins il existe de barrières à l’entrée sur les marchés, plus la concurrence tire les prix vers le bas." (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Depuis quelques mois, avec l’inflation galopante que de nombreux pays dont le nôtre ont connue, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer la responsabilité que les entreprises joueraient dans la hausse généralisée des prix. En fait, des groupes de pression ont évoqué les profits grandissants d’organisations du secteur privé comme les grandes banques et certaines multinationales.

Factuellement, et le Fonds monétaire international (FMI) l’a encore confirmé cette semaine en démontrant que la moitié de la hausse de l’inflation dans la zone euro durant les deux dernières années a été due aux profits corporatifs en hausse, ces groupes n’ont pas tort quant à la montée des profits des entreprises de plusieurs régions dans le monde.

Mais avant de sortir la fourche et de partir au combat contre nos entrepreneurs, il s’avère primordial de mettre nos lunettes économiques et d’en analyser la situation.

Tout d’abord, soyons honnêtes; il n’y a rien de plus satisfaisant qu’une bonne limonade rose bien froide au mois de juillet! Eh bien ce principe, de nombreux jeunes l’ont compris. Souvenons-nous du temps où pendant l’été, quelques adolescents dégourdis bravaient la canicule pour ouvrir des kiosques de limonade sur la rue dans le quartier.

Je me souviens d’un voisin en particulier qui, voyant ses amis exploiter la soif des gens du quartier avec leur limonade à prix exubérants, s’est dit qu’en offrant son breuvage 1 dollar moins cher que sa concurrence, il raflerait la majeure partie de la demande.

Il avait raison!

Non seulement était-il un futur entrepreneur aguerri, mais il venait de prouver une fois de plus un concept bien établi, mais trop souvent ignoré : une concurrence libre est la meilleure assurance qualité-prix pour le consommateur en freinant notamment les hausses injustifiées de prix.

Pensons-y. Dans une économie de marché où les entrepreneurs sont libres d’entrer ou de sortir d’un marché donné (par exemple celui de la limonade rose), les entreprises participant au marché ne peuvent augmenter leurs prix sans cesse.

Sans quoi la concurrence raflera la demande en offrant des prix plus bas et concurrentiel.

 

Comment tirer les prix vers le bas

Moins il existe de barrières à l’entrée sur les marchés, plus la concurrence tire les prix vers le bas. Il y aura toujours quelques entrepreneurs qui profiteront de leur position dominante temporaire sur un marché pour offrir leurs biens et services à des prix trop élevés, mais tôt ou tard, une autre entreprise lui fera concurrence si les barrières à l’entrée sont limitées.

Les entreprises sont donc incitées à offrir le meilleur prix pour une bonne qualité afin d’être profitables et de tirer leur épingle du jeu.

Mais quelles sont ces fameuses barrières à l’entrée qui peuvent expliquer en partie les pressions inflationnistes que nous vivons?

Elles peuvent exister principalement sous deux formes : naturelles ou artificielles.

Par exemple, dans le secteur spatial, certains sous-secteurs sont réservés à des entrepreneurs qui ont acquis de nombreuses années d’expérience et d’éducation spécifique. On parle ici de barrières naturelles.

Toutefois, quand les différents paliers de gouvernements limitent indirectement ou directement le nombre de joueurs dans le secteur des télécommunications par exemple, les effets haussiers sur les prix sont clairs.

Quand le gouvernement préconise des politiques protectionnistes pour empêcher des entreprises étrangères de s’établir au pays pour concurrencer les nôtres, on en souffre comme consommateurs.

Ces barrières sont donc artificielles et servent à protéger les intérêts de certaines entreprises, au détriment du consommateur qui voit les prix augmenter.

Jumelons cela à la politique monétaire très expansionniste des dernières années, et nous avons là un cocktail inflationniste au goût amer!

Il existe pourtant une façon claire de contribuer à freiner la hausse des prix tout en promouvant les intérêts des entrepreneurs novateurs et en protégeant nos consommateurs : favoriser une économie plus libre et flexible.

 

La liberté économique contre l’inflation

Au Québec, nous avons la chance de regorger d’entrepreneurs – et futurs entrepreneurs – extrêmement novateurs et créatifs. Toutefois, plusieurs obstacles se dressent régulièrement devant eux lors du démarrage d’entreprise ou même plus tard dans leur parcours d’affaires.

On note souvent l’excès de paperasse, les demandes de permis interminables, les règles de zonage trop contraignantes, la fiscalité peu concurrentielle, et j’en passe.

Tous ces obstacles sont un frein à l’innovation, et impliquent des coûts additionnels dans les opérations de nos entreprises, qui sont ensuite reflétés sur nos factures.

Bien entendu, même en tant que grand fan de country, je ne préconise pas la doctrine économique à proprement parler du far west économique total. Il existe une balance entre cadre réglementaire et flexibilité nécessaire pour éviter de dissuader l’émergence de nouveaux entrepreneurs tout en conservant nos espaces verts et notre filet social, par exemple.

Bien que cela puisse paraître contradictoire, faciliter la vie des entrepreneurs comme gouvernement rime plus que souvent à protéger les consommateurs de hausses généralisées de prix dans le long terme.

En fin de compte, moins les obstacles réglementaires et fiscaux pour les entrepreneurs et les barrières à l’entrée sont élevés, moins ils pourront hausser les prix simplement pour augmenter leurs profits.

Évidemment, la situation est moins facile lorsque les produits sont grandement différenciés, puisque les entreprises jouissent généralement d’un plus grand pouvoir de marché, mais le principe demeure le même.

Donc, pour revenir à notre question initiale, doit-on blâmer les entreprises pour l’inflation?

Je répondrais que pour éviter de mettre sur le bûcher nos entrepreneurs qui travaillent d’arrache-pied pour répondre à nos besoins multiples, les différents paliers de gouvernements au Québec et au Canada doivent limiter leurs interventions qui minent la concurrence sur les marchés et qui favorisent par conséquent la concentration artificielle d’industries.

Priorisons plutôt une concurrence saine et libre, l’innovation et les avantages comparatifs dont jouit le Québec pour continuer à faire croître notre économie et freiner les hausses de prix injustifiées.

Il s’agit là d’un changement structurel, et qui peut très bien être complémenté par des mesures de court terme pour contribuer à se sortir la tête de l’eau dans cette mer houleuse inflationniste.

 

 

À propos de ce blogue

Passionné de l’analyse des politiques publiques et habile vulgarisateur n’ayant pas la langue dans sa poche, l’économiste Miguel Ouellette offre à travers son blogue sa vision décomplexée de l’actualité économique et politique. En passant par les finances publiques et le rôle des entrepreneurs dans les différentes réformes gouvernementales, il ira jusqu’à déboulonner certains mythes économiques bien répandus. C’est un rendez-vous, tous les jeudis, à ne pas manquer! Miguel Ouellette est détenteur d’une maîtrise en économie de l’Université de Toronto, et d’un baccalauréat «honours» en sciences économiques de l’Université de Montréal. Il travaille actuellement pour la firme Mallette comme directeur en services-conseils, où il accompagne les entreprises et organisations gouvernementales notamment dans leurs plans de développement économique, leurs études de retombées économiques et leurs stratégies d'affaires. Il enseigne aussi l'économie à HEC Montréal.

Miguel Ouellette
Sujets liés

Économie

Sur le même sujet

L'économie canadienne a progressé de 0,2% en février, selon Statistique Canada

Il s’agit d’une deuxième hausse mensuelle consécutive du PIB réel, qui avait augmenté de 0,5% en janvier au pays.

Sondage de BMO: de nombreux Canadiens attendront encore avant d'acheter une propriété

Mis à jour le 29/04/2024 | La Presse Canadienne

Selon un sondage, 72% des répondants qui espèrent acheter une maison attendront que les coûts d'emprunt diminuent.

Blogues similaires

Mise à jour économique: nuages gris à l'horizon

BLOGUE INVITÉ. Pour la première fois depuis 2008, l’économie du Québec pourrait plonger en récession.

Compétitivité: Biden pourrait aider nos entreprises

26/04/2024 | François Normand

ANALYSE. S'il est réélu, Biden veut porter le taux d'impôt des sociétés de 21 à 28%, alors qu'il est de 15% au Canada.

Dette et déficit du fédéral: on respire par le nez!

19/04/2024 | François Normand

ANALYSE. Malgré des chiffres relativement élevés, le Canada affiche le meilleur bilan financier des pays du G7.