Déconstruire les vieux mythes

Publié le 16/08/2022 à 13:00

Déconstruire les vieux mythes

Publié le 16/08/2022 à 13:00

En 1999, les décisions Marshall de la Cour suprême du Canada considéraient définitivement que les Premières Nations de la côte est avaient le droit de pêcher pour gagner leur vie. Depuis, beaucoup de choses ont changé. (Photo : Mike Bergmann pour Unsplash.com)

BLOGUE INVITÉ. Lorsqu’on fait référence à l’entrepreneuriat autochtone, il est facile de tomber dans certains stéréotypes ou idées reçues. Le premier réflexe est de penser à la fabrication d’artisanat traditionnel autochtone. Ce qui n’est pas mauvais en soi, mais l’entrepreneuriat autochtone c’est aussi très contemporain. Les exemples récents de réussites sont nombreux, et parfois méconnus de la population. Et ils pourraient bien abattre rapidement certains mythes. Laissez-moi vous donner un exemple. Connaissez-vous Clearwater Seafoods? Vous devriez peut-être! Pour preuve, c’est le plus gros producteur de fruits de mer en Amérique du Nord. Rien de moins.

Revenons à peine un an en arrière. En 2021, pas moins de sept communautés Mi’kmaq de l’est du Canada se sont unies et ont investi 250 millions de dollars en vertu d’un prêt de 30 ans pour se porter acquéreuses de la moitié des parts de ce géant du fruit de mer. Cet investissement est devenu le plus important jamais réalisé par un consortium constitué des communautés Membertou, Miawpukek, Paqtnkek, Pictou Landing, Potlotek, Sipekne’katik, and We’koqma’q. La transaction, dont le montant final s’élevait à 1 milliard de dollars, a été effectuée en collaboration avec Premium Brands Holding, une entreprise de Vancouver, principalement spécialisée dans la distribution alimentaire.

Si cette transaction est saluée, c’est qu’elle marque une victoire majeure pour la nation Mi’kmaq dans le monde des affaires. En 1999, les décisions Marshall de la Cour suprême du Canada considéraient définitivement que les Premières Nations de la côte est avaient le droit de pêcher pour gagner leur vie. Depuis, beaucoup de choses ont changé.

Fini les mots et place aux actes, cette acquisition agit comme un catalyseur. Elle illustre concrètement l’autonomisation économique des diverses communautés autochtones. Il faut bien le rappeler, il s’agit de la première fois que les Mi’kmaq accèdent à un tel niveau dans le monde des affaires canadien. Certes, des communautés autochtones avaient déjà racheté des entreprises dans l’Ouest canadien, mais jamais rien de tel ne s’était encore produit dans l’Est.

 

Faire basculer les mentalités

En réalité, l’acquisition de 50% de Clearwater Seafoods fait d’une pierre deux coups. Au-delà de préserver la prospérité et l’emploi pour les Autochtones et les allochtones, il s’agit d’une étape majeure pour faire basculer les mentalités. Il y a encore quelques années, les différents peuples autochtones n’étaient pas considérés comme des partenaires économiques autonomes. L’acquisition de la plus grosse entreprise de fruits de mer du Canada, qui compte des activités dans 48 pays, constitue un premier jalon majeur et vient renverser complètement les idées reçues.

«D’après ce qui s’est passé ailleurs au Canada, vous verrez que les non-Autochtones réaliseront très rapidement que la prospérité autochtone équivaut à la prospérité régionale, et qu’en fait, plutôt que d’être une sorte de jeu à somme nulle, c’est un avantage net pour tout le monde», estime Ken Coates, chercheur principal en droits des Autochtones à l’Université d’Ottawa.

Effectivement, la propriété des pêches en haute mer et de nombreux permis de pêche n’est pas anodine pour les Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse. En dehors du poids économique et de la stabilité que confère l’acquisition de Clearwater Seafoods, elle leur apporte avant tout un poids politique sans précédent.

 

La FNFA: acteur de changement, d’autodétermination et de prospérité

Dans cette transaction, la coalition Mi’kmaq n’est pas le seul acteur des Premières Nations. En effet, la coalition a été financée par une institution gérée par des Premières Nations et qui n’est autre que l’Autorité financière des Premières Nations (FNFA). Selon le chef Membertou Terry Paul, la transaction n’aurait jamais pu avoir lieu sans son soutien. C’est dire à quel point cette acquisition illustre parfaitement l’autonomisation de cette coalition qui peut maintenant compter sur ses propres sources de financement pour accéder au rachat d’une entreprise stratégique.

Les prêts de la FNFA défont les obstacles qui se dressent entre les Premières Nations et leur autodétermination culturelle et économique. Ils ont contribué à des miracles économiques pour les Premières Nations à travers le pays. Par exemple, en Ontario, la FNFA a rendu possible la construction du Henvey Inlet Wind Energy Centre, un site éolien de 300MW regroupant 87 des plus grandes turbines au monde et qui alimente plus de 100 000 foyers ontariens. Le site est détenu à 50% par les Henvey Inlet et est situé sur leurs terres. C’était d’ailleurs la première fois qu’un projet d’une telle envergure voyait le jour sur des terres autochtones.

L’acquisition de Clearwater Seafoods ou la construction du Henvey Inlet Wind Energy Centre ne constituent-elles pas des exemples parfaits du changement radical qui se déroule sous nos yeux?

 

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Comme ce blogue se nomme Perspective Autochtone, je veux m’assurer que nous ayons tous la même définition du mot Autochtone. Au Canada, les Peuples autochtones comprennent les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Dans mon texte, je fais parfois référence aux Autochtones et parfois aux Premières Nations.

À propos de ce blogue

Manon Jeannotte est directrice de l’École des dirigeants des Premières Nations, propulsée par l’École des dirigeants HEC Montréal, dont elle est également co-initiatrice. Elle possède plus de 20 ans d’expérience professionnelle auprès des Premières Nations, tant sur les plans de la politique, de la gouvernance et de la défense des droits de ses pairs. Administratrice de sociétés certifiée et titulaire d’un EMBA, elle a été élue pendant 12 ans à titre de conseillère puis de cheffe au sein de sa communauté (la Nation Micmac de Gespeg). Elle a reçu la première bourse pour gestionnaire d’origine autochtone de l’EMBA McGill – HEC Montréal, une bourse du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et une distinction pour sa contribution à la commémoration de l’histoire des Premières Nations et des Inuit au Québec.

Manon Jeannotte

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