CA et ESG: viser au-delà de la simple conformité

Publié le 03/05/2022 à 14:00

CA et ESG: viser au-delà de la simple conformité

Publié le 03/05/2022 à 14:00

Il doit y avoir un engagement de la présidence et de sa haute direction afin de permettre aux diverses parties prenantes d’évaluer comment l’entreprise souhaite créer de la valeur à long terme en répondant aux besoins non satisfaits et attendus de notre société. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. L’objectif ici est de discuter de l’importance d’inclure la durabilité et les facteurs environnementaux et sociaux, ainsi que ceux liés à la gouvernance (ESG) dans les pratiques de gouvernance des entreprises, tout en identifiant les grandes étapes à suivre.

Ma vigie quotidienne de gouvernance indique que plusieurs entreprises adoptent progressivement l’approche durable et les paramètres ESG à la suite de pressions provenant soit de leurs actionnaires, de leurs banquiers ou d’autres parties prenantes. À première vue, l’approche pourrait être davantage réactive que proactive.

Pourquoi les CA sont-ils interpellés par les enjeux ESG? Rappelons qu’au Canada et au Québec, nous devons, à titre d’administrateurs, respecter des devoirs de diligence et de loyauté. En regard de ce dernier devoir, nous nous devons d’agir dans le meilleur intérêt de l’organisation que nous servons.

Mais qu’est-ce au juste que «le meilleur intérêt»? En 2008, la Cour suprême du Canada a communiqué les motifs de sa décision dans l’affaire BCE Inc. Ce jugement précisait que le meilleur intérêt ne se limite pas à la valeur des actions ou au profit à court terme, mais que dans un contexte de continuité de l’entreprise, cette obligation vise les intérêts à long terme de la société. Elle ajoutait que dans certaines circonstances, les administrateurs doivent également prendre en considération l’effet de leurs décisions sur les parties prenantes que sont les actionnaires, les employés, les créanciers, les consommateurs, les gouvernements, les communautés et autres acteurs sociaux.

 

Des actions concrètes

Comment les CA peuvent-ils intégrer cette approche au sein de leurs responsabilités et changer de cap dans leur approche à la prise de décision? Selon moi, les CA doivent viser au-delà de la simple conformité (ou l’action de cocher des cases sur des formulaires) et démontrer comment ils intègrent la durabilité et les facteurs ESG aux responsabilités qui relèvent de leur ressort: planification stratégique, gouvernance, gestion des risques, suivi de la performance financière et extra-financière, divulgation de l’information. 

Il doit y avoir un engagement de la présidence et de sa haute direction afin de permettre aux diverses parties prenantes d’évaluer comment l’entreprise souhaite créer de la valeur à long terme en répondant aux besoins non satisfaits et attendus de notre société. C’est ce que l’on nomme la raison d’être de l’organisation, qui se doit d’être personnalisée et propre à l’entreprise pour bien témoigner de la contribution particulière de celle-ci.

Une fois cette raison d’être bien énoncée, le CA doit voir à identifier, de concert avec la direction, les enjeux ESG les plus pertinents pour l’organisation, soit ceux susceptibles d’avoir un impact sur sa stratégie, ses activités, sa performance financière et extra-financière. Les administrateurs doivent se rappeler que l’un des aspects les plus marquants de leur responsabilité fiduciaire, soit le devoir de diligence, consiste à s’informer de manière adéquate sur ces enjeux avant de prendre leurs décisions d’affaires.

Enfin, dans le cadre de l’intégration des facteurs ESG au sein de l’ADN de l’entreprise, il importe de déterminer le processus d’encadrement par les instances de gouvernance. Est-ce que cette responsabilité sera confiée au CA uniquement ou bien sera-t-elle partagée entre un ou plusieurs comités existants et le CA? Est-il souhaitable de créer un nouveau comité pour effectuer cet encadrement? Le choix du mode de supervision des enjeux ESG dépendra de différents critères: la taille de l’organisation, son secteur d’activité, la nature, la complexité et l’impact des différents enjeux sur la pérennité de l’organisation, l’expertise en place tant en regard du CA et de la direction, sa culture, etc.

 

Question d'encadrement

Une recherche effectuée par le cabinet Norton Rose Fulbright en août 2021 et portant sur les entreprises de l’indice S&P/TSX 60 révèle des indications sur l’intégration des facteurs ESG au sein de la gouvernance des entreprises canadiennes. Selon cette étude, 52 des 60 entreprises de l’indice (86,6%) confient l’encadrement à l’une ou l’autre de leurs instances de gouvernance. Parmi ces entreprises, seulement quatre confient exclusivement au CA la responsabilité de cet encadrement. Pour les 48 autres entreprises, la responsabilité se trouve partagée entre le CA et ses différents comités ou encore un comité spécialement créé à cette fin, c’est-à-dire:

— Un comité dédié aux facteurs ESG ou à l’environnement, le développement durable ou la santé et la sécurité des travailleurs (19);

— Le comité de gouvernance ou son équivalent (16);

— Le comité d’audit (2);

— Une combinaison ou une mixité de comités (11).

On peut penser que les entreprises de plus petite taille auraient tendance à centraliser la supervision au sein du conseil. Certes, cela permet de développer l’expertise générale des administrateurs dans le domaine, sans toutefois encourager l’analyse approfondie de l’impact des facteurs ESG sur l’entreprise. Par ailleurs, une responsabilité partagée entre le CA et ses comités concentre l’effort d’encadrement sur les facteurs ayant le plus d’importance pour l’entreprise et confie aux comités la responsabilité de l’encadrement selon leurs secteurs d’expertise.

Que peut-on conclure sur la meilleure façon d’encadrer et de promouvoir les facteurs ESG comme outil de transformation de nos organisations? Une conclusion simple semble émerger: il n’existe pas de modèle uniforme (one size fits all). Chaque entreprise se doit de définir la formule qui lui convient le mieux en fonction de sa taille, son secteur, son stade de développement, ses objectifs de pérennité, etc.

À propos de ce blogue

Économiste, titulaire d’une maîtrise en administration des affaires, ainsi que d’une certification en gouvernance, Louise Champoux-Paillé se distingue par une carrière de pionnière dans le domaine des services financiers et professionnels, sa participation à plusieurs conseils d’administration et son engagement à la promotion de la saine gouvernance et de la représentation des femmes au sein des instances organisationnelles. Louise Champoux-Paillé a été présidente fondatrice du Bureau des services financiers, l’ancêtre de l’Autorité des marchés financiers. Elle enseigne la gouvernance et la gestion des risques à l’UQAM et a été nommée récemment co-directrice du Centre Lorenzetti (Université Concordia) dont l’objectif est de créer un carrefour d’expertise et de recherche durablement consacré aux femmes entrepreneuses et dirigeantes. À la recherche constante des nouvelles tendances en matière de gouvernance depuis quinze ans, Louise Champoux-Paillé parcourt quotidiennement différentes publications et études en accordant une attention particulière aux stratégies utilisées par les organisations pour intégrer les facteurs ESG dans leur vision, leur fonctionnement et leur plan de développement et ainsi répondre aux attentes des investisseurs, des actionnaires et de l’ensemble de leurs parties prenantes Louise Champoux-Paillé est membre de l’Ordre du Canada, chevalière de l’Ordre national du Québec, Fellow de l’ordre des administrateurs agréés du Québec et récipiendaire de prix de distinction de l’UQAM et de l’Université Laval. Elle a été admise au Cercle d’excellence de l’Université du Québec. Récemment, la médaille de l’Assemblée nationale du Québec lui était décernée pour l’ensemble de sa carrière.

Louise Champoux-Paillé
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