DryShips: un pari qui coûta cher à certains

Publié le 20/11/2016 à 09:13

DryShips: un pari qui coûta cher à certains

Publié le 20/11/2016 à 09:13

L'évolution du titre de DryShips ces derniers jours.

Tenter de profiter de la baisse d’un titre exerce un certain attrait, nous en convenons. Avec ce type de stratégie dans un portefeuille, il s’avère possible d’investir dans les actions sachant que d’autres positions, comme la vente à découvert, viendront atténuer et compenser en quelques sortes pour la baisse de son portefeuille en cas de correction. 

Nous n’avons jamais été friands de la vente à découvert. Cette dernière correspond à la vente d’un titre que l’on ne possède point, dans le but de le racheter moins cher plus tard. Par exemple, la compagnie ABC se négocie à 20$ l’action, et vous penser qu’elle ne vaut que 5$. Si votre courtier détient en inventaire des actions de ABC, il peut vous les prêter pour que vous puissiez les vendre. De toute évidence, il subsiste un danger: vous pourriez assister à une hausse continue du titre, et ainsi vous retrouver dans l’obligation de les racheter beaucoup plus cher!

Le cas du titre DryShips Inc (NASDAQ, DRYS) est éloquent. Cette société de transport maritime éprouve de sérieuses difficultés, comme plusieurs autres dans son secteur. Elle a dû restructurer son capital, autant du côté de la dette que des actions. Flairant l’effondrement total de la compagnie, plusieurs investisseurs ont vendu à découvert son titre. Vers la fin d’octobre, selon le site ShortSqueeze.com, quelque 1,7 millions d’actions faisaient l’objet de cette stratégie.

Or, les actions ordinaires de DryShips ont été consolidées au début de novembre à raison de 15-pour-1, réduisant considérablement le nombre d’actions en circulation. Puis, vinrent les élections, et la victoire de M. Trump, donnant un grand souffle d’espoir à tout le secteur. L’inévitable se produisit…

Alors que le titre se négociait sous les 5$, il doubla, pour ensuite atteindre les 100$ dans la journée du 15 novembre! Il clôtura à 73$, et fut suspendu jusque dans la matinée le surlendemain. On parle bien d’une montée de 1360% en quelques jours! À la réouverture, il se négociait à 51$, soit 30% de moins que la veille. Vendredi à la fermeture des Bourses, un peu de lucidité revint dans la négociation du titre, alors qu’il se stabilisa à 11,81$! (Cliquer ici pour accéder au graphique).

Tout pointe vers un «short squeeze», c’est-à-dire, une liquidation forcée des positions courtes. Les investisseurs qui avaient vendu à découvert ont soit paniqué en voyant le titre exploser, soit été forcés de racheter pour rencontrer les exigences de marges de leur courtier. Comme le titre était devenu moins liquide, il s’avéra plus difficile de trouver suffisamment d’actions pour couvrir sa position, propulsant le titre dans la stratosphère.

Nous nous sommes adonnés à un petit exercice pour connaître l’impact d’une telle position dans un portefeuille. Nous avons utilisé les conditions en vigueur dans l’une des grandes banques canadiennes. Lorsque l’on vend à découvert, nous devons conserver l’argent de la vente dans un compte prévu à cet effet. Supposons la vente à découvert de 1000 actions à 5$, avant les élections américaines, pour un compte total de 100 000$ composés d’actions admissibles à une marge. Ainsi, la position ne représente que 5% du portefeuille. Cela semble bien raisonnable, n’est-ce pas?

Or, étant donné la marge exigée par notre institution, le portefeuille n’aurait pas tenu le coup. En effet, la marge nécessaire pour supporter la stratégie surpassait largement celle qui était disponible, forçant la vente d’une bonne partie de celui-ci. La situation pourrait même s’avérer encore plus dramatique, si l’institution exigeait de remettre les 5000 actions de Dryships parce qu’elle n’en a plus en inventaire! En effet, lors de la vente à découvert, la plupart des institutions n’offrent pas la garantie de pouvoir conserver la position à découvert. On peut potentiellement être forcé de racheter le titre. L’ennui, c’est que si vous êtes tenu de fermer votre position à 51$, soit le prix d’ouverture lorsque le titre recommença à se négocier, vous accuserez une gigantesque perte de 46 000$ (1000 x 51$, moins les 5000$ reçus au début)! C’est près de la moitié du portefeuille! Une bien grosse perte pour un investisseur qui recherchait un gain potentiel de 5000$ tout au plus.

Quelle leçon peut-on en retirer?

Avec la vente à découvert, même une petite position en portefeuille peut devenir très dommageable en cas de scénario extrême. Si un grand nombre d’actions font l’objet de cette stratégie, on doit prévoir la possibilité d’une liquidation forcée des positions courtes («short squeeze»). On doit également se demander si le gain potentiel compense pour le risque encouru. Dans le cas du titre Dryships, la réponse s’avérait évidente.

Au sujet des auteurs du blogue: Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com

À propos de ce blogue

Patrick Thénière et Rémy Morel sont associés et gestionnaires de portefeuille chez Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com

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