Un pari en faveur de Warren Buffett

Publié le 30/04/2016 à 16:25

Un pari en faveur de Warren Buffett

Publié le 30/04/2016 à 16:25

Samedi a eu lieu l’assemblée annuelle de Berkshire Hathaway (N.Y., BRK.B). Pour la première fois, elle a été diffusée en temps réel à distance, ce qui a permis à quiconque possédant une bonne connexion internet d’y assister. Plus besoin d’attendre en file quelques heures devant l’entrée du CenturyLink Center à Omaha afin de s’assurer d’obtenir une bonne place. On peut maintenant bénéficier de cette présentation dans le confort de son foyer.

Warren Buffett a discuté du pari qu’il avait entrepris huit ans plus tôt avec la firme Protégé Partners, spécialisée dans l’établissement de fonds de couverture. Selon M. Buffett, l’indice américain S&P 500 allait battre le rendement de 5 fonds de couverture sélectionnés par Protégé Partners sur une période de 10 ans. Comme le pari a été réalisé en 2008, il reste 2 ans avant la fin de celui-ci. Comme récompense, le gagnant verra une œuvre de charité de son choix recevoir 1 million de dollars américains, de la part du perdant. Dans le cas de M. Buffett, c’est Girls Inc. d'Omaha, alors que Ark du Royaume-Uni a été sélectionnée par Protégé.

Jusqu’à maintenant, le pari avantage nettement M. Buffett. Le fonds indiciel Admiral Shares de Vanguard sert de mesure pour évaluer le rendement. Celui-ci a dégagé un rendement total de 65,7%, alors que les 5 fonds de couverture de Protégé ont engendré seulement 21,9%. Le grand écart s’explique en partie par la sous-performance boursière. Cependant, les frais onéreux qui sont facturés dans le cas des fonds de couverture contribuent fortement à rendre l’indice plus concurrentiel.

Battre les marchés: un jeu à somme nulle

Ces frais constituent la raison pour laquelle l'investisseur de 85 ans pense gagner son pari. Il a partagé un exemple intéressant à visualiser. Supposons que la moitié des gens de l’assemblée d’aujourd’hui ont choisi l’indice, alors que l’autre moitié cherche à battre la moyenne. La première moitié bénéficie de la certitude suivante: elle obtiendra le rendement du marché sur 10 ans, en payant des frais presque nuls.

Quant à l’autre moitié, chaque individu qui la compose cherche à faire mieux que les autres. De toute évidence, ceux qui réussiront le feront aux dépens de ceux qui échoueront. Il s’agit d’un jeu à somme nulle. Or, les frais abaissent considérablement la moyenne de ce groupe. Par conséquent, cette moitié de l’assemblée est assurée globalement de faire moins bien que l’autre.

Bien que cette réalité puisse paraître évidente aux yeux de M. Buffett, ce dernier a raconté que les fonds de pension tendent à penser qu’avec leurs milliards de dollars sous gestion, ils devraient être en mesure de trouver des gestionnaires exceptionnels pour produire de meilleurs rendements.

Ils engagent donc des consultants pour effectuer la complexe tâche de trouver ces «gestionnaires hors pairs». Or, la plupart de ces consultants auraient intérêt à conseiller un indice passif à ses gros clients, afin de leur permettre d’économiser des frais importants. Malheureusement, ils ne détiennent pas cette option. Quand un choix semble trop simple, la valeur ajoutée du consultant devient nulle. Les gros clients refuseraient de payer pour une telle simplicité.

C’est pourquoi on préfère avoir recours à des graphiques et des présentations étoffées, et ainsi verser dans la complexité pour trouver des gestionnaires. Un tel travail justifie les coûteux honoraires du consultant. Lorsque l’on ajoute ces frais à ceux des fonds sélectionnés, il ne faut pas s’étonner de la médiocrité des résultats à long terme.

Pourquoi les bons gestionnaires sont rares

Certes, les bons gestionnaires existent. Le patron de Berkshire Hathaway lui-même en a engagé deux pour sa propre firme. Nous estimons cependant que notre industrie attire un grand nombre de personnes pour les mauvaises raisons: l’argent.

Prenons le domaine de la musique, pour ne nommer qu’un exemple à l'opposé. Nous y trouvons beaucoup de gens passionnés, qui rêvent d’en vivre. Ils aiment ce qu’ils font, mais peinent à monétiser la pratique de leur art, que ce soit la composition ou l’interprétation. Beaucoup d’appelés, peu d’élus. Donc, même à défaut d’en vivre, beaucoup d’entre eux continuent de consacrer du temps à leur passion.

Dans notre industrie, nous assistons au phénomène inverse. Beaucoup d’emplois, directs ou connexes, existent dans le domaine de l’investissement. Cependant, un nombre très restreint de participants éprouvent une réelle passion pour les finances, les chiffres et la Bourse.

Par conséquent, à défaut de mettre le temps nécessaire pour performer mieux que la moyenne, on consacrera davantage d’efforts sur la mise en marché et les perceptions des clients. Ainsi, malgré des résultats médiocres à longs termes, on peut arriver à entretenir l’illusion à l’effet que la complexité s’avère une meilleure alternative que la simplicité.

Pour conclure, sans une réelle passion pour la finance, un gestionnaire peinera à faire mieux que la moyenne. Si les frais chargés sont élevés, et qu’en plus, la rémunération d’un consultant entre dans l’équation, obtenir de bons résultats à long terme s’avère presque impossible sans une bonne dose de chance. En exigeant la sélection de 5 fonds du côté de Protégé Partners, M. Buffett a statistiquement de bonnes probabilités de gagner son pari.

Au sujet des auteurs du blogue: Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com

À propos de ce blogue

Patrick Thénière et Rémy Morel sont associés et gestionnaires de portefeuille chez Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com

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