Forcer l'intégration des femmes dans les conseils d'administration?

Publié le 19/06/2016 à 12:19

Forcer l'intégration des femmes dans les conseils d'administration?

Publié le 19/06/2016 à 12:19

Une question importante circule de plus en plus dans le monde des affaires, à savoir si l’on devrait changer les règlements un peu partout pour favoriser une présence plus équilibrée des deux sexes au sein des conseils d’administration. La société souhaite un traitement équitable des femmes, comme dans le cas des salaires, ce qui s’avère tout à fait juste et logique.

Nous voyons de plus en plus de femmes devenir dirigeantes de grandes sociétés aux États-Unis. Il suffit de penser à Mary Barra chez General Motors (N.Y., GM), Ursula Burns chez Xerox (N.Y., XRX), ou plus près de nous, il y avait Monique Leroux au Mouvement des Caisses Desjardins. Nous croyons que la tendance se poursuivra, car de plus en plus, les femmes se démarquent dans le monde des affaires. On reconnaît davantage leurs compétences. Les entreprises et les organismes ont tout à y gagner! Néanmoins, ce n’est pas nécessairement le cas pour tous les postes des conseils d’administration, qui participent directement ou indirectement à l’élaboration des salaires des hauts dirigeants.

Une sélection axée sur le genre, ou sur n’importe quel critère autre que la compétence, faite de façon systématique, risque d’accroître un problème auquel nous assistons depuis longtemps. Nous croyons que ce dernier a fortement contribué à la rémunération abusive des dirigeants des grandes sociétés, particulièrement aux États-Unis. Il s’agit de la rémunération des directeurs du conseil eux-mêmes!

 

Des salaires de cadres pour assiter à des réunions

Actuellement, une société américaine de taille assez importante versera aisément entre 200 000$ et 300 000$ annuellement par directeur. Cette compensation peut être composée d’un certain montant d’argent, complété par des actions et des options. Or, un tel salaire dépasse largement le salaire moyen d’un individu qui travaille à temps plein. Tout ce qu’on exige du directeur au minimum, c’est qu’il assiste à plusieurs réunions par année.

Dans un monde idéal, le directeur sélectionné devrait apporter une expertise par le biais de ses précieux conseils, afin d’améliorer les affaires de la société. Ainsi, les actionnaires en bénéficient indirectement, alors que leur entreprise devient plus rentable et compétitive. Cependant, il en est parfois autrement.

Il existe des conflits d’intérêts évidents entre le chef de la direction et l’influence qu’il exerce pour le choix des candidats sur le conseil. Un directeur siégeant sur le comité de rémunération ou de la vérification n’a pas intérêt à déplaire au chef de la direction s’il veut conserver son poste. Allons encore plus loin : il n’a pas intérêt se bâtir une mauvaise réputation dans le monde des affaires s’il veut siéger sur d’autres conseils

Autrement dit, un directeur qui éprouve un profond désaccord avec ce qui se passe lors des réunions aurait beaucoup à perdre s’il s’exprimait librement. Warren Buffett a déjà commenté sur le sujet, et sa remarque cible bien le dilemme. Dans une entrevue il y a deux ans, il décrivit un extrait de conversation plausible entre deux hauts dirigeants de grandes sociétés : «J’ai entendu parler de l’une de vos directrices sur votre conseil. Nous avons besoin d’une femme sur le nôtre et apparemment elle se comporte bien…». La candidate décroche ainsi un emploi de 200 000$ ou 300 000$ par an supplémentaire, et pour le conserver, elle n’a qu’à acquiescer à ce qui est proposé. «C’est la réalité de notre monde» commenta Buffett.

 

Rester silencieux, c'est payant!

Donc, un directeur qui se «comporte bien» peut obtenir plusieurs sièges dans différentes sociétés. Sa carrière est bien partie : il empoche plus d’un millions de dollars par année en assistant à des réunions, et il se fait connaître parmi les grands dirigeants qui apprécient son grand «sens de la collaboration». Comme on paie normalement ses dépenses de déplacement pour assister aux réunions, il peut voyager à peu de frais par surcroît.

Voilà une difficulté de taille. Les directeurs sont tellement bien rémunérés qu’ils ont tout avantage à encourager le statu quo dans les paies exagérées de bien des dirigeants. Si l’on obligeait les sociétés à cibler une meilleure représentation des femmes au conseil, va-t-on améliorer la situation?

Toute élection de directeurs, si elle est exécutée pour rencontrer une exigence légale quelconque, risque d’amplifier la situation. Que ce soit sur le genre, la race, l’âge ou peu importe, la compétence devrait être le critère premier, comme le mentionnait l’entrepreneur québécois Nicolas Duvernois dans une chronique récente.

La vraie question ne devrait pas tourner autour d’un équilibre dans la représentation selon différents critères dans un conseil quelconque. Dans le cas des sociétés publiques, la rémunération devrait être révisée sérieusement. Si l’on souhaite des salaires raisonnables pour les hauts dirigeants, on doit viser des rémunérations raisonnables pour ceux qui prennent les décisions par rapport aux premiers.

 

Au sujet des auteurs du blogue: Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com

À propos de ce blogue

Patrick Thénière et Rémy Morel sont associés et gestionnaires de portefeuille chez Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com

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