Hydro-Québec n'a pas seulement besoin d’un constructeur de barrages

Publié le 13/01/2023 à 07:30

Hydro-Québec n'a pas seulement besoin d’un constructeur de barrages

Publié le 13/01/2023 à 07:30

«Les pannes majeures causées par deux tempêtes en 2022 montrent la fragilité du réseau d’Hydro-Québec, particulièrement du côté de la distribution vers le consommateur final.» (Photo: 123RF)

Un texte de Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal et directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal


Le premier ministre Legault a souligné l’importance pour la prochaine ou le prochain PDG d’Hydro-Québec d’augmenter rapidement les approvisionnements en électricité de la société d’État afin de répondre à l’électrification grandissante du Québec, essentielle pour l’atteinte des objectifs climatiques. Or, tant le Plan stratégique que le Plan d’adaptation aux changements climatiques, tous les deux développés sous la direction de Sophie Brochu, indiquent qu’Hydro-Québec ne croit pas aux objectifs climatiques et n’a pas l’intention d’appuyer les efforts nécessaires pour les atteindre. Cependant, les tendances tant au Québec que dans le reste de l’Amérique du Nord, montrent que l’électrification massive s’en vient, qu’on le veuille ou non.

Dans ce contexte, si le besoin en énergie additionnel est bien réel, la liste des défis à relever dans le secteur de l’électricité (et pas seulement par Hydro-Québec) pour les prochaines années est, en réalité, très large, comme nous l’avons expliqué dans un rapport publié fin août 2022 par l’Institut de l’énergie Trottier (IET). Cette liste peut être divisée en trois grandes catégories qui se recouvrent, bien sûr.

Transformation de la demande

La demande en électricité au cours des prochaines années va croître, mais aussi se transformer: des secteurs dépendants des combustibles fossiles — tels que le transport et les grands bâtiments, ainsi que l’agriculture, le manufacturier et la grande industrie — vont migrer vers l’électricité alors que de nouveaux acteurs énergivores, qui rêvent d’une électricité verte à bas prix, vont vouloir s’installer au Québec. Ces nouveaux clients vont transformer les besoins sur le territoire ainsi que la courbe annuelle de demande. Afin d’optimiser les investissements en nouvelles infrastructures, il faudra revoir les règles de branchement des nouveaux clients et de gestion de pointe, celles entourant l’intégration de production distribuée ainsi que les tarifs d’énergie et de puissance. Des transformations qui ne sont que partiellement sous la responsabilité d’Hydro-Québec, mais qui l’engagent directement.

Approvisionnements

Alors que les besoins en électricité augmenteront, les approvisionnements pourraient se réduire de manière importante: Hydro-Québec a signé deux contrats fermes avec New York et Boston, pour environ 20 TWh par année, environ 10% de l’électricité disponible, réduisant d’autant l’énergie disponible pour le Québec si ces contrats se réalisent. De même, le contrat sur l’électricité provenant des chutes Churchill, qui fournit 30 TWh par année, vient à échéance en 2041 et les tensions demeurent vives entre le Québec et Terre-Neuve à ce sujet. Dans ce contexte, il ne fait aucun doute que de nouveaux approvisionnements seront nécessaires d’ici quelques années. Si le chiffre de 100 TWh, qui provient de modélisations de la firme ESMIA formant la base, entre autres, des Perspectives énergétiques canadiennes de l’IET, semble grand, il est du même ordre que la croissance des approvisionnements durant les 25 ans entre 1964 et 1989 ; le Québec a donc déjà relevé le défi une fois et pourra le faire à nouveau avec, bien sûr, des solutions différentes. Comme l’ensemble de la planète s’électrifiera, il importe de planifier le plus tôt possible, afin de s’assurer de disposer des infrastructures en temps voulu. Si les derniers approvisionnements en électricité ont été largement sous-traités depuis 20 ans, il est essentiel, afin de minimiser les coûts et assurer la cohérence des projets, que les nouvelles infrastructures de production soient sous la responsabilité directe d’Hydro-Québec Production.

Résilience

Les pannes majeures causées par deux tempêtes en 2022 montrent la fragilité du réseau d’Hydro-Québec, particulièrement du côté de la distribution vers le consommateur final. Or, alors que les secteurs s’électrifient rapidement, ces pannes et interruptions s’avèrent de plus en plus critiques. Afin de réduire les risques pour les citoyens et l’économie du Québec, il faut renforcer le réseau, une responsabilité d’Hydro-Québec, et déployer des mesures visant à mitiger l’impact des pannes, une responsabilité partagée avec le gouvernement du Québec et les municipalités.

Avec une telle tâche, il est essentiel que le remplaçant de Sophie Brochu possède une compréhension fine des enjeux liés à la transition énergétique et soit capable de faire en sorte qu’Hydro-Québec accompagne le Québec dans cette transformation aux contours incertains, dans un esprit pas seulement de constructeur de barrages, mais de visionnaire capable de s’adapter à la réalité changeante et complexe qui se déploie devant nous.

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