De l'usage discutable que l'on fait des données en entreprise

Publié le 05/10/2020 à 09:20

De l'usage discutable que l'on fait des données en entreprise

Publié le 05/10/2020 à 09:20

«Comme le chaman qui blâme les prédictions erronées sur les mauvaises vibrations ou la colère du dieu Badaboum-Badabing, les analystes continueront de blâmer une déviation stochastique pour excuser les erreurs de leurs algorithmes, et le monde continuera de tourner comme avant», raconte Simon Lord. (Photo: 123RF)

COURRIER DES LECTEURS. La prise de décision en entreprise est une affaire sérieuse. Chaque décision doit être basée sur de solides faits objectifs. C’est pour cette raison que la plupart des patrons et compagnies accordent autant d’importance aux données, et demandent que toutes les décisions soient soutenues par des statistiques et des prévisions de marché. 

Ou plutôt, c’est ce que vous pensez. 

En vérité, les statistiques sont aux organisations modernes ce que les os de coccyx de singe sont aux sociétés tribales. Dans ces sociétés, la divination joue un rôle important, de même que les sorciers et les chamans qui en sont les gardiens. L’explication est plutôt simple. Quand les habitants du prochain village vous piquent régulièrement une partie de votre récolte de patates douces, l’heure est grave. Vous devez décider d’un chemin à prendre pour résoudre le problème: entrer en guerre, déménager la tribu, etc. Mais comment décider de la meilleure avenue à privilégier?

Certains membres de la tribu préféreront solder la question en attaquant le village ennemi, massacrant ses habitants et pillant les maisons. Certains autres privilégieront plutôt la douce approche du dialogue. D’autres encore diront préférer l’inaction. Bref, tout le monde aura sa petite idée de la meilleure solution à prendre, mais aucune façon de convaincre le reste des habitants de la supériorité absolue de son idée. Et c’est là qu’interviennent les os de coccyx. 

Dans une situation d’incertitude, il est difficile et même parfois impossible de déterminer la meilleure décision à prendre. Sauf qu’en l’absence d’une décision claire, le débat risque de diviser le groupe et de s’éterniser jusqu’à la seconde venue du Christ. En consultant un oracle, qui examinera les susmentionnés os de singe, des feuilles de thé, ou tout autre objet naturel aux propriétés supposément prédictives, la tribu peut trouver des réponses claires et nettes à ses questions.

Même si les risques et les incertitudes reliées à la situation demeurent présents, les prévisions de l’oracle permettent au moins au groupe de procéder de façon unie, tout un chacun étant ainsi certain que la tribu a pris la meilleure décision. Dans la plupart des organisations et entreprises d’aujourd’hui, les statistiques et autres outils d’analyse quantitative jouent souvent le même rôle. Ils permettent de donner l’illusion qu’une avenue est réellement meilleure qu’une autre, même si ce n’est pas nécessairement le cas, et ce, dans le but de rallier l’équipe autour de cette décision pour assurer que tout le monde pousse dans le même sens.

C’est pour cette raison que tant d’entreprises continuent de se nourrir de prévisions économiques et politiques même si la recherche a démontré qu’elles ne valaient souvent pas mieux qu’un coup de dé. Et les choses continueront ainsi tant que personne n’aura trouvé de meilleure façon d’unir les troupes autour d’une décision ou d’une autre, et tant que le coût de l’incertitude sera plus élevé que le coût des chamans et statisticiens.

Comme le chaman qui blâme les prédictions erronées sur les mauvaises vibrations ou la colère du dieu Badaboum-Badabing, les analystes continueront de blâmer une « déviation stochastique » pour excuser les erreurs de leurs algorithmes, et le monde continuera de tourner comme avant. 

Si vous désirez aller de l’avant avec une certaine décision, vous auriez donc bien avantage à trouver ou fabriquer des chiffres qui soutiennent le plan que vous suggérez. 

Une bonne tactique en cette ère où les données sont si valorisées consiste à mettre les décisions dans les mains de l’intelligence artificielle et de vous en laver complètement les vôtres. Si vous en avez la possibilité, achetez donc des applications, logiciels ou algorithmes qui vous diront quelle est la meilleure avenue à suivre, vous dégageant ainsi de toute responsabilité.

Qu’importe si toute l’affaire est une boîte noire qui s’avère absolument incompréhensible et qui assigne en réalité un score aléatoire à toutes les options possibles. Au moins, vous serez en sécurité. 

L’intuition professionnelle vous expose au péril ; les procédures vous protègent. 

Malheureusement, même avec le meilleur logiciel au monde, vous devrez quand même parfois prendre des décisions par vous-même. Il n’en tient alors qu’à vous de bien rationaliser vos décisions après le coup pour bien paraître. Comme le monde est aujourd’hui noyé dans les données, vous aurez donc plus d’occasions que jamais de le faire d’une façon convaincante.

Car rien n’est plus persuasif que d’utiliser les chiffres pour appuyer vos décisions. Et si vous êtes habile, vous trouverez toujours une façon d’utiliser les données pour soutenir votre point de vue de façon à peu près crédible. Prenez vos décisions d’abord, en choisissant l’option qui vous avantagera le plus, et faites ensuite dire aux données que votre choix est le plus judicieux. 

Les données sont là, vive les données !

Dans cet extrait abrégé de son nouveau livre Réussir sa carrière sans s’éreinter — Guide pratique et machiavélique pour connaître le succès au travail, l’auteur et journaliste d’affaires Simon Lord vous invite à rire de nos façons d’user — et d’abuser! — des données dans le cadre des décisions d’affaires. 

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Dans cet extrait abrégé de son nouveau livre Réussir sa carrière sans s’éreinter — Guide pratique et machiavélique pour connaître le succès au travail, l’auteur et journaliste d’affaires Simon Lord vous invite à rire de nos façons d’user — et d’abuser! — des données dans le cadre des décisions d’affaires. 

 

 

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