Vivre en banlieue, un cadeau empoisonné?

Publié le 30/11/2016 à 07:39, mis à jour le 01/12/2016 à 09:29

Vivre en banlieue, un cadeau empoisonné?

Publié le 30/11/2016 à 07:39, mis à jour le 01/12/2016 à 09:29

Un rêve qui peut vite tourner au cauchemar... Photo: DR

Un grand jardin, une grande maison, un grand espace de stationnement à soi... D'un seul coup, la vie paraît plus belle lorsqu'on songe aux avantages de vivre en banlieue. Un rêve que plus d'un chérit de nos jours, plus ou moins en secret... sans savoir que le rêve a, en vérité, de fortes chances de virer au cauchemar! Explication.

Au Québec, 38% des employés vivent aujourd'hui d'un chèque de paie à l'autre, selon un récent sondage de l'Association canadienne de la paie (ACP). C'est-à-dire que 2 personnes qui ont un emploi sur 5 rencontreraient de graves difficultés financières si jamais leur chèque de paie était reporté ne serait-ce que d'une semaine. Ce qui est le signe alarmant d'une grande précarité financière à l'échelle de la province.

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Qui sont ces personnes-là, au juste? Une étude signée par Greg Kaplan, professeur d'économie à Princeton, assisté de son étudiant Justin Weidner, et Giovanni Violante, professeur d'économie à l'Université de New York, dresse leur portrait-robot dans plusieurs pays occidentaux (à lire absolument pour ceux qui veulent aller plus loin). Voici ce qu'il en ressort concernant le Canada :

> Un tiers est pauvre. Un tiers des Canadiens qui vivent d'un chèque de paie à l'autre sont pauvres.

[Mise à jour]

> Deux tiers sont «fortunés». Les deux autres tiers des Canadiens qui vivent d'un chèque de paie à l'autre sont «fortunés», en ce sens qu'ils sont propriétaires de biens d'une valeur conséquente, dans la majorité des cas d'un bien immobilier (maison, condo, etc.) d'une valeur d'au moins 67 000 dollars. Ceux-là font donc partie de ce qu'on appelle la «classe moyenne», celle qui n'est ni riche ni pauvre; plus précisément, du bas de la classe moyenne. Les dits «fortunés» sont, en général, âgés entre 30 et 50 ans, mariés et rémunérés un poil au-dessus du salaire médian.

Selon une autre étude récente signée par le cabinet-conseil américain JD Power & Associates, les générations X et Y se démarquent ces dernières années en Amérique du Nord par une nouvelle tendance : la recherche d'un emploi et d'un logement en banlieue plutôt que dans le centre-ville. Autrement dit, de plus en plus d'entre eux sont séduits par la vie de banlieue, et tout particulièrement les membres de la génération Y (grosso modo ceux qui sont nés dans les années 1980 et 1990).

À noter que cette tendance concerne les générations X et Y dans leur globalité, ce qui comprend les personnes en situation précaire sur le plan financier, tant celles qui sont pauvres que celles qui sont dites «favorisées».

Le hic? C'est que s'installer en banlieue lorsqu'on vit d'un chèque de paie à l'autre est un véritable piège financier, digne du pire des sables mouvants. C'est ce que montre le livre The Two-Income Trap: Why middle-class parents are going broke d'Elizabeth Warren et Amelia Tyagi : la précarité financière de ces banlieusards-là ne fait que perdurer, année après année, décennie après décennie, en particulier pour ceux qui figurent d'emblée dans le bas de la classe moyenne.

Un chiffre, parmi d'autres, est révélateur, à cet égard : les nouveaux propriétaires d'un logement en banlieue qui ont eu d'emblée du mal à payer la mise de fonds nécessaire ont de 15 à 20 fois plus de risques de se faire saisir leur bien immobilier que les autres, selon les deux auteures. Pourquoi? Parce que ceux-ci ne parviennent pas à mettre de l'argent de côté, et dépendent donc sans cesse du chèque à venir. Rares sont ceux qui parviennent à s'extraire de la précarité une bonne fois pour toutes.

La co-auteure Amelia Tyagi l'a illustré dans le cadre d'une entrevue accordée au magazine américain Mother Jones. En général, les gens se heurtent dès lors à deux écueils principaux : le logement et l'éducation. Le logement, d'abord, parce que trop souvent les nouveaux banlieusards visent un quartier qui dépasse légèrement leur niveau de vie. Ils se disent que leur pouvoir d'achat va aller en s'améliorant et que tout ira pour le mieux dans les années à venir, après s'être serré la ceinture quelques années. Mais en vérité, nombre d'entre eux croûlent sous les dettes (besoin de deux voitures, pression sociale pour s'équiper d'une piscine, etc.). L'éducation, ensuite, parce que les nouveaux banlieusards ont trop souvent le réflexe de s'installer à proximité d'une école pour leurs enfants, là où les logements sont un peu plus chers qu'ailleurs.

«Nos données montrent que ces familles-là ont beau travailler fort, elles n'arrivent pas à s'en sortir, car elles sont carrément étranglées sur le plan financier», a-t-elle souligné, en indiquant notamment que ceux-là étaient cinq fois plus susceptibles de faire faillite que les autres.

En résumé, ils font le pari que leur précarité financière de nouveaux banlieusards va aller en s'atténuant. Mais voilà, cela ne se produit pas, ou trop rarement, d'après les recherches de Mmes Warren et Tyagi.

On le voit bien, décider de vivre en banlieue, ce n'est pas nécessairement se faire un cadeau. C'est plutôt se faire un cadeau empoisonné puisque cela revient à courir le risque bien réel de s'enliser dans la précarité financière pour ceux qui n'ont pas les reins solides. Un risque d'autant plus redoutable qu'il est insoupçonnable. 

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire sur Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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