Vive les hommes au foyer!

Publié le 18/12/2017 à 06:06, mis à jour le 18/12/2017 à 06:22

Vive les hommes au foyer!

Publié le 18/12/2017 à 06:06, mis à jour le 18/12/2017 à 06:22

Mine de rien, un gain pour toute la société... Photo: DR

J'ai aujourd'hui une question à vous poser, une question qui tue: «Au travail, occupez-vous un poste qui vous convient parfaitement?»

J'imagine que non, que vous estimez que l'ensemble de vos talents personnels ne se déploient pas autant qu'ils le devraient, bref, qu'il y a encore de la marge avant de vous considérer comme épanoui dans votre quotidien au travail. Rassurez-vous, c'est tout à fait normal: en Amérique du Nord, les talents sont particulièrement mal mis à contribution, comme l'ont mis au jour l'an dernier Chang-Tai Hsieh et son équipe de chercheurs de chercheurs de l'École de commerce Boothet de l'Université Stanford.

Un exemple frappant: la prédominance outrancière des hommes sur le marché du travail, qui nuit tant aux femmes et au déploiement de leurs talents propres. M. Hsieh et ses collègues ont calculé que, de 1960 à 2010, la croissance du produit intérieur brut par habitant des États-Unis avait résulté à hauteur de 25 % de la diminution progressive du déséquilibre entre hommes et femmes sur le marché du travail. Autrement dit, l'économie du pays entier était ressortie gagnante de l'accès grandissant des femmes - et donc, de leurs talents propres - au marché du travail.

Cela étant, nous sommes encore loin de l'équilibre parfait, et par suite, d'une économie qui fonctionne de manière optimale. Qu'est-ce qui freine, encore aujourd'hui, ce «rééquilibrage» si bénéfique à l'échelle de l'individu comme à celle de l'ensemble de la société ? Andrés Erosa et son équipe de chercheurs de l'Université Charles-III de Madrid, de l'Université de Toronto et de l'Université Princeton ont tenu à le savoir. Ce faisant, ils ont découvert que ce «rééquilibrage» résultait en grande partie de... la répartition des tâches à la maison !

Regardons un peu ce qui se passe de nos jours à ce sujet au Québec... Dans une journée type, les hommes consacrent en moyenne 9,5 heures au travail et 3,6 heures aux tâches ménagères. De leur côté, les femmes accordent en moyenne 8,3 heures au travail et 4,9 heures aux tâches ménagères, selon une étude du ministère de la Famille. Autrement dit, les femmes passent 26 % plus de temps que les hommes à s'occuper des enfants, à faire du ménage, ou encore à préparer des repas. Ce qui est énorme.

Ce n'est pas tout. La même étude montre que 24 % des hommes ayant des enfants en bas âge ne s'occupent quasiment pas d'eux et que 19 % leur consacrent moins de 5 heures par semaine. Elle met également au jour le fait qu'il y a deux fois plus de femmes que d'hommes qui allouent plus de 15 heures par semaine aux tâches ménagères, et que - tenez-vous bien ! - cela se vérifie surtout auprès des milléniaux (les 18-34 ans). En d'autres mots, les hommes ont pris l'habitude d'en faire le minimum à la maison, et ce n'est pas la nouvelle génération qui va a priori y changer quoi que ce soit.

Résultat ? C'est toute l'économie du Québec qui en fait les frais. L'étude de M. Erosa a en effet découvert que chaque fois qu'on réduisait de 10 % le temps que les femmes passaient à accomplir des tâches ménagères, cela permettait à celles-ci de consacrer en moyenne 14 % plus d'heures au travail. Autrement dit, elles en profitaient pour se ruer au travail, en y redoublant d'efforts. Par voie de conséquence, l'écart salarial entre les sexes se réduisait dès lors d'en moyenne 11 %.

C'est bien simple, si l'on arrivait, un beau jour, à l'équilibre parfait entre hommes et femmes concernant la répartition des tâches ménagères, il se produirait deux choses fantastiques, d'après les calculs de l'équipe de M. Erosa :

> Bien-être. L'indice de bien-être d'une société nord-américaine progresserait d'en moyenne 6,9 points de pourcentage par rapport à ce qu'il est aujourd'hui. Si l'on considérait juste celui du Québec calculé par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cela le ferait passer de 7,6 à 8,3 points sur une échelle de 10. Du coup, vous comme moi, nous vivrions carrément dans l'un des endroits les plus agréables de la planète.

> Productivité. La productivité augmenterait d'en moyenne 5,4 points de pourcentage. Ce qui serait purement prodigieux pour le Québec. En 2016, la progression n'avait été à cet égard que de 0,2 point de pourcentage, selon Statistique Canada.

Pas de doute, l'économie du Québec se porterait nettement mieux si les hommes se souciaient davantage des tâches ménagères, quitte à sacrifier pour cela un peu de leur temps de travail. Notre province serait à ce moment-là un peu plus égalitaire, un peu plus heureuse et même un peu plus productive. Et si jamais - ô miracle ! - il devenait tendance de devenir homme au foyer, nous ne connaîtrions ni plus ni moins qu'une spectaculaire expansion économique.

De là à dire qu'il serait bon qu'un mouvement politique se mette à prôner des incitatifs financiers qui visent à encourager les hommes à consacrer moins d'heures au travail pour s'occuper davantage de leur foyer, il n'y a qu'un pas que je me fais un plaisir de franchir allègrement. C'est que je suis convaincu que cela serait tout aussi bénéfique que l'est, par exemple, le congé de paternité de cinq semaines en vigueur aujourd'hui au Québec ; un congé qui fait bien des jaloux ailleurs, croyez-moi.

Alors, vous ne vous sentez pas parfaitement à l'aise dans votre quotidien au travail ? Eh bien, messieurs, c'est peut-être le signe que vous feriez mieux de lever un peu le pied pour vous impliquer davantage à la maison. Et vous, mesdames, le signe que vous en faites trop au foyer. «Ensemble, cherchons un meilleur équilibre, tout le monde en sortira gagnant», notent d'ailleurs M. Erosa et son équipe dans leur étude.

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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