Vers un NAFTrump ?


Édition du 02 Juin 2018

Vers un NAFTrump ?


Édition du 02 Juin 2018

Donald ­Trump a le chic pour prendre des décisions économiques qui fâchent... [Photo: 123RF]

Depuis maintenant neuf mois, les États-Unis, le Canada et le Mexique négocient une nouvelle mouture de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA, ou NAFTA en anglais), et rien ne dit qu'une entente se profile à l'horizon. Pis, maintenant que la date butoir du 17 mai fixée par le républicain Paul Ryan, le président de la Chambre des représentants, est révolue, Donald Trump peut perdre patience et déchirer à tout moment l'entente actuelle, qu'il considère comme « horrible » pour son pays.

Que va-t-il se passer ? Le nationalisme économique prôné par le président des États-Unis va-t-il tout faire voler en éclats ? De nouvelles barrières tarifaires vont-elles s'ériger à nos frontières ? Des guerres commerciales vont-elles même être déclenchées ici et là ? J'ai eu le privilège d'assister, au congrès annuel de l'Association des économistes québécois (ASDEQ) et ai pu ainsi recueillir des éclairages fort intéressants à ce sujet...

La Banque Scotia a recouru à ses modèles de calcul économétriques pour anticiper les impacts potentiels d'une politique résolument protectionniste du côté américain. « Si les États-Unis revenaient aux barrières tarifaires des années 1990, cela provoquerait chez eux comme chez nous une récession qui durerait au moins deux ou trois ans », dévoile Jean-François Perrault, premier vice-président et économiste en chef, Banque Scotia.

Alessandro Barattieri, Matteo Cacciatore et Fabio Ghironi sont trois professeurs d'économie qui travaillent respectivement à l'ESG UQÀM, à HEC Montréal et à l'Université de Washington. Ensemble, ils ont analysé les implications macroéconomiques d'une montée en puissance du protectionnisme. « Nos travaux montrent clairement que cette politique est inflationniste et "récessionnaire". Si elle était appliquée de nos jours par les Américains, cela améliorerait, au mieux, un tout petit peu leur ratio balance commerciale/produit intérieur brut, mais surtout, cela mènerait droit à une récession durable », notent-ils dans leur étude, en soulignant que « le protectionnisme est indubitablement une mauvaise idée ».

Jean St-Gelais, le président de l'ASDEQ, d'enfoncer le clou : « C'est bien simple, le protectionnisme est un obstacle à la croissance économique, à commencer par celui qui l'exerce », dit-il.

Ce n'est pas tout. Au début de mai, quelque 1 500 économistes, dont 14 prix Nobel d'économie, ont signé une lettre ouverte adressée au président américain dans laquelle ils le supplient de ne pas relever les barrières tarifaires, même un tant soit peu. « En 1930, 1 028 économistes avaient pressé le Congrès de rejeter la loi Hawley-Smoot, qui allait augmenter les droits de douane à l'importation de plus de 20 000 produits. Cette loi a été malgré tout adoptée et a mené droit à la Grande Dépression. Ne refaisons pas aujourd'hui la même erreur, ne faisons pas payer aux Américains le prix exorbitant d'un absurde repli sur soi économique », écrivent-ils.

Donald Trump va-t-il écouter toutes ces voix qui s'élèvent pour l'alerter du danger d'une politique protectionniste ? Ou va-t-il les balayer du revers de la main, en les traitant - comme à son habitude dès qu'un fait dérange ses a priori - de fake news ? Tout porte à croire qu'on peut craindre le pire. Larry Kudlow, le principal conseiller économique du président américain, a récemment confié au magazine Politico qu'il était « pessimiste » concernant la survie de l'ALÉNA : il a beau plaider en faveur d'un léger remodelage de l'entente, le président semble faire la sourde oreille. À cela s'ajoute le fait que Donald Trump a le chic pour prendre des décisions économiques qui fâchent. Un sondage mondial mené par le groupe de recherche allemand CESifo auprès de 1 000 économistes montre en effet que seulement 7,8 % d'entre eux considèrent que le président a eu pour l'instant un impact positif sur le climat d'affaires global, et 3,6 %, sur les échanges internationaux des États-Unis.

Et pourtant - tenez-vous bien ! -, une lueur d'espoir semble poindre à l'horizon. Si, si... « Trump va se montrer plus conciliant dans les mois et les années à venir, car il ne peut plus se permettre de déchirer des ententes ; il lui faut maintenant montrer à ses électeurs qu'il est capable de conclure des ententes à l'échelle internationale », a affirmé l'invité du congrès de l'ASDEQ Todd Buchholz, professeur d'économie à Harvard et ex-directeur de la politique économique à la Maison-Blanche sous George W. Bush.

« Trump est connu pour ses coups de gueule sur Twitter, mais aussi pour ses revirements à 180 degrés effectués en un clin d'oeil. Il réagit, mais n'agit pas. D'ailleurs, regardez ses menaces de mesures protectionnistes : aucune d'entre elles n'a encore été vraiment mise en pratique. Ce qui est bien le signe qu'il peut plier pour l'ALÉNA », ajoute M. Perrault, de la Scotia.

Dominique Anglade, la ministre de l'Économie, de la Science et de l'Innovation ainsi que de la Stratégie numérique du Québec, abonde dans le même sens, en lançant, sourire en coin : « Keep calm and don't sweat the tweets ! » (« Restez calmes et ne vous énervez pas avec les tweets »).

Bref, la probabilité est plus forte qu'on ne le croit de voir Donald Trump reculer stratégiquement à propos de l'ALÉNA, et donc « de passer du NAFTA au NAFTrump », comme le pense M. Buchholz, en évoquant ainsi une entente qui lui permettrait d'enregistrer quelques gains symboliques, sans perdre pour autant la face.

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