Un fléau insoupçonnable menace-t-il notre productivité?

Publié le 15/10/2019 à 06:06

Un fléau insoupçonnable menace-t-il notre productivité?

Publié le 15/10/2019 à 06:06

Travailler va devenir de plus en plus pénible... (Photo: Spencer Davis/Unsplash)

Sécheresses, canicules, feux de forêt, ouragans, pluies torrentielles… C’est clair, le changement climatique provoqué par nos émissions croissantes de dioxyde de carbone (CO2) bouleverse radicalement notre quotidien. Mais est-ce là tout? N’aurait-il pas d’autres impacts aussi foudroyants qu’insoupçonnés, comme, par exemple, un impact sur… la productivité des êtres humains?

Cette interrogation, Yann Chavaillaz, chercheur au centre de recherche Ouranos, à Montréal, se l’est posée. Avec d’autres chercheurs du Canada, de l’Allemagne et de la Finlande, il a regardé si des températures plus élevées que celles que nous connaissons aujourd’hui pouvaient affecter la productivité des travailleurs qui passent l’essentiel de leurs journées dehors – pour l’essentiel, ceux qui travaillent dans l’agriculture, les mines à ciel ouvert, la foresterie et la construction.

Pour s’en faire une idée, ils ont concocté un modèle de calcul permettant d’évaluer avec précision les éventuels impacts à ce sujet, en fonction de différents scénarios (ex.: si nous ne changeons rien à nos émissions de CO2; si nous parvenons à les faire diminuer un peu; etc.). Et ce, aussi bien globalement (à l’échelle de la planète) que localement (à l’échelle d’un pays).

Résultats? Ils sont purement ahurissants:

– Un coût de 4.400 G$ US par an. Dans le cas où nous ne changeons pas grand-chose à nos émissions de CO2, il faut nous attendre à une chute annuelle de 3,61 points de pourcentage du produit intérieur brut (PIB) mondial. Ce qui est phénoménal : ça représente un coût annuel moyen de 4.400 G$ US, ou, si vous préférez, de 0,59 $ US par tonne de CO2 émise. Pour vous donner un ordre d’idée, 4.400 G$ US, ça correspond à 4 fois la valeur boursière de Microsoft, 5 fois celle d’Amazon, ou encore 9 fois celle de Facebook.

– Tristes tropiques. L’impact ne sera pas uniforme, certains pays seront nettement plus affectés que d’autres : les zones géographiques les plus touchées seront le nord de l’Amérique du Sud, l’Afrique centrale, l’Inde, l’Asie du Sud-Est et le nord de l’Australie; autrement dit, toutes celles qui se trouvent sous les tropiques. Les calculs indiquent que le Top 5 des pays les moins bien lotis sera : 1. La République démocratique du Congo; 2. La République centrafricaine; 3. Les îles Salomon; 4. La Guinée équatoriale; 5. La Guinée-Bissau – que des contrées africaines, ou presque.

– Malheur aux moins bien nantis. La perte de productivité du travail sera 9 fois plus importante dans les pays à revenus faibles et moyens inférieurs que dans ceux à revenus élevés. Ce qui découle en grande partie du fait que les secteurs les plus touchés (agriculture, construction…) sont prédominants dans ces pays-là ; un exemple frappant : ils correspondent à 73% de la production des pays à faibles revenus.

«Nos travaux montrent que le lien entre émissions de CO2 et répercussions sur la productivité humaine est assez linéaire, explique Damon Matthews, professeur en science climatique à l’Université Concordia, à Montréal, et coauteur de l’étude parue dans Nature. C’est pourquoi nous sommes en mesure d’évaluer l’impact des émissions futures de CO2 sur ceux qui travaillent à l’extérieur.»

Et d’ajouter : «L’intérêt, c’est de sonner l’alarme, surtout auprès des pays et des gouvernements les plus concernés par ce qui est en train de se produire, dit-il. Il est grand temps qu’ils réalisent à quel point le changement climatique actuel est lourd de conséquences, et de corriger le tir, ou à tout le moins de s’y adapter, sans tarder».

Et le Canada, dans tout ça? L’étude indique qu’il figurera parmi les pays les moins touchés : «Certains pays à grande superficie et à faible densité de population, comme la Russie et le Canada, ne seront que marginalement touchés par le phénomène. En effet, ils se trouvent géographiquement loin des tropiques et bénéficient, de longs mois durant, de conditions climatiques hivernales», y est-il noté.

Tout va-t-il donc bien pour nous dans le meilleur des mondes? Non, mille fois non. Car ce qui se passe en dehors de nos frontières nous touche directement.

Un exemple parmi tant d’autres : l’étude souligne que le changement climatique aura notamment pour impact le déplacement géographique des travailleurs chez nos voisins du Sud; ceux qui oeuvrent aujourd’hui dans des États comme l’Arizona, le Texas et la Louisiane vont finir par aller travailler sous des cieux plus cléments, comme au Minnesota, au Michigan et au Maine; par suite, des vagues d’Américains vont se mettre à toquer à la porte du Canada pour avoir vraiment moins chaud en travaillant, pour y trouver refuge, à l’image d’autres réfugiés climatiques en provenance de contrées littéralement écrasées de chaleur (Amérique centrale, Afrique…). Bref, la situation a priori enviable du Canada promet d’être pour nous la cause d’épineux problèmes socioéconomiques et politiques…

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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