Tahiti, Disney et une cuisante leçon de tatouage

Publié le 09/06/2017 à 06:26

Tahiti, Disney et une cuisante leçon de tatouage

Publié le 09/06/2017 à 06:26

À Tahiti, le tatouage est plus qu'esthétique... Photo: DR

Qui dit Montréal dit créativité, et dit, entre autres, tatouage. Sur le Plateau, il y a un salon de tatouage à chaque coin de rues, ou presque. Et il est impossible de déambuler dans les rues montréalaises ou dans le métro sans apercevoir du coin de l'oeil quelqu'un dont une langue d'encre se faufile sensuellement hors des manches de sa chemise ou de son T-shirt. Les tatouages montréalais sont si populaires que c'est à se demander quelle vedette n'en a pas un : parmi ceux qui affichent fièrement les couleurs de leurs tatouages figurent la comédienne Vanessa Pilon, l'humoriste Alex Perron, le champion olympique Charles Hamelin, l'animatrice Isabelle Desjardins et le chanteur Jonas; la liste semble sans fin.

Bref, je n'étais pas loin de penser que Montréal était la capitale mondiale du tatouage. Jusqu'à ce que je mette les pieds à Tahiti...

Je pense qu'ici, hormis les touristes et les Français de métropole, tout le monde a un tatouage. Oui, tout le monde. Impossible de ne pas écarquiller des yeux chaque fois qu'on s'adresse à un Tahitien : une fois, c'est un avant-bras couvert d'un motif d'écailles de poisson; une autre, c'est un drapeau polynésien qui semble flotter dans le cou; une autre encore, une tête de monstre marin jaillissant du dos d'une vahiné. Les tatouages sont partout, absolument partout, à tel point que, curiosité de journaliste oblige, j'ai fini par demander à une femme d'affaires avec qui je discutais agréablement ce que signifiait le serpent qui montait de son poignet à son épaule, en tournant en spirale autour de son bras.

Erreur. Grave erreur. Car son sourire s'est crispé et elle a ressenti le curieux besoin d'aller remplir son verre à moitié plein...

En me documentant, j'ai fini par saisir que pour les Polynésiens, le tatouage racontait une histoire personnelle, pour ne pas dire carrément intime. Un tatouage doit demeurer un mystère seulement accessible du tatoué et de son tatoueur. Car il s'agit d'un savant mélange de mysticisme (ex.: une tortue pour évoquer un dieu marin et ses pouvoirs magiques), de patrimoine ancestral (ex.: un symbole évoquant un lieu dont un lointain parent avait été le roi) et d'anecdote personnelle (ex.: un motif exprimant le jour où le tatoué a subi une dramatique rupture amoureuse).

Autrement dit, le tattoo est un tabou. D'ailleurs, Disney l'a récemment appris à ses dépens...

L'an dernier est sorti le film Moana, l'histoire d'une adolescente intrépide qui brave l'interdit de son père et prend le large. Dans son périple, elle est épaulée par Maui, le demi-dieu du vent et de la mer. Et c'est là que le bât blesse!

C'est que le film de Ron Clements et John Musker, librement inspiré de la mythologie polynésienne, a provoqué un tollé pour plusieurs raisons :

> Le Maui de Disney avait une forte corpulence, ce qui paraissait insultant pour une région où l'obésité est un fléau.

> Les tatouages de Maui étaient simplistes et, surtout, leurs sens étaient dévoilés au grand jour, ce qui paraissait indécent.

> Disney a commercialisé des costumes de Maui, ce qui a été perçu comme une honteuse tentative de faire de l'argent sur le dos de «l'ancêtre» qu'est Maui.

En résumé, reproduire l'intimité des tatouages de Maui était irrespectueux, et la commercialiser, outrageant. Résultat? Disney a présenté ses excuses et a vite retiré ses costumes de Maui.

On le voit bien, le tatouage à Tahiti a une dimension qu'il n'a pas à Montréal. Une dimension qui impose le respect. Une dimension, j'ose le mot, sacrée.

Ce qui n'enlève rien à l'esthétisme. Loin de là. J'en veux pour preuve que la plus belle femme tatouée de France est... une Tahitienne. Elle s'appelle Estelle Anania et elle vient tout juste de remporter le titre d'Ink Girl France 2017, à Grenoble.

La raison de son succès? D'après elle, ce qui a fait la différence avec les autres concurrentes, c'est un instant précis du concours, celui où le jury a demandé aux candidates de parler tatouage : «Ils ont tout de suite vu que le tatouage faisait partie intégrante de ma culture, et ça, ça m'a donné beaucoup de points par rapport aux autres», a-t-elle confié au quotidien La Dépêche de Tahiti.

Comme quoi, il est toujours gagnant de combiner culture et esthétisme. Car cela donne un sens à la fois évident et profond à la beauté...

(Ce carnet de route a été rendu possible grâce à l'invitation du Tahiti Congrès Management & Ressources humaines 2017.)

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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