Quelques éclaircissements sur la vente de la CSeries

Publié le 16/10/2017 à 20:00

Quelques éclaircissements sur la vente de la CSeries

Publié le 16/10/2017 à 20:00

Airbus a pris une part majoritaire de la CSeries. Photo: Bombardier

Coup de théâtre ! Le constructeur européen Airbus vient d’acquérir une part majoritaire (50,01%) du programme CSeries de Bombardier, lequel conserve environ 31% des parts et Investissement Québec, 19%. (Le montant de la transaction n’a pas été divulgué au moment où j'écris ces lignes.)

Pourquoi Airbus a-t-il acheté la CSeries? Oui, pourquoi a-t-il subitement changé son fusil d’épaule, alors qu’il avait publiquement répété à maintes reprises qu’il était nullement intéressé par une telle acquisition? Eh bien, il se pourrait bien que j’ai quelques explications potentielles à partager avec vous…

Il y a de cela quelques jours à peine, je me trouvais à un BBQ organisé par une amie lorsqu’un Français de passage au Québec est venu vers moi pour me lancer, sourire en coin : «Alors, Boeing fait des misères à votre Bombardier?» Il faisait allusion à la plainte du constructeur américain et à ses suites dramatiques pour les ventes de la CSeries aux États-Unis.

J’ai tenté du mieux que je pouvais de lui expliquer la situation, vue du Québec. Lui m’écoutait, très attentivement, et me relançait à coups de questions de plus en plus pointues.

J’ai fini par saisir qu’il maîtrisait le dossier mille fois mieux que moi, et je lui ai demandé comment il se faisait qu’il sache autant de choses sur Bombardier et les mésaventures de la CSeries. «Eh bien, je suis ingénieur chez Airbus...», m’a-t-il confié.

Ni une ni deux, je l’ai à mon tour bombardé de questions, et c’est ainsi que j’ai appris, entre autres, que Bombardier n’avait aucune chance de faire plier la décision des États-Unis de taxer à hauteur de 300% les avions de la CSeries. «Cette guerre juridique entre Boeing et Airbus a déjà eu lieu, m’a-t-il dit. Elle a duré des années et des années, et ça a fini par être tranché, une bonne fois pour toutes : aucun État ne peut subventionner directement un projet civil. Or, votre gouvernement a fait l’erreur d’investir directement dans ce projet civil - à hauteur de 1 milliard de dollars US, je crois -, ce qui correspond, d’un point de vue légal, à une subvention directe. Point final, aucune discussion n’est possible.» Et d’ajouter : «Nous, chez Airbus, nous l’avons payé cher. Maintenant, il n’y a plus aucune subvention directe. On a compris la leçon».

Autrement dit, tant que le gouvernement québécois était présent dans la société crée spécifiquement pour la CSeries, aucune contestation juridique n’était envisageable. Le seul moyen de rendre cela possible, c’était de trouver un partenaire prêt à prendre la place du gouvernement…

L’ingénieur d’Airbus m’a également confié qu’ils ont eu «très peur», le jour où Bombardier a annoncé son programme CSeries. Car il entrait ainsi le premier dans un nouveau marché, vraisemblablement porteur. Et de surcroît, avec une nouvelle technologie. Airbus a aussitôt réalisé qu’il lui était impossible de riposter : cela lui aurait pris des années pour s’ajuster, si bien que le combat était a priori perdu d’avance. «Les seuls à pouvoir vraiment embêter Bombardier, c’étaient Boeing. Il leur suffisait de modifer certains avions déjà existants pour rafler le marché, mais à condition que Bombardier n’aille pas aussi vite que prévu. La plainte ne nous a donc nullement surpris, d’autant plus que nous savions qu’ils allaient inévitablement obtenir gain de cause», m’a-t-il dit.

Airbus allait-il rester les bras croisés pour autant? La technologie de Bombardier l’intéressait. Une potentielle parade juridique permettant à Bombardier d’esquiver l’attaque de Boeing existait. Et voila qu’aujourd’hui, comme par hasard, on apprend qu’Airbus vient de mettre la main sur la CSeries…

Voilà. Vous savez à présent ce que m’a confié, il y a peu, cet ingénieur d’Airbus. A-t-il raison? A-t-il tort? Quant à moi, il me semble que, grâce à lui, je comprends un peu mieux ce qui vient de se passer...

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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