Pourquoi n'êtes-vous pas heureux ?


Édition du 06 Octobre 2018

Pourquoi n'êtes-vous pas heureux ?


Édition du 06 Octobre 2018

Trop souvent, nos malheurs prennent le dessus... Photo: DR

Disons-le haut et fort, nous avons tout pour être heureux. Au Canada, nous sommes libres d'exprimer nos idées, nous vivons en paix, nous connaissons le plein emploi, et nous affichons une santé et une longévité inimaginables pour nos ancêtres. Tout cela contribue d'ailleurs grandement au fait que notre pays figure, cette année, à la 7e place du World Happiness Report des Nations Unies.

Et pourtant, nous n'arrêtons pas de chialer !

Si vous en doutez, regardez un peu tout ce qui a été dénoncé, ici et là, durant la campagne électorale québécoise. Notre système de santé ? Il est ressorti des débats des chefs qu'il est encore et toujours à la traîne, avec 20 % des bâtiments du réseau qui sont jugés en «très mauvais état» et avec plus de 400 000 Québécois qui attendent toujours d'avoir un médecin de famille.

Autre exemple frappant : notre système d'éducation. Il est, semble-t-il, dans un état de décrépitude ahurissant, avec ses enseignants épuisés qui tombent au front les uns après les autres et avec ses enfants de plus en plus nombreux à être transférés dans des «classes modulaires» (comprendre des roulottes), faute de locaux décents. Bref, on a la nette impression que tout va à vau-l'eau.

Comment expliquer un tel paradoxe ? Tout simplement en recourant aux lumières d'éminents économistes...

Quand on se compare...

Max Roser est chercheur en économie à Oxford et créateur du site Our World in Data. Ses travaux lui ont permis de mettre au jour un curieux phénomène : l'optimisme local est concomitant au pessimisme national.

Vous comme moi, nous sommes ainsi convaincus d'être heureux dans la vie, mais que la plupart de nos concitoyens ne le sont pas tout autant ; une de ses études a en effet montré que 92 % des Britanniques se considéraient «heureux» ou «très heureux», et que ceux-ci pensaient que c'était le cas pour moins de la moitié des gens en Grande-Bretagne.

De même, Angus Deaton, lauréat du prix Nobel d'économie, a mis en évidence le fait qu'en général, nous croyons que tout va bien pour nous et que tout va mal pour les autres. Par exemple, nous avons tendance à être optimistes quant à notre propre futur («Je vais changer de travail, gagner davantage et enfin pouvoir m'acheter un chalet» et autres «Mon bébé va être beau et intelligent»), mais pessimistes quant à celui des autres, y compris nos enfants («Les jeunes d'aujourd'hui vont devoir ramer deux fois plus fort que moi, à l'époque, pour accéder à la propriété» et autres «Les bébés de demain vont être tout croches à cause de la pollution et des changements climatiques»).

Autrement dit, nous distordons la réalité et, ce faisant, nous bousillons notre bonheur.

Ce que souligne fort judicieusement le feu statisticien Hans Rosling dans son livre coécrit avec son fils et sa belle-fille, Factfulness - Ten Reasons We're Wrong About the World, and Why Things Are Better Than You Think : «Une forte majorité d'Américains croit que la pauvreté extrême a doublé chez eux au cours des deux dernières décennies. En vérité, elle a reculé de moitié, et c'est ce genre de fausses croyances qui plombent leur moral, note-t-il. Le hic ? À force de considérer des idées à la fois erronées et déprimantes (à propos de la criminalité, de l'immigration, etc.), ils se nuisent à eux-mêmes, ce que, soit dit en passant, chacun de nous fait de façon similaire.»

Ce n'est pas tout. Il se trouve de surcroît que le bonheur... n'est pas notre priorité absolue. Matthew Adler est professeur d'économie à l'Université Duke, aux États-Unis. Avec Paul Dolan et Georgios Kavetsos, tous deux professeurs de science du comportement à la London School of Economics, il a découvert que le plus important dans la vie est, à nos yeux, la santé. À tel point que trois personnes sur cinq préfèrent, à choisir, être en pleine forme plutôt qu'être heureux.

Une question d'équilibre

Alors, comment diable pouvons-nous devenir franchement heureux à l'avenir ? La réponse est évidente : il convient d'arrêter de porter tantôt des lunettes roses (à notre égard), tantôt des lunettes noires (à l'égard des autres), et d'enfin oser accepter la réalité, aussi blême soit-elle. Au lieu de nous balancer sans cesse entre optimisme et pessimisme, il nous faut apprendre à trouver l'équilibre sur le prisme du réalisme.

Pour ce faire, vous pourriez adopter une drôle d'astuce. L'an dernier, le psychologue Salvo Noè a offert une petite pancarte au pape François, sur laquelle il était inscrit en gros «défense de se plaindre» et, en petit, «Les transgresseurs de la loi numéro 1 sur la protection de la santé et du bien-être sont sujets à un syndrome de victimisation qui se traduit par une dégradation de la bonne humeur et de la capacité à résoudre les problèmes. En conséquence, arrêtez de vous plaindre et agissez pour améliorer la vie !» Séduit autant qu'amusé, le pape l'a installée sur la porte de son appartement privé de la résidence Sainte-Marthe. C'est devenu viral en Italie.

En résumé, faites preuve d'un peu d'humour et de décontraction, interdisez-vous - ainsi qu'aux autres - de chialer pour un rien, et forcez-vous à passer en mode solution. Car, d'un coup, d'un seul, la vie vous paraîtra plus belle que jamais.

*****

Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

Découvrez les précédents billets d'Espressonomie

La page Facebook d'Espressonomie

Et mon dernier livre : 11 choses que Mark Zuckerberg fait autrement