Non, il n'y a pas pénurie de main-d'oeuvre!


Édition du 29 Septembre 2018

Non, il n'y a pas pénurie de main-d'oeuvre!


Édition du 29 Septembre 2018

[Photo: 123RF]

L'autre jour, je sortais d'un Couche-Tard en regardant distraitement ma facture quand un détail a attiré mon regard : il était inscrit, en grand, en énorme même, «NOUS EMBAUCHONS ! Viens grandir avec nous. Plusieurs postes disponibles». Et c'est là que j'ai réalisé que l'heure était grave : il y a maintenant des employeurs tellement aux abois qu'ils en sont réduits à inviter n'importe qui à postuler à un emploi chez eux...

Tout le monde le dit, ces temps-ci : la pénurie de main-d'oeuvre est devenue criante, elle est un véritable fléau pour les organisations, pour toute l'économie du Québec. Pas un employeur ne vous dira que l'embauche et la fidélisation ne figurent pas, à présent, parmi leurs plus grandes priorités.

Pourtant, je vous le dis sans ambages, il n'y a pas de pénurie de main-d'oeuvre. Non, il n'y en a pas. Je m'explique...

Qu'est-ce, au juste, qu'une pénurie de main-d'oeuvre ? C'est le fait que presque tous les travailleurs disponibles occupent déjà un emploi, donc que l'économie est quasiment en situation de plein emploi. Les statistiques à ce sujet semblent bel et bien indiquer à première vue que c'est ce que connaît aujourd'hui le Québec. Le taux de chômage était de 5,6 % en août, selon Statistique Canada, ce qui correspond effectivement à ce qu'on appelle le «chômage frictionnel».

Le chômage frictionnel ? C'est l'inévitable période de chômage que connaissent les gens qui ont perdu un emploi et en cherchent un nouveau, ou encore ceux qui viennent de terminer leurs études et cherchent un premier emploi, une période qui peut prendre des mois et qui affecte, en général, quelque 5 % des travailleurs disponibles dans les pays occidentaux.

Autrement dit, on pourrait croire que les chiffres indiquent qu'il n'y a à peu près plus personne de libre sur le marché du travail. Mais voilà, ces chiffres sont trompeurs.

Pour avoir une meilleure vision de la situation, il faut tenir compte du «taux d'activité», c'est-à-dire du rapport entre la population active (employés et chômeurs) et la population totale. Or, les données du CIRANO montrent que le taux d'activité des Québécois de 55 ans et plus est nettement moins élevé que celui des Ontariens, et même du reste du Canada. Par exemple, il est ici de seulement 10,9 % pour les 65 ans et plus, alors qu'il est de 14,8 % en Ontario. Ce qui signifie que nos «têtes grises» représentent un vivier de talents en puissance.

Ce n'est pas tout. La plupart des 18-34 ans - les milléniaux - caressent aujourd'hui un rêve néfaste aux organisations en quête d'employés. D'après l'Indice entrepreneurial québécois du Réseau M, 41 % d'entre eux veulent devenir leur propre patron ; cette proportion n'était que de 11,5 % en 2009. En conséquence, travailler pour un employeur ne les enchante guère, mais ils s'y résolvent tout de même, le temps de concrétiser leur rêve, en acceptant des emplois à temps partiel qui ne correspondent pas vraiment à leur talent propre.

C'est ce qu'on appelle le «sous-emploi invisible», une forme de défaillance du marché du travail qui met au jour le fait, là aussi, qu'il existe un vivier de talents inexploité, celui, disons, des «têtes blondes».

Que faudrait-il pour que les employeurs parviennent à attirer et à retenir les têtes blondes et grises ? C'est simple : trouver la mesure incitative à même non seulement de faire revenir des jeunes retraités dans le marché du travail, mais aussi de motiver les jeunes recrues à donner leur 110 % au travail, au lieu de ne songer qu'à réunir en douce les conditions nécessaires pour lancer leur petite entreprise.

Cette mesure, aussi incroyable qu'il y paraisse, existe. Si, si... Il est même tellement évident qu'on peine à le voir. Il suffit tout bonnement que les employeurs se mettent vraiment à rivaliser de séduction auprès des cibles que nous venons d'identifier. Et donc, qu'ils leur déroulent franchement le tapis rouge : des salaires alléchants, des avantages sociaux irrésistibles, des horaires de travail flexibles, une vraie autonomie dans l'accomplissement des tâches, etc.

Un exemple frappant : il y a quelques années, le ministère de la Santé publique de Belgique faisait pitié - tâches routinières, locaux vétustes... -, si bien qu'il ne recevait jamais la moindre candidature de la part des milléniaux. Un virage à 180 degrés a été courageusement entrepris : horaires flexibles, locaux hyper modernes, etc. Maintenant, il croule littéralement sous les CV des têtes blondes. Oui, vous avez bien lu : des milléniaux rêvent à présent de devenir fonctionnaires.

Autrement dit, il n'y a pas de pénurie de main-d'oeuvre, mais bel et bien... une pénurie de bons employeurs !

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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