L'autre Montréal, la virtuelle!

Publié le 20/04/2016 à 08:48

L'autre Montréal, la virtuelle!

Publié le 20/04/2016 à 08:48

Les Montréalais ont aujourd'hui le don d'ubiquité... Photo: DR

Hier midi, je flânais dans le centre-ville de Montréal et me laissais caresser par les rayons de soleil printaniers quand j'ai réalisé quelque chose d'étrange : tout autour de moi, les gens étaient immobiles, le visage penché sur leurs mains en prière! Oui, les cinq ou six personnes qui m'entouraient s'étaient toutes arrêtées en même temps pour consulter leur cellulaire. C'est alors que m'est venue une drôle d'idée : Montréal n'est plus seulement la ville terrestre que l'on connaît, avec ses symboles comme la tour penchée du Stade olympique ou encore la croix du Mont-Royal, ni même la ville souterraine, avec ses galeries commerciales sans fin, mais bel et bien la ville... virtuelle! Explication.

Tous ceux qui déambulent dans les rues, le cellulaire à la main, ne font pas que se promener dans les rues de la ville terrestre ou dans les couloirs de la ville souterraine, ils évoluent en même temps dans un univers parallèle, composé du vaste de réseau de connexions virtuelles auquel leur donne accès en permanence leur gadget électronique préféré (un iPhone, une Galaxy, etc.). Un 'bip', et ils démarrent un échange de textos avec un chum. Une série de vibrations insistantes, et ils découvrent que la boutique devant laquelle ils sont en train de passer leur propose immédiatement 25% de rabais sur certains produits correspondant à leurs goûts. Etc.

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Bref, les Montréalais d'aujourd'hui ont le don d'ubiquité : ils sont en mesure d'évoluer simultanément dans deux univers parallèles. Ce qui, quand on y pense, est phénoménal.

Sans même que nous nous en soyons rendu compte, un tournant historique s'est produit en 2013. C'est cette année-là que, pour la première fois, il s'est vendu sur la planète plus d'appareils électroniques mobiles (cellulaires, tablettes,...) que fixes (ordinateurs portables, téléphones branchés,...), d'après le Global Internet Report 2015 de l'Internet Society. C'est à ce moment précis que nous sommes entrés dans l'ère de la mobilité.

L'une des conséquences, dont personne n'a encore saisi l'ampleur, est que la mobilité numérique est en train de métamorphoser le quotidien des habitants des métropoles comme Montréal. Un exemple frappant : qui d'entre nous n'a jamais changé le programme de son samedi pour se poser dans un café doté d'un bon wi-fi, histoire non pas de savourer un délicieux smoothie, mais bel et bien pour se réinsérer dans l'univers virtuel de son réseau de connexions? On le voit bien, notre expérience-même de la ville en est changée.

Le hic? C'est que la Montréal virtuelle que chacun de nous connaît souffre, comme nombre d'autres métropoles de la planète, d'un mal insidieux : la «porosité numérique».

La porosité numérique? Il s'agit d'une découverte faite récemment par Oksana Zaporozhets, professeure de sociologie à l'École des hautes études en sciences économiques de Moscou (Russie), qui désigne le fait que les points de contact entre la ville réelle et la ville virtuelle sont poreux, pour le meilleur comme le pire. C'est ainsi que des dysfonctionnements inhérents à une ville réelle se transmettent, malheureusement, à la ville irréelle lui correspondant.

Après avoir étudié les cas de Moscou et de Saint-Pétersbourg, Mme Zaporozhets a noté que la porosité numérique se traduisait souvent par :

> Des abris numériques. L'accès au wi-fi n'étant pas uniforme dans toute la ville, des abris numériques voient naturellement le jour ici et là, de manière chaotique. Cela peut être un café qui se dote d'un wi-fi ultrapuissant pour attirer les clients branchés, ou encore une initiative de la Ville d'offrir gratuitement le wi-fi dans certains de ses parcs publics. Ce qui induit des difficultés pour se connecter partout ailleurs, que ce soit parce que le wi-fi est trop lent ou encore parce qu'il n'y a tout simplement pas de wi-fi disponible (ex.: la ligne bleue du métro de Montréal). Autrement dit, notre accès au virtuel dépend du réel.

> Des perturbations numériques. L'accès au wi-fi, c'est bien, mais ce n'est pas suffisant. Prenons le cas du métro : dès lors que nous sommes serrés comme des sardines, impossible de se servir de son cellulaire; dès lors que les secousses sont trop fortes, impossible de se servir correctement de son cellulaire; etc. C'est clair, notre expérience du virtuel dépend de notre réel, à tel point que les perturbations de l'un se répercutent aussitôt dans l'autre.

> Des planifications numériques. Poursuivons avec le cas du métro. Chaque fois que nous y pénétrons, il nous faut maintenant prendre garde à ce type qui s'arrête brutalement à la moitié de l'escalier et y reste figé sans tenir aucunement compte de ceux qui sont derrière lui (il y en a toujours un, vous le remarquerez la prochaine fois!). Que lui prend-il? C'est simple, il termine une discussion au cellulaire ou le téléchargement du journal qu'il lira pendant son trajet, car quelques mètres plus bas, il sait qu'il perdra sa connexion. Du coup, il lui faut planifier son virtuel en fonction de son réel.

On le voit bien, la porosité numérique est actuellement plus une nuisance qu'autre chose. Elle freine l'accès à la ville virtuelle, elle perturbe l'expérience que l'on a de la ville virtuelle, elle oblige même à planifier les instants passés au sein de la ville virtuelle.

«Fort heureusement, la porosité numérique n'est pas une constante : elle évolue dans le temps, par exemple à mesure que les infrastructures et les équipements électroniques s'améliorent. Mieux, elle est multidirectionnelle, en ce sens que toute amélioration d'un point défaillant a des répercussions bénéfiques sur l'ensemble des autres points : il suffit d'un wi-fi plus performant sur une ligne de métro pour bouleverser le quotidien des salariés qui font ainsi l'aller-retour entre leur domicile et leur lieu de travail», indique Mme Zaporozhets.

Et de souligner : «La porosité numérique dépend, à bien y regarder, de la seule volonté des citoyens», dit-elle. De fait, si chacun se mettait à exiger une ville virtuelle plus belle, celle-ci verrait le jour en un clin d'oeil. Et - savez-vous quoi? -, nous n'en sommes pas si loin que ça, d'après moi...

Un indice m'en convainc : la tendance émergente qu'ont les start-ups montréalaises à vouloir marier le réel au virtuel. Je pense notamment à WishBox, fondée par Leo Gamayunov, Konstantin Kostychuk et Austin Hubbell. L'idée est géniale de simplicité, elle consiste à permettre à l'utilisateur d'offrir à la personne de son choix (l'élu de son coeur, un client, un employé,...) non pas un banal cadeau, mais une expérience, forcément à Montréal. Ça peut être une descente en rafting des rapides du canal Lachine, ou encore un vol en hélicoptère au-dessus d'un gigantesque feu d'artifices estival. Soit un souvenir impérissable au lieu d'un bidule jetable.

Comment ça fonctionne? Il suffit de passer commande en ligne via WishBox, puis l'heureux élu est averti sur son cellulaire que quelqu'un lui a fait un cadeau extraordinaire, lequel lui sera présenté, par exemple, à son domicile sous la forme d'un cadeau surprise à vivre dans les jours à venir. Et le tour est joué!

C'est donc ainsi que réel et virtuel peuvent se nourrir l'un l'autre pour le mieux à Montréal. Qu'une toute nouvelle ville est en train de voir le jour, sans même qu'on en ait vraiment conscience. Que Montréal est en train de devenir à la fois belle et virtuelle.

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire, en alternance dans Les affaires et sur lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.