Même «Dieu» peut se tromper

Publié le 11/09/2017 à 06:03, mis à jour le 11/09/2017 à 06:03

Même «Dieu» peut se tromper

Publié le 11/09/2017 à 06:03, mis à jour le 11/09/2017 à 06:03

C'est que même les meilleurs d'entre nous souffrent de biais cognitifs... Photo: DR

On le surnommait «Dieu». C'est que l'effarante justesse de ses prévisions sur le cours du pétrole l'avaient rendu immensément riche: rien qu'en 2009, il avait empoché une prime de 100 millions de dollars américains alors même que la maison mère du fonds qu'il gérait avait dû, elle, recourir à un plan de sauvetage. Mais voilà, la légende vient de s'effondrer: contre vents et marées, Andy Hall prédisait depuis des mois que le cours du pétrole allait bondir d'un coup et avait tout misé là-dessus, sûr de lui; la réalité a fini par rattraper l'expert américain, qui a dû fermer en août dernier son fonds vedette, Astenbeck Master Commodities Fund II, dont la valeur avait fondu de 30% en juin.

Comment «Dieu» a-t-il pu se planter si magistralement ? Les récentes avancées en neurosciences permettent de l'expliquer. Andy Hall a vraisemblablement été victime du biais cognitif de l'ancrage, c'est-à-dire de l'inclination à s'appuyer sur un vieux «point de référence» pour établir un jugement en dépit du fait que ce point-là est devenu obsolète. Il était tellement obnubilé par ce qui avait fait le succès de ses prédictions passées - son point de référence - qu'il avait sous-estimé les changements radicaux qu'a connus le marché du pétrole ces derniers temps : la fragilisation de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), l'avènement de la fracturation hydraulique et, surtout, la volatilité des cours due aux algorithmes (aux États-Unis, près de 60 % des échanges de titres liés au secteur de l'énergie sont aujourd'hui effectués par des robots, selon la Commodity Futures Trading Commission).

Ce qui est préoccupant, c'est qu'Andy Hall est loin d'être un cas isolé. «Les professionnels de la finance souffrent bel et bien de biais cognitifs, à un point tel que cela nuit directement aux objectifs à long terme de leurs clients», affirment dans leurs travaux trois professeurs de finance, Kent Baker et Greg Filbeck, ainsi que Victor Ricciardi. Ceux-ci ont répertorié une douzaine de ces biais, dont les suivants :

> Les raccourcis mentaux. Ils poussent par exemple à penser que les individus mariés sont moins tolérants au risque que les célibataires et, par conséquent, à prodiguer à des particuliers des conseils de placements basés sur une généralité dénuée de pertinence.

> La familiarité. Elle pousse le conseiller financier à recourir prioritairement aux placements qui lui sont le plus familiers, sans chercher plus loin que le bout de son nez.

«Nos recherches montrent que l'intervention du moindre biais cognitif se traduit par des erreurs de jugement, des conseils financiers inadaptés à la situation du client et un rendement inférieur aux attentes», notent les professeurs.

Vous avez du mal à le croire ? OK, prenons un exemple concret pour que vous saisissiez le mécanisme du phénomène...

Imaginons que vous achetez une voiture neuve à 30 000 $ et que le vendeur vous propose, pour 1 000 $ de plus, le siège du conducteur en cuir véritable. Bien. Vous allez prendre le temps d'y réfléchir avant de lui dire oui ou non. Imaginons maintenant que vous achetez un fauteuil à 500 $ et que le vendeur vous propose, pour 1 000 $ de plus, qu'il soit en cuir véritable. Là, vous allez bondir, offusqué par une telle suggestion. Et pourtant... En y réfléchissant bien, vous passez nettement plus de temps dans votre salon qu'au volant, si bien qu'il est plus logique de dépenser 1 000 $ pour un fauteuil que pour un siège de conducteur. Autrement dit, vous venez de tomber dans le piège du biais cognitif de la relativité : payer 1 000 $ de plus par rapport à une dépense de 30 000 $ paraît plus acceptable que par rapport à un achat de 500 $.

«Reconnaître et comprendre l'influence des biais cognitifs sur les décisions est crucial pour les conseillers financiers. Cela peut leur permettre, le cas échéant, de saisir à temps qu'ils foncent droit dans le mur, ou encore d'arrêter de commettre toujours la même erreur de jugement», a confié Dan Ariely, professeur d'économie comportementale à l'Université Duke de Durham, au magazine Rotman.

Corriger le tir, même imparfaitement, est donc possible. Comment y parvenir ? En acceptant l'idée de changer en profondeur notre rapport à l'argent. Ni plus ni moins.

Un exemple : chacun de nous a été élevé dans la croyance que le temps était de l'argent. «À force de voir le temps qui passe sous la forme de dollars s'accumulant dans nos poches, notre taux de cortisol ne cesse de croître, et avec lui, notre niveau de stress. Cela nuit non seulement à notre bien-être, mais aussi à nos décisions quotidiennes, dont celles liées à l'argent», dit dans une étude Jeffrey Pfeffer, professeur de comportement organisationnel à l'Université Stanford.

Bref, l'idéal serait d'arriver enfin à considérer l'argent non plus comme une finalité, mais comme un moyen. Ce qui, on s'entend, n'est pas une mince affaire, surtout pour un conseiller financier. À quand le jour où l'un d'eux suggérera à un particulier non pas de bloquer une somme pendant cinq ans, mais de l'investir dans son mieux-être en le dépensant, disons, dans un voyage inoubliable de 15 jours à Bunaken ?

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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