Les robots tuent nos emplois! Ce graphique le prouve

Offert par les affaires.com

Publié le 11/01/2018 à 06:06, mis à jour le 11/01/2018 à 09:52

Les robots tuent nos emplois! Ce graphique le prouve

Offert par les affaires.com

Publié le 11/01/2018 à 06:06, mis à jour le 11/01/2018 à 09:52

À chaque nouveau robot, en moyenne 5,6 personnes perdent leur emploi. Photo: DR

Dès que je me mets à parler dans ma chronique Espressonomie des périls de la «robolution» – cette révolution technologique que nous connaissons aujourd'hui, sous la forme de robots intelligents, d'algorithmes et autres intelligences artificielles (IA) –, j'entends ici et là des cris scandalisés : «Comment peut-on être ainsi contre le progrès? Une telle réaction me fait penser à ceux qui s'inquiétaient de l'arrivée des machines, ou même de l'avènement de l'électricité, autant d'inventions qui ont pourtant été si bénéfiques à l'humanité. Ri-di-cu-le!», ai-je déjà entendu à mon égard.

Et d'ajouter, histoire d'enfoncer le clou : «D'ailleurs, un signe ne trompe pas : nous sommes aujourd'hui, en Amérique du Nord, proches du plein emploi, comme quoi les êtres humains ont clairement bénéficié, et non pas pâti, du progrès technologique».

Ces gens-là ont-ils raison? Ont-ils tort? À première vue, on pourrait croire que leurs arguments sont en béton armé. Mais voilà, il ne s'agit que d'un premier coup d'oeil, et celui-ci est, en vérité, trompeur. Car, je me permets de le dire haut et fort, ces gens-là sont dans l'erreur!

Et ce, par ignorance du vrai visage de la robolution actuelle, je pense. Explication, à l'aide d'un simple graphique (lequel, je l'espère, va remettre les pendules à l'heure pour tout le monde). [Source: ZeroHedge]

 

Source: ZeroHedge

De quoi s'agit-il? De deux courbes : l'une montre le nombre de plateformes pétrolières aux États-Unis; l'autre, le nombre d'employés dans le secteur du pétrole aux États-Unis. Comme le prix du baril de pétrole n'a cessé de dégringoler de 2015 à la mi-2016, le nombre de plateformes pétrolières américaines a, lui aussi, suivi la même pente descendante; et par suite, le nombre d'employés a diminué à la même vitesse. Logique.

Mais que s'est-il passé à la mi-2016? Le prix du baril de pétrole a repris du mieux. Le nombre de plateformes pétrolières est alors reparti à la hausse, vu qu'elles redevenaient rentables. Le hic? C'est que le nombre d'employés, lui, ne s'est aucunement amélioré. Oui, vous avez bien lu : de plus en plus de plateformes pétrolières se sont remises à fonctionner, mais sans recruter pour ça.

Mystère? Pas du tout! Les compagnies pétrolières, en quête de rentabilité maximale, se sont équipées en robots, plus précisément en ce qu'on appelle chez nos voisins du Sud des Iron Roughnecks (sondeurs de fer, en français). Auparavant, là où il fallait en moyenne 20 employés pour mener à bien l'opération répétitive et dangereuse de brancher et débrancher les sondes aux tuyaux de pompage, il n'en faut maintenant plus que 5. En conséquence, des quelque 300.000 employés qui ont perdu leur emploi à cause de la crise, quasiment aucun n'est revenu au travail lorsque la situation économique s'est améliorée.

Bref, une fois la crise terminée, les robots ont remplacé les êtres humains. Dit autrement, les êtres humains sont devenus obsolètes sur les plateformes pétrolières modernes; et ce, en l'espace de deux années seulement.

La conclusion saute aux yeux, imparrable : les robots tuent les emplois! Oui, les robots tuent nos emplois!

Bon. J'entends d'ici des voix qui affirment que ces centaines de milliers d'employés ont sûrement retrouvé du travail, ailleurs. Et, si ça se trouve, de meilleurs emplois, mieux payés encore. OK, regardons ça ensemble, à l'aide d'un autre graphique qui, je le souligne, ne porte pas sur les travailleurs des plateformes pétrolières, mais sur l'ensemble des employés aux États-Unis. [Source: David Autor]

Source: David Autor

Celui-ci comporte quatre courbes: celle des années 1980, celle des années 1990, celle des années 2000 (en fait, jusqu'à la crise économique de 2007) et celle depuis la crise de 2007. Chaque courbe représente les gains (ou les pertes) en termes de rémunération à l'occasion d'un changement d'emploi; et ce, en fonction du degré de compétences des employés.

Que note-t-on? Que depuis 2000 la très grande majorité des Américains qui ont changé d'emploi ont connu une perte en termes de rémunération. Ils ont certes retrouvé du travail, mais moins bien payé. Pourquoi, à votre avis? Une récente étude signée par Daron Acemoglu, professeur d'économie au MIT, et son étudiant Pascual Restrepo apporte une réponse lumineuse à ce sujet : entre 1990 et 2007, chaque fois qu'un robot a été implanté dans une usine américaine, cela a entraîné le licenciement d'en moyenne 5,6 travailleurs; et chaque fois qu'on a augmenté la présence des robots au sein de la main-d'oeuvre (par exemple, dans une proportion de 1 robot pour 1.000 travailleurs à 2 robots pour 1.000 travailleurs), non seulement le pourcentage de la population locale ayant un emploi a reculé d'en moyenne 0,34%, mais aussi le salaire médian local a regressé d'en moyenne 0,5%. Ce qui, mine de rien, est considérable.

«Il est à noter que, de manière assez surprenante, nous n'avons trouvé aucun effet positif lié à l'implantation de robots au sein d'une main-d'oeuvre locale, quels que soient les niveaux de rémunération et d'éducation des gens concernés», concluent d'ailleurs les deux chercheurs dans leur étude. En d'autres termes, les emplois perdus à cause des robots n'ont pas permis aux gens de rebondir dans leur carrière; bien au contraire, cela les a enfoncé dans les difficultés économiques sans nom, pour ne pas dire dans la précarité.

C'est clair, les robots tuent nos emplois depuis des décennies. De surcroît, ils fragilisent sur le plan économique, voire appauvrissent carrément, l'ensemble de la population locale où ils sont implantés. Et tout ça, dans l'indifférence générale, aveuglés que nous sommes par les merveilles annoncées du nouveau progrès technologique : des voitures qui se conduisent toutes seules, des diagnostics de cancer effectués nettement plus tôt, des robots-assistants pour les personnes âgées en perte d'autonomie, etc.

Maintenant, j'aimerais avancer un dernier point : nous n'avons encore rien vu! Désolé de vous le dire aussi froidement, mais nous n'en sommes qu'aux tout débuts de la «robolution».

«2018 sera un point de bascule à ce sujet. Les entreprises canadiennes vont accélérer leur mouvement d'implantation de robots intelligents, car elles ont pris conscience que le fait de remplacer des employés par des robots intelligents leur permettra d'enregistrer des gains conséquents en rapidité et en agilité», a dit Massimo Iamello, leader, secteur Technologies, médias et télécommunications (TMT), Québec, de Deloitte, à l'occasion du récent dévoilement de l'étude Prédictions TMT 2018.

Idem, le cabinet-conseil McKinsey & Company a dévoilé en décembre dans une étude qu'à l'échelle de la planète quelque 800 millions de personnes devraient perdre leur emploi d'ici 2030, remplacés à tout jamais par des robots intelligents. Oui, 800 millions. Soit 1 employé sur 5.

Au Canada? Il faut s'attendre à ce que 1 employé sur 3 soit contraint d'apprendre de toutes nouvelles compétences dans les années à venir pour être en mesure de rivaliser avec les robots intelligents. Sans quoi, c'est la porte de sortie qui leur sera montrée.

Et les experts de McKinsey & Company de glisser sobrement dans leur étude : «Il convient, par conséquent, de s'attendre à des frictions sociales à venir durant la prochaine décennie». Des «frictions sociales»? Moi, j'utiliserais plutôt le terme d'«explosions sociales»...

Est-ce que j'exagère? Hum, je ne le crois pas. J'en veux pour preuve la conclusion d'une analyse de Desjardins titrée Les nouvelles technologies, une révolution qui n'a rien de tranquille et signée par Joëlle Noreau, économiste principale : «À l'heure actuelle, tout est possible, écrit-elle. Le déploiement des nouvelles technologies est loin d'être terminé et nombreux sont ceux qui estiment que nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Au-delà de l'enthousiasme qu'elles peuvent susciter, il faut donc penser aux limites auxquelles ces nouvelles technologies devraient être soumises. (...) Les États font face, à cet égard, à une obligation : permettre aux travailleurs (actuels et futurs) de s'adapter, histoire de prévenir la création d'une classe d'exclus et l'accroissement des inégalités.»

Voilà. Nous sommes tous à un tournant économique. Et nous avons encore le temps d'ajuster notre vitesse pour éviter de partir dans le décor. Du moins, je l'espère. Car il y a pour cela une condition sine qua non, à savoir la prise de conscience collective du péril auquel nous faisons face. Il ne faudrait surtout pas que la «robolution» d'aujourd'hui connaisse le même sort que le réchauffement climatique d'hier : à force d'argumenter sans fin, rien ne se fait vraiment pour corriger le tir collectivement; et ce, en dépit des études scientifiques plus angoissantes les unes que les autres au fur et à mesure que le temps passe...

Un dernier mot, pour finir sur une touche personnelle. Si jamais cette chronique parvenait à convaincre ne serait-ce qu'une personne des dangers de la «robolution», eh bien, je me dirais : «Mission accomplie». À bon entendeur, salut!

*****

Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

Découvrez les précédents billets d'Espressonomie

La page Facebook d'Espressonomie

Et mon dernier livre : 11 choses que Mark Zuckerberg fait autrement