Les PDG sont-ils vraiment trop payés?

Publié le 08/03/2017 à 06:06, mis à jour le 08/03/2017 à 06:38

Les PDG sont-ils vraiment trop payés?

Publié le 08/03/2017 à 06:06, mis à jour le 08/03/2017 à 06:38

Une rémunération propulsée de 943% en 37 ans... Photo: DR

«Les PDG sont-ils trop payés?» La question est récurrente, et soulève à chaque fois les passions. C'est que le travail effectué par un PDG est difficilement palpable – il ne fabrique rien, par exemple –, et donc, difficilement estimable. D'où le débat sans fin entre ceux qui sont convaincus que leurs rémunérations sont «pharaoniques» et ceux qui sont persuadés qu'elles sont «légitimes».

Comment trancher une bonne fois pour toutes? Eh bien, je vais m'y essayer, là, devant vous, quitte à déclencher l'ire des uns ou des autres. Et ce, comme à mon habitude, en m'appuyant sur des études solides...

Découvrez les précédents billets d'Espressonomie

Et la page Facebook d'Espressonomie

Steven Young est professeur de finance et de comptabilité à l'École de management de l'Université de Lancaster (Grande-Bretagne). Assisté de son étudiante Weijia Li, il a récemment analysé la rémunération totale des PDG (salaire, bonus à court-terme, bonus différés, etc.) des entreprises cotées au FTSE 350 (l'indice boursier des 350 plus grandes entreprises inscrites au London Stock Exchange) entre 2003 et 2015, au regard justement de la performance de leur entreprise en Bourse. Le résultat tient en deux points clés:

> Bond des rémunérations. La rémunération totale médiane des PDG a bondi de 82% durant la période de temps considérée; et ce, en dépit du fait que la crise financière de 2008-2009 a fait chuter d'un coup leurs rémunérations au niveau de 2006.

> Aucune création de valeur. Le redement du capital investi (return on invested capital, en anglais) de l'entreprise médiane a enregistré, lui, une progression annuelle inférieure à 1%. Autrement dit, les entreprises considérées n'ont quasiment pas créé de valeur, toutes ces années-là.

Bref, les PDG de ces entreprises ont clairement été trop payés depuis le tournant du millénaire puisqu'ils n'ont permis aucune création de valeur véritable.

Ce n'est pas tout! Une récente étude de l'Economic Policy Institute a mis au jour le fait qu'aux États-Unis les PDG des grandes entreprises ont connu une «propulsion stratosphérique» de leur rémunération d'en moyenne 943%, ces 37 dernières années. Soit une augmentation largement supérieure à celles connues par des indicateurs économiques comme «le coût de la vie, la productivité de l'économie américaine, ou encore les cours boursiers new-yorkais».

Pis, les PDG les plus grassement payés d'entre eux se sont montrés... destructeurs de valeur! C'est du moins ce qui ressort d'une étude d'As You Sow relayée par Harvard, qui a découvert que «les entreprises des 10 PDG les mieux payés ont vu, ces deux dernières années, leur cours fléchir d'en moyenne 10,5% au S&P 500» et que «le rendement de l'investissement des investisseurs concernant ces mêmes entreprises a fondu d'en moyenne 5,7% durant la même période de temps». Ni plus ni moins.

En conséquence, les PDG ne sont pas rémunérés à la performance, comme ils prétendent pourtant l'être. Leur rémunération apparaît même irrationnelle, et donc, inappropriée si l'on considère qu'il s'agit là d'un transfert de richesse des investisseurs – rappelons que le conseil d'administration a notamment pour fonction de représenter les investisseurs – vers la haute-direction de l'entreprise.

Non pas le talent, mais la chance

Comment peut-on expliquer un tel phénomène? Tout bonnement par le fait que les critères retenus aujourd'hui pour déterminer la rémunération d'un PDG sont obsolètes.

J'en veux pour preuve une étude d'Audit Analytics présentée par le Wall Street Journal qui a mis au jour le fait que le terme «non-GAAP» (GAAP est l'acronyme de Generally Accepted Accounting Principles, qui correspond en français aux principes comptables servant de référentiel) apparaissait de nos jours dans 58% des déclarations légales à propos de la rémunération de la haute-direction des entreprises cotées au Standard & Poor's 500 (l'indice boursier basé sur les 500 plus grandes entreprises présentes sur les bourses américaines), alors qu'il y a cinq ans à peine, cela ne survenait que dans 27% des déclarations.

Qu'est-ce à dire, au juste? Eh bien, que les PDG sont de plus en plus payés en fonction de critères ne figurant pas parmi les principes comptables généralement admis. Oui, vous avez bien lu : on trouve différents biais pour "justifier" d'un point de vue comptable une rémunération qui ne colle plus à la performance réelle de l'entreprise qu'ils pilotent.

C'est que – tenez-vous bien! – le succès d'un PDG ne résulte pas de l'exercice de ses talents, mais de... la chance! Je me permets de le souligner: de la chance. Explication.

Marianne Bertrand est professeure d'économie à l'École de commerce Booth à Chicago (États-Unis). Elle a eu la curiosité de regarder au tournant du millénaire si la chance avait la moindre incidence sur la rémunération des PDG de grande entreprise, sachant que ces derniers étaient payés a priori en fonction de la performance enregistrée par leur société.

«La chance, dans ce cas-là, c'est le fait de bénéficier de changements positifs qui sont en-dehors du contrôle du PDG, dit-elle dans son étude. Ça peut être, pour un producteur pétrolier, une hausse mondiale des prix du pétrole, ou encore une fluctuation favorable du taux de change des devises; soit autant de facteurs majeurs qui n'ont rien à voir avec la stratégie d'affaires, et encore moins le talent, du PDG en place.»

Résultat? «La rémunération des PDG répond de manière significative à la variable qu'est la chance», résume-t-elle sans détour. Et encore, quand elle dit «significative», c'est un euphémisme : en vérité, l'impact de la chance est carrément majeur.

Et la chercheuse souvent pressentie pour le "prix Nobel" d'économie de conclure : «Le résultat de cette étude met en évidence la nécessité d'une révision en profondeur de la manière dont sont actuellement rémunérés les hauts-dirigeants des grandes entreprises».

C'est clair, des changements s'imposent. Mais lesquels? Les suggestions sont innombrables, mais quant à moi j'inviterais les experts en la matière à regarder sérieusement une rémunération basée essentiellement sur le rendement du capital investi, qui est un bon indicateur de la création de richesse d'une entreprise. On pourrait également imaginer s'appuyer davantage sur l'innovation (ex.: le nombre de brevets déposés), sur les gains en parts de marché, ou encore sur l'adoption et la mise en place de stratégies d'affaires à long-terme. Autant de critères qui, de nos jours, sont écartés du revers de la main par nombre de conseils d'administration concernant la rémunération du PDG.

Vous me direz : «Oui, mais si on s'était appuyé sur le rendement du capital investi, les PDG auraient vu leur rémunération stagner depuis le tournant du millénaire. Du coup, ils auraient quitté leur poste vite fait, ce qui aurait privé les entreprises concernées de talents inestimables.» Ce à quoi je me permettrais de répondre : «Mais, de quels talents parlez-vous? C'est que les talents que vous évoquez n'ont aucune incidence sur la performance réelle de l'entreprise : la chance, elle, joue un vrai rôle. Si ces personnes-là faisaient, donc, le choix d'aller oeuvrer ailleurs, cela ne ferait pas de différence sensible. À moins de veiller à les rémunérer autrement...»

CQFD.

*****

Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

Et mon nouveau livre : 11 choses que Mark Zuckerberg fait autrement