Et si on organisait les files d'attente autrement...

Publié le 10/04/2017 à 06:06, mis à jour le 10/04/2017 à 06:30

Et si on organisait les files d'attente autrement...

Publié le 10/04/2017 à 06:06, mis à jour le 10/04/2017 à 06:30

L'attente peut parfois être interminable... Photo: DR

Deux heures et demie, montre en main. C'est le temps qu'il m'a fallu pour louer du matériel de ski à toute ma petite famille, à Bromont, une fin de semaine de cet hiver. Pourquoi ai-je attendu si longtemps ? Parce qu'il n'y avait qu'un centre de location dans le coin (à ma connaissance) et parce que la file ne cessait de s'allonger derrière moi, ce qui me confortait dans l'idée que je n'avais d'autre choix que de prendre mon mal en patience.

Pourtant, à bien y réfléchir, c'est complètement fou d'attendre ainsi. À tel point que je n'oserai jamais calculer le temps ainsi perdu dans ma vie, à juste attendre debout, coincé entre deux personnes. Ce serait trop déprimant. Comment se fait-il que les êtres humains n'aient pas encore trouvé la méthode parfaite pour gérer des fluctuations à court terme de la demande ?

Certes, il y a quelques initiatives intéressantes ici et là. Je pense notamment à Whole Foods, une chaîne américaine de grande surface de produits naturels et biologiques, qui mise aujourd'hui sur la ludification (gamification, en anglais). Lorsqu'un client arrive aux caisses, il sait à peu près combien de produits il a dans son panier. Il regarde alors dans quelle catégorie de couleur il entre et se dirige vers la caisse correspondante. Là, il participe aussitôt à un tirage au sort qui détermine l'ordre de passage à la caisse, ce qui lui offre la possibilité de griller tout le monde, s'il est chanceux. Il paraît que les clients adorent ce système, même s'il n'est pas parfait : un client malchanceux peut arriver parmi les premiers et pourtant devoir attendre fort longtemps.

Dernier arrivé, premier servi

Refael Hassin est un économiste israélien dont les travaux portent depuis des décennies sur la gestion des files d'attente. Il en est arrivé à une idée pour le moins surprenante : au lieu de la règle commune du premier arrivé, premier servi, on pourrait adopter celle du... dernier arrivé, premier servi !

Imaginons que vous êtes au bureau et que vous voulez prendre un café à la distributrice. Si vous vous pointez pile au moment où le premier de la file finit de se servir, vous passez devant tout le monde ; sinon, vous vous mettez dans la file comme les autres (en croisant les doigts pour que personne ne vienne après vous dans les prochaines secondes).

Le plus étrange, c'est que cette méthode est plus efficace que celle du premier arrivé, premier servi. Les études à son sujet se multiplient ces temps-ci dans la communauté scientifique et vont toutes dans le même sens : le dernier arrivé, premier servi, ça devrait marcher !

Dans une étude intitulée «The curse of the first-in-first-out queue discipline», les économistes danois Trine Tornøe Platz et Lars Peter Østerdal ont récemment mis au jour le fait que, quel que soit le type de gestion de file d'attente adopté, il existe une stratégie optimale pour chaque client : il arrive toujours un moment où mieux vaut abandonner la file, et donc, il est intéressant d'attendre presque jusqu'à ce moment précis. Cela étant, la stratégie optimale du dernier arrivé, premier servi est, en général, plus facile à définir et plus satisfaisante que celle du premier arrivé, premier servi. En général, car il semble qu'il y ait des exceptions, comme le Boxing Day : les acharnés de la bonne affaire qui ont passé la nuit devant un magasin pour être les premiers servis ressentent une satisfaction telle au moment de leur achat que rien, ou presque, ne peut la dépasser.

Autrement dit, il existe bel et bien une méthode plus efficace que celle que nous connaissons aujourd'hui. Le hic, c'est qu'elle bouscule notre perception de ce qu'est une file d'attente : non seulement nous semble-t-il juste que le premier arrivé soit le premier servi, mais nous sommes en outre convaincus que la patience devrait toujours être récompensée.

À cela s'ajoute un fait, comme le souligne dans ses travaux Ayelet Fishbach, professeure de marketing à l'École de commerce Booth, à Chicago (États-Unis) : faire la file présente des bienfaits ! C'est là une école de la patience, et cette vertu est bien souvent la clé du succès : les gens patients ont de meilleures notes à l'école que les impatients ; ils voient leur mariage perdurer, au contraire des impatients ; ils sont moins portés à souffrir d'une dépendance (tabac, alcool, drogue...) que les autres ; etc.

Nous gagnerions tous à adopter une nouvelle formule de file d'attente, mais ça ne risque pas de survenir du jour au lendemain. En attendant qu'une chaîne de magasins ose le changement, respirons par le nez lorsque nous sommes contraints d'attendre avec les autres et profitons-en pour... gagner en sagesse.

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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