L'impact complètement flippant du changement climatique!

Publié le 01/10/2019 à 06:06

L'impact complètement flippant du changement climatique!

Publié le 01/10/2019 à 06:06

Vers une toute nouvelle forme d'anxiété... (Photo: Francisco Gonzalez/Unsplash)

CHRONIQUE. Les Lettres de Port-Cros (4/5). Les enfants égaillés devant, les parents en rangs derrière, nous nous promenons en famille sur le sentier escarpé qui fait le tour de l’île. Le soleil tape si fort qu’il grille les feuilles des chênes verts et assomme les lézards effoirés sur les murets de pierre. Du large nous viennent des vagues vivifiantes d’iode teintées de senteurs de thym et de romarin. C’est clair, il fait bon se balader à Port-Cros…

Un brusque tournant, et nous apercevons au loin l’un des quatre forts de l’île, celui de Port-Man, situé à l’extrémité est de l’île. Construit sous Richelieu, il épouse à merveille la forme du promontoire rocheux étroit et allongé sur lequel il repose. Ce qui, en vérité, lui a nui au fil des décennies : sous l’action corrosive de l’air marin, la tour et les remparts se sont fortement dégradés, à tel point qu’on en est venu à craindre pour sa pérennité. Et pourtant, à mesure que nous approchons de lui, il semble magnifique.

C’est qu’il s’est récemment produit un petit miracle! Le Parc national de Port-Cros, affectataire du bâtiment, l’a concédé par bail emphytéotique de 40 ans à une personne qui a promis de le restaurer dans les règles de l’art. Une personne qui, donc, y vit aujourd’hui, jouissant seul de ce petit coin de paradis exceptionnel, pour ne pas dire unique au monde. Une personne que, vous et moi, nous connaissons tous.

De qui s’agit-il? Je vous le donne dans le mille : Yann Arthus-Bertrand, le photographe et écologiste français connu pour son best-seller mondial, La Terre vue du ciel. C’est là qu’il se repose de ses périples autour de la planète, en quête de clichés tous plus incroyables que les autres. Oui, c’est là qu’il vient se ressourcer et, m’a-t-on dit, se plonger dans son jardin secret : la lecture de bandes dessinées, la tour du fort rénové en étant maintenant remplie de haut en bas et des sofas ayant été installés un peu partout pour pouvoir y lire à l’aise, aussi bien le jour que la nuit.

Yann Arthus-Bertrand sait mieux que personne combien notre Terre est en train de sombrer, combien elle est meurtrie par le comportement aussi irrespectueux qu’irresponsable de l’être humain à son égard, combien elle s’apprête à lui en faire payer le prix, sans pitié aucune. Et c’est à Port-Cros, ce bijou secret de nature sauvage, qu’il vient se remettre du choc psychologique occasionné par chacun de ses déplacements loin de l’île. Tant il fait bon vivre et flâner ici…

Je songe à tout ça en mettant un pied devant l’autre sur le sentier rocailleux, et l’idée me heurte sans prévenir : le changement climatique ne serait-il pas, par hasard, une nuisance pour notre santé mentale?

Cette semaine, le Spécial Environnement du journal Les Affaires

Nîmes, dans le Gard, le 3 octobre 1988. Les habitués d’un petit café à l’entrée du quartier Richelieu n’en croient pas leurs yeux : «Un vrai fleuve s’est mis à descendre de la route d’Uzès. Une marée de boue, avec des bouteilles de gaz, des carcasses de voitures…», raconte un témoin, à l’époque. Le déluge, la furie des eaux, la désolation… Le quartier nîmois est totalement dévasté : 9 morts noyés, 2 décès parmi les secouristes, 50.000 sinistrés, 2.000 maisons détruites.

Or, une récente étude a mis au jour le fait que cette catastrophe naturelle avait eu un étrange impact à long terme : deux tiers des coûts de santé liés aux inondations de Nîmes ont été dus aux prescriptions d’antidépresseurs pour des traumatismes psychologiques durables. Autrement dit, les victimes ont carrément subi un stress post-traumatique, à l’image de ce que peuvent éprouver des personnes ayant vécu un accident horrible, vu une scène de crime, ou encore servi dans l’armée dans un pays en guerre. Ni plus ni moins.

L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) le confirme dans différentes études : le changement climatique a bel et bien un effet sur la santé, il peut en particulier affecter durablement l’équilibre mental. «Dans certains cas, cela peut aller jusqu’au stress post-traumatique», estiment ses experts, en soulignant que les personnes les plus vulnérables sont :

– Les enfants et les personnes âgées;

– Ceux dont la santé est fragile;

– Ceux qui ont une situation sociale ou économique précaire;

– Ceux qui vivent dans des zones défavorisées sur le plan socioéconomique.

En 2006, Kouadio Alain Serges était docteur en 3e cycle en économie de l’environnement et a consacré sa thèse au paludisme en milieu urbain défavorisé. Il a notamment analysé la situation dans les quartiers insalubres d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, là où les problèmes d’assainissement exposent les habitants à d’importants risques sanitaires, comme le risque accru de se faire piquer par un moustique contaminé.

C’est ainsi qu’il a mis le doigt sur un phénomène – quand on y pense bien – carrément renversant, à savoir l’existence d’un lien direct entre le niveau économique d’un groupe d’individus et les maladies infectieuses : plus quelqu’un vit dans la pauvreté, plus il risque de contracter une maladie infectieuse; et inversement.

«Le paludisme régresse aujourd’hui partout en Afrique parce que son principal déterminant, le niveau économique, a globalement progressé partout en Afrique, a expliqué au quotidien Le Figaro Antoine Flahaut, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, en Suisse. C’est pour ça qu’il n’y en a pas en Guadeloupe ou en Martinique, mais encore dans des îles voisines moins développées.»

Et d’ajouter : «Si à cause du changement climatique le niveau économique des pays vulnérables devait régresser, le paludisme pourrait y revenir en force». C’est ainsi qu’au sud des États-Unis, la dengue frappe fort sur la rive mexicaine du Rio Grande, et aucunement du côté américain; incroyable mais vrai, les moustiques ne connaissent pas les frontières physiques, mais bel et bien les frontières socioéconomiques.

La conclusion de tout ça saute aux yeux : l’écoanxiété – ce terrible sentiment de bouleversement et de désespoir face au changement climatique – est devenue une véritable menace psychologique pour nous tous, et surtout pour les personnes les plus vulnérables aux catastrophes naturelles, lesquelles sont, de toute évidence, appelées à se multiplier dans les prochaines décennies. Ce qui pourrait bien se traduire par une épidémie de stress post-traumatique, comme on vient de le voir.

Catherine Larrère est une philosophe française qui a dédié sa vie à l’environnement. D’après elle, l’écoanxiété est «directement liée à un sentiment d’impuissance» : le changement climatique est si massif et global que l’individu ne voit pas comment y échapper, comment se protéger de ses effets, encore moins comment y remédier. D’où l’intérêt, pour vous comme pour moi, de réfléchir à la façon dont nous vivons au quotidien afin d’identifier les leviers que nous pourrions faire jouer pour atténuer, à notre modeste échelle, l’impact du changement climatique…

Le principe est simple : nous nous devons d’adopter sans tarder «la logique des cobénéfices». Je m’explique…

Imaginez que vous décidiez de réduire vos déplacements en voiture, histoire de diminuer la pollution dont vous êtes responsable. Ou encore, de diminuer votre consommation de viande rouge, toujours dans l’optique de réduire le CO2 dont vous êtes indirectement responsable (élever un bœuf, ça produit beaucoup de CO2…). Qu’est-ce que cela aura comme impact? Eh bien, le bénéfice sera double:

– D’une part, cela réduira vos risques d’avoir un accident cardiovasculaire, de diabète, de cancer. Car vous oeuvrerez ainsi pour votre santé personnelle.

– D’autre part, cela contribuera, petit à petit, à atténuer le changement climatique. Car, si jamais des proches se mettaient à vous imiter, cela aurait un effet boule de neige.

Entrer dans la logique des cobénéfices, c’est se donner une chance d’éviter l’écoanxiété, ce fléau aussi invisible que terrible qui plane sur nos sociétés, en particulier sur les zones les plus défavorisées. C’est une voie de salut. Indéniablement.

Je m’arrête un instant, le temps d’arrêter le tournis de mes pensées. Au loin, le bleu azur, le glissement silencieux des voiliers immaculés, le vol plané des gabions aux reflets dorés. Bon sang, que cette Terre est belle et fragile…

Je songe à cet avertissement de l’explorateur polaire Paul-Émile Victor, extrait du livre qu’il a rédigé pour ses enfants, qu’il leur a laissé en héritage juste avant de disparaître, Dialogues à une voix : «La nature peut vivre sans l’homme, note-t-il. Elle a vécu sans lui des milliards d’années, soit la plus grande partie de son existence. Mais l’homme ne peut pas vivre sans la nature. Au risque de se perdre. Au risque de disparaître.»

Comme quoi, il nous suffirait d’embrasser la vie qui bouillonne tout autour de nous, après avoir pris le temps de l’admirer et de succomber à ses charmes, pour que tout change. Tout. Vraiment tout. À notre échelle comme à plus grande échelle. C’est aussi simple que ça. Oui, aussi bête que ça.

Et arrivé au pied du fort de Yann Arthus-Bertrand, sur la plage de Port-Man, je saute en piquet dans l’eau, éclaboussant les enfants déjà fous de joie au milieu des mulets gris, des castagnoles et des girelles. Les rires volent en tous sens. L’écoanxiété est, donc, soluble dans l’eau salée.

Cette semaine, le Spécial Environnement du journal Les Affaires 

Et ici, les liens vers toutes les autres Lettres de Port-Cros

Le soir venu, plage de la Palud... (Photo: OSchmouker)

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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