Humain, trop peu humain


Édition du 27 Octobre 2018

Humain, trop peu humain


Édition du 27 Octobre 2018

[Photo : 123RF]

J'ai participé ce mois-ci au premier webinaire du Club de lecture Affaires, présidé par Micheline Bourque, dont le thème était «La bienveillance en entreprise, utopie ou nécessité ?»

L'idée était de débattre : les entrepreneurs doivent-ils continuer à oeuvrer pour leur propre bien-être, dans l'espoir que cela ait une cascade d'effets positifs sur tout ce qui se trouve en dessous d'eux ? Ou leur faut-il maintenant empiéter sur leurs intérêts particuliers et donner la priorité au mieux-être de leurs employés, de leurs partenaires, de leurs clients et même de l'écosystème dans lequel leur entreprise évolue ?

Mon travail de préparation m'a permis de faire des découvertes renversantes à ce sujet. C'est ainsi que je me suis plongé dans les travaux de Felix Warneken, professeur de psychologie à l'Université du Michigan, aux États-Unis, qui a récemment démoli la théorie de Sigmund Freud qui voulait que l'enfant soit «absolument égoïste». Il a noté, expériences à l'appui, qu'un bambin volait au secours d'un adulte en difficulté dès l'âge de 14 mois (par exemple : ramasser le crayon tombé par terre alors que l'adulte a du mal à se baisser), et ce, sans récompense. Mieux encore, même s'il est en train de jouer avec un jouet.

Autrement dit, nous sommes naturellement bienveillants. C'est instinctif. «Il existe chez l'être humain une aptitude innée à la bienveillance qui, comme toute faculté, peut être inhibée ou cultivée (situation familiale, normes culturelles...)», résume M. Warneken.

Même chose avec l'homo oeconomicus, cet être fictif concocté par les économistes néoclassiques qui voulait que nous soyons avant tout des individus rationnels et égoïstes, uniquement motivés par nos intérêts personnels. La théorie de la main invisible d'Adam Smith soutenait que, comme par magie, les marchés s'harmonisaient d'eux-mêmes en fonction des intérêts des uns et des autres, que tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si tout le monde rivalisait d'égoïsme.

Le hic ? Cette théorie ne tient plus la route depuis les travaux de «prix Nobel» d'économie comme Herbert Simon, Daniel Kahneman et Richard Thaler. L'être humain est, en vérité, irrationnel et altruiste :

> Irrationnel. Notre cerveau dispose de deux modes de fonctionnement. Le «système 1» est rapide, instinctif et émotionnel, il se met en oeuvre de manière automatique. À l'inverse, le «système 2» est lent, réfléchi et rationnel, il requiert beaucoup d'énergie cognitive, si bien que nous l'utilisons le moins possible. Du coup, nous avons plus tendance à être irrationnels que rationnels.

> Altruiste. Le jeu du dictateur est simple : on donne une somme d'argent au joueur A qui doit décider du montant qu'il remettra au joueur B sans que celui-ci ait quoi que ce soit à dire. La théorie voudrait qu'A garde tout pour lui, n'est-ce pas ? Or, les innombrables expériences d'économistes ont montré que seulement la moitié des participants n'offraient rien à l'autre et qu'un quart allaient jusqu'à faire un partage équitable. Nous sommes donc résolument altruistes.

La conclusion est limpide : si le 20e siècle a été marqué par le culte de l'individualisme, le 21e siècle le sera, lui, par celui de l'altruisme.

Humanise veut montrer la voie

Il appartient aux entrepreneurs visionnaires de montrer la voie. C'est justement ce qui vient de se produire au Canada, avec la création d'Humanise, un collectif de sept agences : Bleublancrouge (publicité), U92 (marketing numérique), Glassroom (analytique), Fieldtrip (production), Youville Haussmann Park (marketing expérientiel), Alice & Smith (ludification) et L'Institut Idée (stratégie).

Sa mission consiste à remettre l'humain au coeur de l'industrie du marketing.» L'heure est à la mondialisation à outrance, à l'acquisition des joyaux québécois en matière de créativité par de grands groupes chinois ou japonais, dit Sébastien Fauré, cofondateur d'Humanise. Un beau jour, nous nous sommes réunis entre dirigeants d'agences pour discuter de notre raison d'être dans ce monde-là. Nous avons réalisé que notre moteur n'était pas le profit, mais la bienveillance, le souci d'oeuvrer à un monde meilleur pour les générations futures.»

D'où Humanise et sa considération que l'«ère du consommateur est révolue et doit céder la place à celle du citoyen». Le collectif, fort de ses 160 experts à Montréal et à Toronto, entend tout mettre en oeuvre pour que les marques aient à l'avenir «un impact positif et durable sur la société», au lieu d'être des vecteurs de profits dans une guerre commerciale aussi interminable que destructrice. Un projet qui n'a rien d'utopique. À preuve, le fait que nombre d'annonceurs ont d'ores et déjà décidé d'embarquer : Bio-K, Cadillac Fairview, Cominar, Le Cirque du Soleil, Randstad, Sheraton, Sico...

Attendez-vous, par conséquent, à bientôt voir fleurir ici et là des campagnes d'un autre genre, axées davantage sur les bienfaits réels des marques (environnement, santé, égalité, diversité, démocratie, etc.). Puis, à prendre conscience du potentiel de bienveillance dont vous disposez vous-même, de votre capacité longtemps tue à faire du bien autour de vous, que ce soit par vos choix d'achats ou par votre attitude au travail. Bref, à enfin saisir que, vous comme moi, nous avons jusqu'à présent été humain, trop peu humain, et qu'il est grand temps que ça change !

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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