Gare à la face cachée du protectionnisme!

Publié le 23/02/2017 à 06:06, mis à jour le 23/02/2017 à 06:24

Gare à la face cachée du protectionnisme!

Publié le 23/02/2017 à 06:06, mis à jour le 23/02/2017 à 06:24

Une politique économique faussement rassurante... Photo: DR

Protectionnisme. Le terme est en vogue, ici et là, ces derniers temps. Surtout depuis l’avènement de Donald Trump, qui en a fait son cheval de bataille économique. À raison ou à tort? Telle est la question que je vous invite à étudier ensemble…

Le protectionnisme n’est pas, en vérité, une nouveauté. Elle est à l’oeuvre chez nos voisins du Sud depuis la récession économique de 2008 : l’administration Obama a en effet adopté la clause Buy American en 2009, qui visait à assurer un impact interne maximal aux stimulus visant à enrayer la crise; et cette clause a été suivie de pas moins de 636 autres mesures commerciales discriminatoires, selon le Center for Economic Policy Research. Ce qui a eu un effet boule de neige à l’échelle des autres pays du G20 puisqu’y ont été implantées très précisément 1 263 mesures discriminatoires depuis 2009, d’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Le hic? C’est que ces mesures protectionnistes se sont révélées une véritable catastrophe économique partout où elles ont été adoptées!

 

Une catastrophe à l’échelle mondiale

Cette récente montée du protectionnisme a d’ores et déjà eu des effets dommageables pour la croissance du commerce mondial. Des effets qui se sont immédiatement fait sentir puisque les échanges commerciaux internationaux se sont mis à plonger dramatiquement dès les premières mesures conséquentes adoptées, pour afficher une chute annuelle en volume de près de 20% en 2009. Et ce, alors que des estimations de l’OCDE indiquent que si aucune mesure protectionniste particulière n’avait alors été adoptée, le commerce international aurait connu une croissance annuelle supérieure de 1 à 2 points de pourcentage à celle des années 1990, qui avaient été une décennie exceptionnelle à cet égard.

L’OCDE estime ainsi que l’équivalent de 1 dollar américain de revenu obtenu grâce à une hausse des tarifs douaniers provoque une perte de 2,16 dollars américains des exportations mondiales et de 0,73 dollar américain du revenu mondial. Autrement dit, le protectionnisme a des effets directs négatifs sur la croissance économique mondiale à court, moyen et long termes.

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Pourquoi? Parce qu’en freinant les échanges internationaux, il bride, par ricochet, les facteurs positifs à la croissance économique mondiale. «C’est que le commerce stimule la croissance du fait même qu’il améliore la productivité, en améliorant l’allocation des ressources, en facilitant les économies d’échelle et la spécialisation, en encourageant l’innovation et le transfert de connaissances ainsi qu’en favorisant l’expansion des entreprises les plus efficaces et l’élimination des entreprises les moins efficaces», explique dans une de ses études David Haugh, économiste, de l’OCDE.

Résultat? Après une reprise passagère au début des années 2010, les échanges commerciaux internationaux sont au point mort depuis 2012 : leur variation en volume est de manière constante aux alentours de zéro.

«La poursuite de la montée du protectionnisme, notamment si elle se généralisait, affecterait davantage l’économie mondiale», résume dans une étude Francis Généreux, économiste principal, de Desjardins.

 

Une catastrophe à l’échelle nationale

Une hausse du protectionnisme a un effet direct négatif sur la croissance du produit intérieur brut (PIB) d’un pays. Des estimations du Fonds monétaire international (FMI) montrent qu’une hausse permanente de 10 points de pourcentage des tarifs américains sur ses importations en provenance du monde entier provoquerait une baisse permanente de 1 point de pourcentage du niveau du PIB réel des États-Unis. Et ce, en raison de plusieurs facteurs :

> Augmentation du coût des importations

Selon les mêmes estimations du FMI, une hausse généralisée et permanente de 10 points de pourcentage des tarifs douaniers américains amènerait un bond de 6% des prix importés. Certes, cette hausse subite se résorberait peu à peu par la suite, mais jamais complètement puisque cela se solderait par une augmentation permanente de 2%.

> Augmentation des prix à la consommation

La hausse des prix des importations amène à court terme une augmentation des prix à la consommation, directement ou indirectement, tout bonnement parce que le coût des produits fabriqués avec ce qui est importé est plus élevé. Ce qui provoque, de manière mécanique, une diminution du revenu disponible réel des ménages.

Du coup, on peut considérer l’augmentation des tarifs douaniers comme une «taxe à la consommation» payée par l’ensemble de la population.

> Réduction de l’efficacité économique

Comme on l’a déjà vu, le protectionnisme a une incidence négative sur la productivité de l’économie en décourageant la compétition, la spécialisation, l’innovation et le transfert des connaissances. L’économie nationale est ainsi moins apte à s’adapter à des changements technologiques ou à des revers de conjoncture. C’est bien simple, un ralentissement de la productivité amène une diminution du potentiel économique d’un pays.

> Effets pervers sur la devise

C’est là une des conséquences les moins connues du protectionnisme. Celle-ci est un peu technique, mais je vais tout de même tenter de vous l’expliquer.

La hausse des tarifs douaniers entraîne, comme on l’a vu, une baisse des importations réelles. Si bien qu’on peut s’attendre à une amélioration de la balance commerciale du pays en question; le calcul est simple : autant, sinon plus, d’exportations vs. moins d’importations. Du coup, la devise du pays aura tendance à s’apprécier, c’est-dire à avoir plus de valeur en regard des devises des autres pays.

Mais voilà, l’appréciation de la devise va alors freiner les exportations du pays en question. Et donc, nuire à sa balance commerciale. Le FMI estime d’ailleurs qu’une hausse généralisée de 10% des tarifs douaniers américains amènerait une amélioration à court terme de la balance commerciale des États-Unis, mais surtout, par la suite, une détérioration permanente de 0,1% de leur PIB.

> Représailles et guerres commerciales

Il est clair que toute mesure protectionniste se fait à l’encontre de partenaires économiques, et est par conséquent source de tensions économiques comme politiques. Les risques de représaille sont dès lors très importants.

«Une guerre commerciale issue des intentions protectionnistes de l’administration Trump ou d’autres administrations représente actuellement l’un des principaux risques pour l’économie mondiale et les marchés financiers», dit M. Généreux.

 

Quelle autre voie?

La question saute aux yeux : comment se fait-il que le protectionnisme gagne en popularité de nos jours, alors qu’il est flagrant qu’une telle politique économique est une vaste fumisterie?

Et M. Généreux d’enfoncer le clou à ce sujet : «La théorie économique montre sans ambiguïté que le protectionnisme n’est que rarement une bonne idée. Dès les écrits d’Adam Smith, au 18e siècle, et de David Ricardo, au 19e siècle, il apparaissait que le libre-échange était la meilleure voie à emprunter. Même Karl Marx a montré que le protectionnisme agissait en défaveur des travailleurs!»

Eh bien, le protectionnisme gagne en popularité parce que, tout d’abord, ses impacts négatifs sont diffus. Par exemple, le consommateur moyen ne va pas ressentir immédiatement les effets de la réduction de l’efficacité économique du pays, ou encore de la détérioration permanente du PIB lui semblent bien loin de la réalité de son quotidien. En revanche, lorsque l’usine de sa ville doit fermer à cause de la concurrence accrue résultant de la mondialisation, là, l’impact est visible. «Une situation problématique très ciblée régionalement a toujours plus de poids médiatique et politique qu’un gain plus grand, mais plus diffus», souligne M. Généreux.

Le protectionnisme gagne ensuite en popularité parce que les dysfontionnements de la mondialisation sautent aux yeux. Des dysfonctionnements qui résultent, en vérité, du fait que la mondialisation actuelle... n’est pas allée encore assez loin!

C’est ce qu’indique Cesar Hidalgo, professeur de physique et d’économie au MIT Media Lab, dans une entrevue accordée au quotidien autrichien Wiener Zeitung : «Quand on parle de la mondialisation, on parle de trois choses : la mondialisation des marchandises, celle des capitaux et celle du travail. Cette troisième dimension de la mondialisation n’a pas encore eu lieu, et pourtant, c’est d’elle que proviendraient les véritables bienfaits de la mondialisation», dit-il.

Et d’expliquer : «Nous vivons aujourd’hui dans un monde où la mondialisation est incomplète. On peut transporter des marchandises et des capitaux sans trop de problèmes, mais pas le travail. Car le travail n’est pas un droit humain universel. C’est quelque chose qui vous est accordé, soit parce que vous avez la nationalité du pays où vous êtes, soit parce que vous avez obtenu un visa de travail. Ce qui freine le rapprochement des peuples, et donc des esprits et des coeurs.»

Mark Zuckerberg, le pdg de Facebook, abonde dans le même sens : «Nous sommes maintenant face à un choix fondamental, a-t-il lancé lors du Forum de coopération économique pour l’Asie-Pacifique (Apec) qui s’est réuni en novembre dernier à Lima (Pérou). Nous pouvons nous déconnecter des autres, risquer moins de prospérité et espérer que les emplois perdus par le passé reviendront. Ou nous pouvons nous connecter davantage, essayer de réaliser de meilleures choses ensemble; développer la prospérité et tout faire pour mieux la partager entre tous».

«Il n’y a aucun doute que la seconde voie est la meilleure, a-t-il poursuivi. Mais il faut reconnaître que c’est la plus difficile : déconnecter, c’est toujours relativement facile à faire.»

Et d’ajouter : «La mondialisation permet d’augmenter la taille du gâteau. Mais jusqu’à présent, elle a aussi créé des inégalités insupportables. Elle aide aujourd’hui certaines personnes, mais en blesse beaucoup d’autres. Nous devons changer ça, et veiller à ne plus laisser personne derrière.»

Ce que confirme sans ambage l’économiste principal de Desjardins : «La mauvaise réputation de la mondialisation et le renouveau du protectionnisme auraient sans doute pu être évités si les autorités publiques avaient pris davantage conscience des problèmes potentiels et avaient tenté de les résoudre. On peut penser à des programmes de conversion et d’adaptation des entreprises, de formation des travailleurs, de soutien aux communautés ou d’aide à la mobilité de la main-d’oeuvre disponible», illustre M. Généreux.

Autrement dit, la voie est grande ouverte à ce qu’on peut appeler la néomondialisation, à savoir une mondialisation à visage humain. Une mondialisation où l’on mise sur la connexion, et non pas sur le repli sur soi. Une mondialisation où l’on chérit la confiance, et non pas la défiance envers l’autre.

Paola Sapienza est professeure de finance à l’École de management Kellogg à Evanston (États-Unis). Son sujet de prédilection : le rôle économique de la confiance. Ses travaux lui ont permis de découvrir que plus un peuple fait confiance à un autre, plus il est prompt à effectuer avec lui des échanges commerciaux mutuellement intéressants. Inversement, il suffit que de simples stéréotypes négatifs soient véhiculés au sein d’un peuple au sujet d’un autre pour que les échanges commerciaux entre autres tournent en eau de boudin.

D’où l’importance de cultiver la confiance au sein d’un peuple à l’égard des autres peuples. «Mais par où commencer pour inculquer une telle culture? Par l’éducation et par les échanges interculturels , je pense. Parce que si l’on apprend à des enfants à se méfier des autres, cela va créer un cercle vicieux dont il sera difficile de s’extirper. Et parce que si on leur apprend à mieux connaître les autres et leurs différences, cela va créer un cercle vertueux», dit-elle dans l’une de ses études.

Un phénomène parfaitement illustré par la Courbe en J du chercheur américain en science politique Ian Bremmer. Celle-ci stipule en effet que la stabilité (politique, économique, etc.) d’un pays est en lien direct avec son ouverture (économique, politique, etc.); et ce, sous la forme d’une courbe en J [voir le graphique ci-dessous] : plus un pays s’ouvre aux autres, plus il gagne en stabilité, à un exception près, à savoir lorsqu’il est au départ très replié sur lui-même. Si l’on prend ainsi le cas de l’administration Trump qui s’apprête à renforcer le protectionnisme des États-Unis, cela signifierait donc une plus grande instabilité, aussi bien économique que politique. CQFD.

 

Une effrayante face cachée

Une dernière interrogation s’impose : comment se fait-il que certains prônent aujourd’hui le protectionnisme? La réponse va de soi, me semble-t-il : il s’agit là d’un pur calcul politique. D’un calcul effrayant.

Regardons un peu qui appuie son discours sur l’idéologie protectionniste… L’Américain Donald Trump, bien entendu. La Française Marine Le Pen, du Front National. Le Britannique Nigel Farage, qui, à la tête du parti Ukip, a fait campagne pour le Brexit. Ou encore, le Néerlandais Geert Wilders, du PVV. Bref, autant de leaders politiques à la fois nationalistes et populistes. Oui, de leaders que l’on peut raisonnablement présenter comme des fiers partisans du «national-populisme». Un néologisme, j’en conviens, qui est loin d’être innocent…

Dans son récent essai Politiques de l’inimitié, le penseur camerounais Achille Mbembe prévient des dangers d’une telle idéologie. Il met en lumière le fait que nombre d’États-nations occidentaux connaissent à présent un processus de «dé-démocratisation» : si autrefois ces États-là avaient besoin, pour dominer, de la séparation des maîtres et des esclaves, ils procèdent aujourd’hui à une distinction frénétique entre l’ami et l’ennemi, entre ceux qui ont le même sang - «ceux dits “de souche”» - et ceux qui ont un autre sang. Du coup, l’Autre n’est plus seulement le “nègre” de la période coloniale, c’est aussi, désormais, le “musulman”, l’“Arabe”, le “migrant”. Et il convient que ce dernier soit en butte à «des frontières, des murs et autres mesures sécuritaires autoritaires». C'est vieux comme le monde : diviser pour mieux régner...

Voilà. C’est bel et bien la démocratie qui est ici en jeu. Ni plus ni moins. À nous, par conséquent, de voir tous ensemble ce que nous souhaitons vraiment comme avenir, pour nous comme pour nos enfants. Quant à moi, le choix est clair.

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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À propos de ce blogue

ESPRESSONOMIE est le blogue économique d'Olivier Schmouker. Sa mission : éclairer l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui. Ce blogue hebdomadaire présente la particularité d'être publié en alternance dans le journal Les affaires (papier/iPad) et sur Lesaffaires.com. Olivier Schmouker est chroniqueur pour Les affaires et conférencier.

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