Donald Trump est-il un «fake president»?

Publié le 24/01/2018 à 07:09, mis à jour le 24/01/2018 à 10:24

Donald Trump est-il un «fake president»?

Publié le 24/01/2018 à 07:09, mis à jour le 24/01/2018 à 10:24

La performance du président américain passée au crible... Photo: DR

Cela fait maintenant un an que Donald Trump détient les rênes des États-Unis, en particulier sur le plan économique. La question est sur toutes les lèvres : «L'homme aux déclarations tonitruantes a-t-il tenu ses promesses, celles qui l'ont fait en grande partie élire? Ou bien souffre-t-il du syndrome "beau parleur, petit faiseur"?»

Pour s'en faire une idée juste, rien de mieux, je pense, que des faits. Pourquoi? Parce qu'ils permettent d'aller au-delà des mots, là où transparaît l'indiscutable vérité, sans fard aucun. D'où mon idée de creuser en ce sens, concernant deux de ses promesses majeures liées à son slogan électoral protectionniste «Make America Great Again»: dynamiser l'emploi dans l'industrie automobile et relancer l'industrie du charbon. Regardons ça ensemble...

> Le désenchantement dans l'industrie automobile

Le Salon de l'automobile de Detroit a lieu ces jours-ci. Le constructeur américain Fiat Chrysler en a profité pour faire une annonce : la production de son modèle Ram 1500 allait être bientôt transférée au Michigan, ce qui devrait permettre la création de 2500 emplois directs dans cet État. Une décision saluée aussitôt par le président américain, via un tweet disant «Merci Chrysler, une sage décision. Les électeurs du Michigan peuvent se réjouir d'avoir voté pour Trump/Pence. D'autres bonnes nouvelles à venir!»

Le hic, c'est que cette annonce ne reflète pas du tout ce qui s'est déroulé l'an dernier, après que Donald Trump ait menacé de représailles financières les constructeurs automobiles américains qui ne fermeraient pas d'usines à l'étranger pour les rapatrier aux États-Unis. C'est du moins ce que montrent les données récemment dévoilées par l'US Bureau of Labor Statistics à propos de l'industrie automobile.

De fait, cette industrie-là a globalement perdu 5700 emplois en 2017, pour afficher un total actuel de 783200 emplois.

Comment expliquer une telle déconvenue? Les constructeurs automobiles américains avaient tous promis de dynamiser la production sur le sol américain, ce qui a bel et bien été le cas, mais cela a surtout été fait à coups... de robotisation et de rationalisation des chaînes de production. Ce qui est nullement créateur d'emploi, comme en atteste une donnée récemment dévoilée du bout des lèvres par General Motors (GM).

Quelle donnée, au juste? Il s'agit de sa «masse salariale horaire» sur le sol américain, laquelle correspond au nombre moyen d'employés qui travaillent effectivement durant une heure de la journée. Or, il se trouve que celle-ci a chuté en 2017, pour passer de 55000 à 52000! GM a, donc, ajusté sa production pour faire travailler moins d'employés.

Ce n'est pas tout! Certains constructeurs sont en train, en douce, de revenir sur leurs promesses faites à Donald Trump. Un exemple frappant : Ford est récemment décidé que, non, elle n'allait finalement pas dynamiser la production de son modèle Ford Focus à Grand River (Michigan), mais plutôt transférer celle-ci... en Chine, selon une dépêche de l'AFP. Dan Ammann, le président de GM, est sur la même longueur d'ondes : «Nous ne pouvons faire autrement que d'évaluer nos implantations de façon régulière», a-t-il récemment confié.

C'est clair, le protectionnisme de Donald Trump ne fait pas l'affaire des travailleurs de l'industrie automobile américaine, pas plus que celle des constructeurs eux-mêmes. En vérité, il leur nuit directement.

> Le désenchantement dans l'industrie du charbon

Le charbon est sans conteste le cheval de bataille de Donald Trump. Il a juré je ne sais combien de fois qu'il allait relancer cette industrie, et ainsi permettre aux Américains oeuvrant dans ce secteur d'activités de retrouver travail et fierté.

Résultat? En 2017, cette industrie a globalement gagné... 771 emplois, pour afficher un total actuel de 54.819 emplois, selon les données préliminaires de la Mining Health and Safety Administration obtenues par l'agence de presse Reuters. Ce qui représente une progression de – tenez-vous bien – 1,4%.

Un seul État a plus ou moins tiré son épingle du jeu : la Virginie-Occidentale, avec un gain de 1.345 emplois. «La Virginie-Occidentale se débrouille fantastiquement bien. Car on y trouve du bon charbon», a dit à Reuters le président américain en guise de commentaire.

En revanche, c'est l'hécatombe dans une douzaine d'autres États producteurs de charbon, en particulier dans les Appalaches, avec de nets reculs de l'emploi en Ohio, au Maryland et au Kentucky. Et ce, en dépit de la farouche volonté de Donald Trump de renverser la vapeur, notamment en favorisant une relance de la production, via, entre autres, l'ouverture, voire la réouverture, de mines.

Pourquoi cette relance ne s'est-elle pas traduite par un boom de l'emploi? D'une part, la faute revient à l'engouement croissant pour la robotisation : nombre de mines ont profité de l'occasion pour améliorer leurs processus de production, à l'aide notamment de robots en lieu et place d'êtres humains. Un chiffre ne trompe pas : la production de charbon à progressé de 6% en un an, selon les données de la National Mining Association (NMA); et ce ne sont pas les 771 nouveaux employés qui ont pu, à eux seuls, être à l'origine d'un tel bond.

D'autre part, les États-Unis n'ont tout simplement pas besoin de davantage de charbon. De fait, la part de marché du charbon dans l'énergie consommée aux États-Unis a reculé l'an dernier, au profit du gaz naturel, nettement moins cher. Mais la catastrophe a été évitée grâce aux exportations qui, elles, ont carrément quintuplées en un an, toujours d'après les plus récentes données de la NMA.

Bref, les propriétaires des mines de charbon se frottent les mains, sourire en coin. Mais c'est nullement le cas des travailleurs. Le protectionnisme de Donald Trump ne leur a pas permis de retrouver travail et fierté. Loin de là.

Et la donne semble loin de pouvoir changer à court ou moyen terme. En effet, la Commission fédérale de régulation de l'énergie (FERC) a bloqué au début de janvier une mesure de l'administration Trump destinée à soutenir les prix de l'électricité produite par les centrales fonctionnant au charbon. Dans son jugement, la Ferc a indiqué qu'une telle mesure était «injuste» envers les centrales au gaz ou à énergies renouvelables. Et elle a écarté l'argument du secrétariat à l'Énergie selon lequel il y avait un «risque de pénurie énergétique» pour les États-Unis, si jamais le charbon n'était pas allègrement subventionné : nombre de mesures prises par l'administration précédente [celle de Barack Obama] en ce sens devraient permettre d'éviter un tel cas de figure, a-t-elle souligné.

Voilà. Donald Trump n'a aucunement su tenir ses promesses après une année de pleins pouvoirs, en ce qui concerne l'automobile et le charbon. Et rien ne semble indiquer que la tendance va s'inverser dans les mois et les années à venir.

Pis, Donald Trump a, pour l'instant, gravement nui aux travailleurs de ces deux industries clés de son programme économique, axé sur le protectionnisme. Et ce, au profit d'une robotisation grandissante.

L'échec de Donald Trump est, par conséquent, flagrant. À tel point qu'on peut raisonnablement affubler celui-ci du terme de «fake president» : oui, il a l'apparence d'un président, mais en aucune façon l'étoffe.

L'ennui, c'est que tout fake qu'il soit, ce président est tout de même en mesure de faire des dégâts considérables. J'en veux pour preuve la pauvre industrie du tourisme de nos voisins du Sud...

> Le désenchantement dans l'industrie du tourisme

Depuis 2015, seulement deux pays ont vu diminuer le nombre de touristes et de gens d'affaires arrivés par des vols longue distance, parmi les 12 pays les plus touristiques du monde, selon les données de l'US Travel Association (USTA). Le premier, c'est la Turquie, avec un recul de 6,7% qui s'explique le plus simplement du monde : la guerre est à ses portes (la Syrie voisine), mais aussi à l'intérieur de ses frontières (le coup d'État qui a failli renverser le président Recep Erdoğan; les opérations militaires à l'encontre des Kurdes; etc.).

Le second? Eh bien, ce sont les États-Unis, avec un recul aussi spectaculaire qu'inédit de 6%. Cette dégringolade résulte du fait que les étrangers qui voyagent le plus dans le monde ne veulent plus se rendre aux États-Unis:

– La part de marché que représentent les Britanniques dans les vols longue distance arrivant aux États-Unis a chuté de 14%, de 2015 à 2017, d'après l'USTA.

– Celle des Japonais, de 5%.

– Celle des Chinois, de 2%.

– Celle des Allemands, de 15%.

– Celle des Brésiliens, de 25%.

– Celle des Français, de 21%.

– Celle des Australiens, de 14%.

– Celle des Indiens, de 14%.

– Celle des Italiens, de 11%

Et pendant le même laps de temps, le Canada a, lui, connu un bond foudroyant... de 21,2%, toujours selon les données de l'USTA.

Comment expliquer ce subit désamour pour les États-Unis et ce tout aussi subit amour pour le Canada? À votre avis? Hein?

J'ai l'air de sourire en disant ça, mais si c'est le cas, comprenez que mon sourire est jaune. Car la situation est franchement dramatique pour l'industrie américaine du tourisme:

– Le département du Commerce a dévoilé que les touristes avaient dépensé l'an dernier 3,3% moins d'argent que l'année précédente. Mine de rien, ce pourcentage-là correspond à des pertes... de 4,6 G$ US et de 40.000 emplois! Oui, vous avez bien lu. Et ce sont là les chiffres officiels de l'administration Trump.

– L'USTA a estimé que le recul de 6% correspondait, lui, à 7,4 millions de voyageurs en moins, et par suite à une perte financière de 32,2 G$ US (sachant que de tels voyageurs passent en moyenne 18 nuits aux États-Unis et dépensent alors quelque 4.400 $).

C'est clair, la situation est catastrophique. D'ailleurs, une dizaine d'organismes touristiques majeurs viennent de former une coalition pour brasser l'administration Trump, dans l'espoir de lui faire arrêter sa politique musclée – protectionniste – de gestion des frontières (interdiction d'entrée sur le territoire si l'on provient de certains pays musulmans; renforcement des mesures de contrôle; etc.). Dans celle-ci figurent l'US Chamber of Commerce, l'American Hotel & Lodging Association, ou encore la National Retail Federation, à savoir des organismes aux pouvoirs considérables.

Le bras de fer s'annonce terrible, pour ne pas dire terrifiant. Mais surtout, vain. C'est qu'il ne fera, quelle qu'en soit l'issue, aucun gagnant, juste des perdants. Et c'est justement en cela que Donald Trump est une plaie pour l'économie américaine : il ne lui apporte rien de positif.

Pauvre Amérique...

*****

Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

Découvrez les précédents billets d'Espressonomie

La page Facebook d'Espressonomie

Et mon dernier livre : 11 choses que Mark Zuckerberg fait autrement