Bye-bye banlieue!

Publié le 13/04/2016 à 06:28

Bye-bye banlieue!

Publié le 13/04/2016 à 06:28

Les milléniaux n'ont qu'une envie, fuir la banlieue... Photo: DR

À l'image de nombre de métropoles nord-américaines, Montréal est aujourd'hui souvent présentée comme une nerdopolis. C'est-à-dire une ville branchée, dont l'économie tourne en grande partie autour des activités professionnelles des nerds et autres hipsters (tous ces milléniaux tatoués et barbus qui créent des startups en moins de deux, au gré de leurs humeurs et de leurs folies).

Mais voilà, s'agit-il là d'un mythe ou d'une réalité? J'ai voulu en avoir le coeur net, et me suis plongé dans de récentes études sur l'urbanisme, ce qui m'a permis de mettre la main sur une perle intitulée Bright minds, big rent: Gentrification and the rising returns to skill et signée par deux professeures d'économie, Lena Edlung, de l'Université Columbia à New York (États-Unis), assistée de son étudiante Maria Sviatschi, et Cecilia Machado, de la Fondation Getulio Vargas à Rio de Janeiro (Brésil).

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Les trois chercheuses se sont penché sur les données du recensement concernant 27 métropoles américaines (Austin, Cleveland, Indianapolis, etc.) de 1980 à 2010, dans l'optique d'y déceler d'éventuels mouvements migratoires des employés à temps plein âgés de 25 à 55 ans et, le cas échéant, les raisons de ceux-ci. Ce qui leur a permis de faire une grande trouvaille :

> Une inversion de flux enfin expliquée. Durant les trois dernières décennies, le flux migratoire s'est inversé : auparavant, les jeunes travailleurs filaient en banlieue dès que le premier enfant s'annonçait, histoire d'y bénéficier d'espace et de loyers moins chers; à présent, ces jeunes-là filent aussitôt au centre-ville, même s'il y a moins d'espace et si les loyers y sont plus élevés! Pourquoi donc? Eh bien - c'est là la trouvaille de cette étude -, pour une raison principale : ils en ont assez de perdre leur temps en transport entre la maison et le lieu de travail.

C'est que faire tous les jours la navette représente un gaspillage qui dépasse l'entendement :

> Un gaspillage temporel. Entre 1980 et 2010, le temps ainsi passé dans sa voiture ou dans un train de banlieue a crû d'en moyenne 20% en Amérique du Nord.

> Un gaspillage financier. Les bouchons automobiles entraînent un coût annuel de 121 milliards de dollars américains aux États-Unis, à cause du temps de travail et de l'essence ainsi perdus, selon une autre étude.

> Un gaspillage psychologique. Les bouchons automobiles occasionnent «une diminution considérable» de la joie de vivre des personnes concernées, une diminution telle qu'elle leur gâche carrément la vie. Une étude a mis au jour le fait que les habitants de Beijing, qui passent en moyenne une heure et demie par jour dans des bouchons, seraient disposés à sabrer dans leur salaire - «10%, voire plus» - pour ne plus avoir à perdre ainsi leur temps, pour ne pas dire leur vie.

À cela s'ajoute le fait que vivre au centre-ville présente des avantages économiques non négligeables, dont l'un des principaux devrait en surprendre plus d'un :

> Un bond des revenus. Aux États-Unis, ceux qui habitent à moins de 5 kilomètres de leur lieu de travail ont vu leurs revenus bondir d'en moyenne 80% entre 1990 et aujourd'hui, d'après les travaux de Mmes Edlund, Machado et Sviatschi. Comme quoi, il est payant de vivre au centre-ville...

 

Quatre bouleversements socioéconomiques à venir

Les milléniaux (comprendre les 18-36 ans) ne veulent plus entendre parler de la banlieue. C'est ce qui ressort clairement d'un sondage mené en 2014 par le cabinet d'études Nielsen. Ils souhaitent vivre dans des «villages urbains», où l'on bénéficie d'un «réseau dense de connexions sociales». Ils le souhaitent même si fort que 40% d'entre eux ne considèrent même pas l'éventualité de vivre ailleurs que dans des centre-villes branchés, «à l'image d'Austin, de San Diego et de Denver».

C'est dire que l'avenir appartient au centre-ville, pas à la banlieue! Ce qu'ont d'ores et déjà saisi certaines municipalités américaines, qui ont adopté de nouveaux principes d'urbanisme visant à séduire les jeunes talents qui rêvent d'une vie familiale épanouissante en ville. Parmi celles-ci figurent «Miami, Memphis, San Antonio, Portland et Jersey City», d'après Nielsen.

On peut donc s'attendre à quatre bouleversements socioéconomiques d'ici les prochaines années concernant les métropoles nord-américaines, et en particulier Montréal, selon les trois chercheuses :

1. Une plus forte ségrégation entre riches et pauvres. Entre 2000 et 2010, la pauvreté a reculé de 10% à Manhattan et Brooklyn, mais elle a simultanément crû en banlieue, notamment à Staten Island. Pourquoi? Parce que d'une part, les jeunes talents fortunés ont rappliqué au centre-ville et d'autre part, ceux qui n'avaient plus les moyens de vivre au centre-ville (retraités, familles monoparentales, etc.) ont dû s'en aller en banlieue. Voilà pourquoi on devrait connaître à l'avenir une plus forte ségrégation entre riches et pauvres.

2. Un boom immobilier en régions. Comme les jeunes talents fortunés vont vivre en semaine entourés de béton, ils vont vite ressentir le besoin d'air frais, surtout durant les fins de semaine. Par conséquent, ils voudront s'acheter une résidence secondaire distante d'une poignée d'heures de route du centre-ville, au beau milieu de la nature. Ce qui pourrait provoquer un boom immobilier en région, par exemple dans les Laurentides ou en Estrie.

3. Davantage de gratte-ciel. L'espace étant, par définition, limité en centre-ville, le flux de nouveaux arrivants devrait entraîner la construction de nouvelles tours à condos. Et ce, notamment dans les quartiers qui n'en sont pas encore dotés.

4. Moins d'automobiles. En 2007, 73% des milléniaux américains étaient propriétaires d'une voiture; en 2011, ils n'étaient plus que 66%. C'est la première fois de l'Histoire des États-Unis que de moins en moins de jeunes possèdent une voiture. Comment expliquer ce phénomène? Non, ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas d'argent. C'est parce qu'ils n'en veulent pas puisqu'ils n'en ont pas franchement besoin : ils vivent de plus en plus au centre-ville, où il est plus pratique, économique et écologique de prendre le vélo et les transports en commun que de rouler en voiture. D'où le recul prévisible à l'avenir du nombre de voitures achetées par la génération montante par rapport aux autres générations.

Bref, bye-bye Laval et Longueuil, et bonjour Montréal!

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire, en alternance dans Les affaires et sur lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.