Bonjour le postcapitalisme !


Édition du 22 Septembre 2018

Bonjour le postcapitalisme !


Édition du 22 Septembre 2018

Le capitalisme tel qu’on l’a connu est bel et bien en train d’agoniser... [Photo: Getty Images]

Le capitalisme est en train de mourir, là, sous nos yeux, mais nous refusons de le voir. 

Regardez ces typhons, ces séismes, ces inondations qui fauchent les vies humaines comme les économies : voilà le fruit des changements climatiques provoqués par l'accélération débridée du capitalisme.

Regardez aussi ces migrants poussés par la faim et la peur, ces travailleurs étranglés par leurs dettes, ces sans-abri qui ont perdu toute étincelle dans les yeux et, à travers eux, l'aggravation des inégalités socioéconomiques des dernières décennies. Regardez enfin ces épuisements professionnels, ces suicides et, donc, le lourd tribut mental à payer pour «réussir dans la vie». Oui, regardez bien tout ça, et alors vous verrez que le capitalisme tel qu'on l'a connu est bel et bien en train d'agoniser.

Une simple grille d'analyse permet de saisir la gravité de la situation, celle des trois écologies du philosophe français Félix Guattari :

> Écologie environnementale : nous sommes au rouge (fonte des calottes polaires, disparition d'espèces animales, etc.) ;

> Écologie sociale : au rouge (précarité grandissante, inégalités exacerbées, etc.) ;

> Écologie mentale : au rouge aussi (pandémies d'absentéisme et de présentéisme, etc.).

Que se passe-t-il lorsque les trois voyants sont au rouge ? L'écologie globale vacille, ce qui signifie que notre écosystème périclite à la vitesse grand V, peut-être même jusqu'à la mort si rien n'est fait pour remédier à la situation.

«C'est bien simple, il nous reste tout au plus une poignée de décennies pour entamer le virage écologique nécessaire à la survie de l'humanité», lancent à ce sujet cinq chercheurs finlandais dans une étude préparatoire pour le Rapport mondial sur le développement durable des Nations-Unies, qui sera dévoilé en 2019. Une étude explosive.

D'après l'équipe de Paavo Järvensivu, du Centre de recherche finlandais BIOS, des mesures d'envergure s'imposent si l'on veut faire passer tous les voyants au orange, puis au vert :

> Énergie : les mesures actuelles visant à réduire les émissions de CO2 ne suffisent déjà plus. Nous devons abandonner progressivement les énergies fossiles au profit des énergies renouvelables. «Ce qui entraînera inévitablement une diminution de la consommation d'énergie à l'échelle mondiale», est-il noté.

> Transport : l'avenir appartient à la marche, au vélo et aux transports en commun électrifiés, et non à l'automobile et à l'avion. «Ce qui amènera les gens à aller moins vite et moins loin», selon l'étude.

> Alimentation : moins de viande, dont la production est démesurément énergivore, pour plus de fruits et légumes. Et, surtout, davantage de produits locaux.

> Logement : moins de béton et d'acier qui, mine de rien, sont très énergivores. Et retour aux habitations faites surtout en bois.

On le voit bien, il s'agit de changements radicaux, car s'ils se réalisaient, nos habitudes de vie seraient profondement métamorphosées : les villes deviendraient des agrégats de «villages urbains» truffés de rues piétonnes ; ou encore, chacun travaillerait souvent de chez lui ou dans un espace de travail partagé et ne subirait plus les bouchons routiers.

Sommes-nous vraiment prêts à un tel bouleversement ? L'équipe de M. Järvensivu explique que nous n'avons à présent plus d'autre choix et qu'il appartient aux États de prendre le taureau par les cornes sans tarder. Il leur faut adopter une toute nouvelle démarche économique bénéfique pour les trois écologies, qui amoindrirait l'impact négatif de l'être humain sur l'environnement, favoriserait le mieux-être collectif au détriment du profit individuel et permettrait l'épanouissement de chacun dans le cadre de son quotidien.

Autant de grandes lignes que rejoignent les travaux de l'économiste italo-américaine Mariana Mazzucato sur le rôle prépondérant en matière de «création de richesses» que les États doivent retrouver. Ces derniers sont en effet «idéalement placés pour entamer des innovations radicales», en particulier «la nécessaire révolution verte qui remettrait leurs économies sur de bons rails».

«Nous gagnerions grandement à nous inspirer d'initiatives étatiques comme le programme lunaire Apollo, dont les retombées économiques se font encore sentir», indique-t-elle dans un billet de blogue. Et de souligner : «Les États doivent agir, à l'avenir, comme les créateurs des marchés de demain et, donc, s'obliger à remplir des missions aussi inédites et audacieuses que l'avait été Apollo.»

Bref, il nous faut accueillir à bras ouverts le postcapitalisme. Nous devons en finir avec la «zombification» actuelle du capitalisme pour embrasser un système économique à dimension environnementale, sociale et mentale que chaque État mettrait à sa sauce.

«Un tel système est sur le point de voir le jour, j'en suis persuadé, dit le chroniqueur britannique Paul Mason dans son ouvrage Postcapitalism. Il suffit d'éviter de le farcir de rêves utopiques et de minuscules projets horizontaux pour le remplir par un projet sociétal gigantesque et fédérateur. Par conséquent, de voir un seul État décider de changer la donne, un État qui servirait de modèle inspirant pour tous les autres, en proie aux derniers spasmes du capitalisme.»

Alors, quel sera cet État ? Le Canada, peut-être ? Qui sait ?

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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