Bientôt une guerre monétaire?

Offert par Les Affaires


Édition du 19 Mars 2016

Bientôt une guerre monétaire?

Offert par Les Affaires


Édition du 19 Mars 2016

Mark Carney, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, craint le pire. Photo: Bloomberg

La nouvelle est passée inaperçue, mais elle est pourtant dramatique : les ventes de coffres-forts ont récemment bondi au Japon. C'est que la Banque centrale japonaise a décidé d'adopter des taux directeurs négatifs, ce qui a semé la panique dans les médias et la population. L'explication est simple : lorsqu'une banque centrale fait varier ses taux, cela correspond à son anticipation du rythme à venir de la croissance de l'économie du pays ; et les Japonais se sont dit que mieux valait retirer leur argent afin de le mettre à l'abri avant la tempête annoncée !

Découvrez les précédents billets d'Espressonomie

Et la page Facebook d'Espressonomie

Pourquoi la Banque du Japon a-t-elle pris le risque de déclencher un vent de panique ? Elle pensait bien faire, en emboîtant le pas aux banques centrales européenne, suisse, suédoise et danoise ; et bénéficier ainsi des avantages théoriques d'une telle mesure :

> Les banques croulent d'un coup sous l'argent, puisque la Banque centrale les paie pour qu'elles empruntent, si bien qu'elles ont tout intérêt à offrir des prêts avantageux aux consommateurs. Du coup, la consommation des ménages devrait être stimulée.

> De la même façon, les banques ont tout intérêt à offrir des prêts avantageux aux entreprises, ce qui devrait dynamiser leurs investissements.

> En conséquence, on devrait assister à une forte relance économique.

Or, rien de tel ne s'est produit nulle part. Pas plus en Suisse qu'au Danemark. Pis, cela fait sept années - depuis la crise financière mondiale de 2008 - que nombre de taux directeurs tutoient le zéro, et personne ne voit se profiler à l'horizon la moindre relance. Au contraire, un rapport des Nations Unies a récemment mis au jour le fait que le taux de croissance moyen des pays développés avait chuté de 54 % depuis la crise !

Le problème, c'est que l'effet vertueux d'une baisse des taux cesse aussitôt qu'on approche du zéro. Ainsi, les banques commerciales rechignent à diminuer leurs taux, craignant que cela ne nuise à leur profitabilité, selon une étude de la Banque du Canada.

Le flux massif de liquidités ne circule donc pas comme il le devrait, pour rester dans les coffres des banques, ce qui paralyse la relance tant espérée. Deux chiffres ne trompent pas : l'excédent de réserves détenu par la Fed est passé de quelque 200 milliards de dollars américains en moyenne durant la période 2000-2008 (avant la crise) à 1 600 milliards en 2009-2015. Cela, parce que les institutions financières ont préféré laisser leurs fonds fructifier à la Fed plutôt que de les prêter, empochant au passage - «sans aucun risque» - des bénéfices estimés à 30 milliards de dollars, selon une estimation du lauréat du prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz.

«Le flux massif de liquidités a servi non pas à renforcer l'économie réelle, mais à créer de la richesse financière. Il ne faut donc pas négliger le risque d'une nouvelle crise financière dévastatrice», avertit-il dans une chronique parue en février dans différents médias.

Une crise qui pourrait prendre l'allure d'une guerre monétaire à l'échelle de la planète ! Car, en vérité, les banques centrales qui ont opté pour des taux négatifs l'ont fait pour déguiser une dévaluation de leur monnaie. «Dans le cas du Danemark et de la Suisse, cet objectif est explicite», indique d'ailleurs une étude de Desjardins. Et d'expliquer que cette arme est rarement utilisée, parce qu'elle ne permet des gains économiques qu'au détriment de ses partenaires commerciaux, «ce qui ouvre la porte à une riposte des autres banques centrales».

Comme d'autres, Mark Carney, gouverneur de la Banque d'Angleterre, craint le pire. Dans un récent discours, l'ancien dirigeant de la Banque du Canada a rappelé que les guerres monétaires étaient «un jeu à somme nulle», c'est-à-dire qu'elles ne faisaient toujours qu'aggraver la situation. Comment éviter dès lors la catastrophe ? En rétablissant sans tarder la confiance de tout le monde, en particulier celle des Japonais, d'après M. Stiglitz. «Il suffirait d'orienter les flux de liquidités vers des investissements dans les infrastructures, l'éducation et la technologie pour que chacun sente que l'objectif visé est une croissance inclusive et durable», dit-il. Et le tour serait joué !

*****

Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire, en alternance dans Les Affaires et sur lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.