Adieu les camionneurs?

Publié le 23/05/2017 à 06:06

Adieu les camionneurs?

Publié le 23/05/2017 à 06:06

Un camion sans conducteur humain, ce n'est plus de la science-fiction... Photo: Otto.

Demain, à quoi ressemblera le camionnage ? Alexandre Taillefer, ex-Dragon et associé principal de XPND Capital, le voit électrique : son entreprise Téo Cargo doit effectuer des essais de camions dotés de batteries dernier cri en 2018, l'idée étant d'assurer à moyen terme des liens entre Montréal et d'autres métropoles (Toronto, New York...). Yves-Thomas Dorval, PDG du Conseil du patronat du Québec (CPQ), le voit, lui aussi, moins polluant : «Il va falloir que cette industrie s'adapte rapidement au contexte actuel de transition énergétique vers une économie sobre en carbone», dit-il en ouverture d'un récent rapport sur l'avenir du transport de marchandises.

Parfait. Tant mieux si cela se produit bel et bien. Toutefois, là n'est pas le grand changement à venir pour le camionnage. Non, la révolution qui s'annonce concerne plutôt... l'irrésistible avènement des robots ! Explication.

Le camionnage est un pilier de l'économie québécoise. Quelque 140 000 véhicules lourds circulent sur nos routes pour mener à destination 56 % des produits transportés au Québec. Le camionnage représente encore, à lui seul, 1,2 % du produit intérieur brut (PIB) de la province, soit 4,6 milliards de dollars, selon les données du CPQ.

Néanmoins, ce pilier se fragilise ces temps-ci, en raison de la démographie. D'une part, les baby-boomers s'en vont à la retraite à la vitesse grand V. D'autre part, la relève se défile, peu attirée par des conditions de travail extrêmes (longues journées de travail, éloignement familial, pression à la performance...). La fragilisation est si avancée que l'Association du camionnage du Québec (ACQ) a jugé bon de lancer en décembre dernier un cri d'alarme : si rien n'est fait, l'industrie n'arrivera pas à combler «les 52 000 postes de camionneurs à pourvoir d'ici 2020».

C'est clair, le timing ne pourrait être meilleur pour le remplacement de l'humain par le robot. Et ce, pour de multiples raisons, outre celle de pallier la pénurie de main-d'oeuvre, si l'on en croit une étude du cabinet-conseil américain McKinsey & Company dévoilée l'an dernier :

> Moins énergivore. Le «camionnage autonome», à la conduite proche de la perfection (ex. : jamais de coup d'accélérateur inutile), permettrait une économie en carburant pouvant aller, pour un véhicule de 40 tonnes, jusqu'à 28 %.

> Plus rapide. Il permettrait de réduire le temps de trajet d'environ 5 %, non pas parce que le robot roulerait toujours à la limite de la vitesse autorisée, mais parce que son ordinateur lui indiquerait à chaque instant la meilleure route à prendre, celle sans congestion ni ralentissement.

> Moins risqué. Il permettrait de faire chuter de 76 % le nombre d'accidents routiers impliquant un camion.

> Plus vert. Il permettrait de réduire d'environ 60 % les émissions de CO2. Ce qui est loin d'être négligeable lorsqu'on sait que le transport routier est responsable de 32 % des émissions québécoises de gaz à effet de serre, selon les données du CPQ.

À cela s'ajoute, toujours d'après McKinsey, le fait que le grand public est psychologiquement prêt à partager la route avec des robots au volant des camions. Aux États-Unis, pas moins de 80 % des gens sont ouverts à cette idée.

Autrement dit, tous les feux semblent au vert pour voir la révolution se produire sous nos yeux ébahis, à l'exception d'un seul - de taille : à moyen terme, cela ferait perdre leur emploi à... 9 camionneurs sur 10 ! Le bouleversement pourrait même être brutal : d'ici 2025, le tiers des camions roulant chez nos voisins du sud vont être conduits par des robots, selon les prévisions de McKinsey.

Quelles conséquences aurait une telle saignée ? Il est urgent d'y réfléchir collectivement, car il convient d'éviter tout dérapage économique : en 2016, les camionneurs français en colère contre la loi Travail ont carrément bloqué les autoroutes de la France, ce qui a créé des pénuries dans les grandes villes en quelques jours et a forcé le gouvernement Hollande à revoir sa copie. Qui sait ? Ce genre de scénario pourrait survenir ici même, faute de plan de match adéquat (reconversion professionnelle, réorientation éducative...).

En effet, la rupture paraît inévitable. Otto, la division camionnage automatique d'Uber, a réussi son tout premier test grandeur nature au Colorado, en octobre dernier : un camion sans personne au volant a traversé sans encombre le Colorado pour livrer à bon port 45 000 canettes de bière Budweiser. Ce n'est donc plus de la science-fiction.

De surcroît, la grande mode actuelle dans la Silicon Valley consiste à créer une start-up spécialisée dans le camionnage automatique : les millions pleuvent sur ce secteur niché depuis qu'Uber a fait l'acquisition d'Otto en août dernier, au prix estimé de 680 millions de dollars américains. À l'image de Starsky Robotics, de Peloton Technology et d'Embark, qui remportent ronde de financement sur ronde de financement et qui, du coup, avancent à pas de géant dans la technologie qui permettra aux robots de remplacer à jamais les camionneurs.

Demain est déjà là. À nous de veiller à ce qu'il nous sourie plutôt que de nous faire la grimace. Et ce, en ayant le cran de réaliser que l'enjeu principal du camionnage n'est pas l'atténuation de son impact écologique négatif, voire son électrification, mais l'inéluctable disparition du métier de camionneur. Ne l'oublions pas, les vrais défis ne sont jamais technologiques, mais toujours humains...

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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