Il veut créer une cité-État pro start-up gérée comme une entreprise privée

Publié le 08/03/2016 à 15:43

Il veut créer une cité-État pro start-up gérée comme une entreprise privée

Publié le 08/03/2016 à 15:43

Si aucun pays ne lui a fait d'offre, le projet de Guillaume Dumas aurait piqué l'intérêt de plusieurs investisseurs. [Photo: Julien Brault]

Devant l’absurdité des décisions de nos élus, qui n’a jamais rêvé de créer son propre pays, sur l’Île d’Antiscoti, sur une plateforme pétrolière ou dans sa cour arrière? Ceux qui passent du rêve à l’action sont plutôt rares. Ils ont aussi tendance à être fortunés, cinglés ou les deux en même temps. Deux étiquettes qui ne collent pas au Montréalais Guillaume Dumas qui, avec ses complices, vise pourtant à créer un pays à but lucratif à l’intérieur de l’Union européenne.

Baptisé Suis Generis, le projet vise à redéfinir la notion même d’État-nation, en faisant voler en éclat la distinction entre pays et entreprises privées. Ce ne serait pas une première historique, puisque l’ère du mercantilisme a produit plusieurs colonies administrées par des entreprises à but lucratif, comme la Compagnie britannique des Indes orientales et la Compagnie de la Louisiane.

Contrairement à ces entreprises, toutefois, l’entreprise imaginée par Guillaume Dumas ne s’emparerait pas de ses territoires par la force, et miserait sur l’économie du savoir plutôt que sur celle des ressources naturelles. «L’idée, ce serait de faire un deal avec un État, pour créer une zone spéciale à l’intérieur de ses frontières», m’a expliqué Guillaume Dumas, que j’ai rencontré dans un café Starbucks de la rue Saint-Denis la semaine dernière.

C’est moi qui l’ai contacté, après avoir reconnu le fondateur de Datective, que j’avais déjà interviewé, dans cet article de Co.Exist sur Suis Generis. Si je suis loin d’être convaincu de qu’un nouvel état verra bientôt le jour quelque part en Europe de l’Est, j’ai fait la connaissance d’un gars qui n’a pas peur d’aller au bout de ses idées, mais aussi, d’un entrepreneur passé maitre dans l’art d’attirer l’attention des médias.

Attirer l’attention des médias

Pour vous donner une idée du personnage, lorsque Guillaume Dumas a commencé à douter de la valeur de la maitrise en socio qu’il était en train de compléter à l’Université Laval, il a quitté l’université… pour s’inviter dans des cours de McGill et de Concordia. Et, tant qu’à resquiller, il s’est dit que ça ne lui coûterait pas plus cher d’assister à des cours dans des universités de la Ivey League. Il dit ainsi avoir assisté à des cours à Stanford, Berkeley et Yale dans les années suivantes, soit entre 2008 et 2012.

Ce n’est toutefois qu’en 2015 qu’il a décidé de médiatiser ses escapades académiques, qu’il n’a pas manqué d’insérer dans le contexte du débat sur les droits de scolarité salés des universités américaines. L’histoire de Guillaume Dumas avait alors fait d’objets d’articles dans des magazines comme The Atlantic, Fast Company et Der Spiegel. Il avait aussi publié un court guide expliquant comment assister à des cours auxquels on n’est pas inscrit sur le site Web de Logomachy, un site Web où Guillaume Dumas et ses amis publient des articles sur les nouvelles tendances.

En écrivant ce billet, j’ai eu quelques doutes sur les affirmations de Guillaume Dumas, que j’ai soupçonné d’être un imposteur des médias. Après avoir établi que Guillaume Dumas était son vrai nom et parlé à quelqu’un qui le connaît, mes doutes se sont en partie dissipés. Il est impossible de vérifier que Guillaume Dumas a véritablement assisté à des cours dans toutes ces universités américaines, mais son histoire concorde avec quelques vérifications circonstancielles que j’ai effectuées.

Du reste, ce billet ne porte pas sur le parcours académique de Guillaume Dumas, mais sur son ambition de créer un nouveau pays… à but lucratif. Il va sans dire que ce projet permet encore une fois à Guillaume Dumas d’attirer l’attention des médias, et par la bande, de faire connaître son entreprise Datective. Si c’est effectivement le seul objectif de Guillaume Dumas, je ne peux que lui lever mon chapeau d’avoir poussé la logique du marketing de contenu aussi loin.

Un État pro start-ups

Guillaume Dumas, pour sa part, dit être sérieux dans sa démarche, mais avoue que Suis Generis ne pourra pas voir le jour sans l’appui d’un pays prêt à accueillir une telle initiative. Il a dans son collimateur les pays baltes, où il souhaiterait établir sa cité-État dépourvue d’impôt sur le revenu et dotée d’un revenu minimum garanti. Si aucun pays ne lui a fait d'offre, le projet de Guillaume Dumas aurait piqué l'intérêt de plusieurs investisseurs : «Depuis la semaine dernière, j'ai reçu plus d'une centaines de courriels d'investisseurs et de gens intéressés», m'a-t-il confié.

Les résidents de la cité-État bénéficeraient d’un revenu minimum garanti, mais contribueraient à l’État en travaillant bénévolement, dans leurs champs d’expertise respectifs, durant un certain nombre d’heures par semaine. En libérant ses résidents de l’obligation de travailler à temps plein, l’État imaginé par Guillaume Dumas et ses complices favoriserait l’entrepreneuriat.

Les revenus de la cité-État proviendraient de sa participation dans les start-ups crées sur son territoire, une caractéristique qui n’est pas sans rappeler des accélérateurs comme FounderFuel ou Y Combinator. La cité-État émettrait aussi sa propre cryptomonnaie, une position qui lui permettrait potentiellement de s’autofinancer.

Les revenus de la cité-État serviraient au maintien de son infrastructure et de ses services, mais aussi, à payer des dividendes à ses actionnaires. En effet, Guillaume Dumas souhaite obtenir les fonds nécessaires à l’érection de sa cité-État, incluant les terrains sur lesquels elle serait bâtie, auprès d’investisseurs. L’État serait ainsi géré par un conseil d’administration, qui aurait pour mission de maximiser les profits à long terme des investisseurs.

L’idée est que la profitabilité à long terme de l’État soit alignée avec l’intérêt à long terme de ses résidents, un argument longtemps utilisé par les défenseurs de la monarchie en Europe. Comme le royaume faisait partie du patrimoine familial du roi, ce dernier avait tout avantage à en faire un pays prospère à long terme. Le raisonnement semble tenir la route sur papier, mais malheureusement, les rois se sont révélés, dans l’ensemble, de piètres fiduciaires de leur patrimoine familial. Quant aux investisseurs, ils ont la malheureuse habitude de vouloir maximiser leurs rendements à beaucoup plus court terme que les rois.

Alors que les États sont de plus en plus en concurrence les uns avec les autres, comme en fait foi la résidence électronique offerte par l’Estonie, l’idée de Guillaume Dumas pourrait être un avant-goût de ce qui s'en vient. Après tout, alors que toutes les organisations qui n’ont pas su évoluer voient leur monopole menacé par des start-ups plus agiles, l’État-nation fait figure de dernier monopole en 2016. Reste à savoir si la concurrence proviendra des petits pays comme l’Estonie, des plateformes flottant en eaux internationales mises de l’avant par le milliardaire Peter Thiel, de la colonie martienne d’Elon Musk ou du retour des cités-États européennes.

Guillaume Dumas, du reste, n’est pas mégalomane. Il sait que ses chances de succès sont minces, mais ne regrette pas de s’être lancé dans cette aventure : «Même si ça n’aboutit à rien de concret, ça aura participé à la réflexion globale sur la nature des gouvernements, lance Guillaume Dumas. C’est aussi une occasion inespérée au niveau du networking, qui m’a déjà permis de parler à des journalistes de partout dans le monde; j’ai même été invité à m’installer dans un château en Allemagne par un investisseur.»

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À propos de ce blogue

DE ZÉRO À UN MILLION est le blogue de Julien Brault, qui a fondé la start-up Hardbacon en juin 2016. L’ancien journaliste de Les Affaires relate ici chaque semaine comment il transforme une idée en entreprise. Dans ce blogue, Julien Brault dévoile notamment chaque semaine ses revenus. Une démarche sans précédent qui est cohérente avec les aspirations de Hardbacon, qui vise à aider les gens à investir intelligemment en faisant voler en éclat le tabou de l’argent. Ce blogue sera ainsi alimenté jusqu’à ce que Hardbacon, qui n’avait aucun revenu lors de la publication du premier billet, génère un million de dollars en revenu annuel.

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